Une partie du pays a basculé dans la sidération. Jusqu’alors, la perspective de voir l’extrême droite diriger le pays apparaissait vraisemblable, mais restait lointaine. Or, en trois semaines, par le fait du chef de l’État, cette éventualité s’est rapprochée au point de devenir immédiate.
Un basculement d’autant plus dérangeant qu’il s’accomplira – si Jordan Bardella va à Matignon – dans le respect des formes de la démocratie. Pas de milices, pas de bruits de bottes, pas de parti fasciste qui embrigade la jeunesse… Rien du décorum des années trente, que ce soit en Italie ou en Allemagne.
Pas de bruit de bottes
C’est cette sobriété dans la conquête du pouvoir qui déconcerte. Il était donc si facile d’arriver aux responsabilités ?
Dans notre imaginaire collectif, l’extrême droite ne pouvait mener à bien son projet qu’en détruisant les institutions de la République. Tant que les chars ne sont pas dans la rue, rien ne saurait être alarmant.
C’est perdre de vue une des caractéristiques de l’extrême droite contemporaine. À l’inverse de la tradition dont elle est l’héritière, elle n’entend plus faire table rase des institutions. Au contraire, elle estime qu’elle peut retourner ces dernières à son profit. Et faire ainsi l’économie d’une rupture violente.
Arsenal répressif
Le pari n’est pas stupide. L’empilement des lois anti-terroristes depuis une trentaine d’années (une tous les 18 mois en moyenne) – qui n’a d’équivalent que la liste des textes sur l’immigration – atteste qu’il est possible d’installer un régime autoritaire qui conserve les atours de la démocratie.
Il suffit de piocher dans l’arsenal répressif. Et de solliciter la toute-puissance de lois jugées en leur temps dangereuses si elles venaient à tomber entre de mauvaises mains. Ce jour, justement, est venu.
Pour le dire autrement, l’arsenal législatif dont pourraient avoir besoin Jordan Bardella et Marine Le Pen est déjà en place. Qu’il s’agisse de limiter ou d’interdire le droit de manifester, de faire grève, de se réunir, de s’exprimer…
Là où les partis républicains faisaient preuve de modération dans la pratique du pouvoir – ne serait-ce que pour ménager l’opinion – le Rassemblement national n’hésitera pas à aller à la confrontation. Au moins dans les premiers mois.
Mélonisation
Pour autant, faut-il conclure, comme le président de la République à l’imminence d’une guerre civile ? Cette affirmation, alarmiste, est irresponsable. Un tel scénario supposerait que le cadre institutionnel se soit effondré. Il n’en est rien.
À vrai dire, au regard des reculades du Rassemblement national sur son propre programme, c’est plutôt une évolution à l’italienne qu’il faut envisager. Élue sur la promesse d’une immigration zéro, la cheffe de l’exécutif italien, Giorgia Meloni a ainsi fini par se résoudre à laisser entrer 450 000 travailleurs étrangers d’ici 2025. La botte manque en effet cruellement de main-d’œuvre. A l’épreuve du pouvoir, l’idéologie s’est effacée devant l’économie…
Serge Faubert
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