Ça coince au sommet de l’État. Hier, mercredi, deux rendez-vous de Michel Barnier ont été reportés. Le premier avec Gabriel Attal. Le second avec les dirigeants de la droite. En revanche, le Premier ministre a rencontré le chef de l’État pour lui présenter l’ébauche de son gouvernement. Ébauche qui n’a pas été du goût d’Emmanuel Macron. Les Républicains s’y taillent la part du lion. Ils mettent notamment la main sur Bercy et le ministère de l’Intérieur. Michel Barnier a donc été invité à revoir sa copie.
Du coup la rumeur de sa démission a commencé à circuler dans les différents états-majors. Ce jeudi après-midi, le Premier ministre a réuni les représentants du camp présidentiel – Renaissance, Horizons, le MoDem – ceux du groupe LIOT et Les Républicains. Une réunion aux allures de la dernière chance tant la tension est grande. En début de soirée, un accord semblait néanmoins avoir été conclu.
L’augmentation des impôts au cœur du débat
Mais au-delà de la surreprésentation des LR dans le gouvernement, il y a une deuxième ligne de fracture : les impôts. Michel Barnier n’exclut pas de les augmenter. Mais qui sera concerné ? Mystère.
Ce que je constate c’est que Michel Barnier s’apprête aussi à réduire les dépenses publiques. Ce qu’on a besoin dans le pays aujourd’hui, c’est à la fois de pouvoir répondre aux besoins sociaux qui s’expriment et qui sont en dynamique de manière très forte, et de l’autre sens pouvoir les financer par des recettes supplémentaires vis-à-vis des plus riches et des entreprises les plus profitables.
Il y a une logique parce que si on a un modèle économique qui repose sur le fait d’avoir des prélèvements supplémentaires et en même temps, comme le veut l’adage macroniste, de réduire des dépenses publiques et donc de détruire les services publics aussi, alors on a une économie totalement à plat et une économie qui ne peut pas fonctionner et qui va dans la logique de celle actuelle.
Evidemment il y a un enjeu politique mais il y a un enjeu de précision extrêmement fort pour voir dans quelle direction ça nous emmène.
Elsa Faucillon, députée GDR, le 17/09/2024
Michel Barnier devrait répondre à ces interrogations dans sa déclaration de politique générale au début du mois d’octobre. Mais au Rassemblement national, on se méfie.
Je me méfie toujours des déclarations d’intention de premiers ministres venant de l’aile libérale qui à la fin finissent par oublier de taxer des entreprises qui font des surprofits, et finalement réorientent la fiscalité au détriment des ménages.
Voyons ce que Michel Barnier propose de concret, nous le jugerons sur pièce. Si le budget ne nous semble pas correspondre à nos attentes et derrière aux attentes du pays, que nous avons imaginé, alors nous nous réservons la possibilité de le censurer à tout moment. De ne pas voter le budget d’abord, puis si le budget passait par 49-3, de déposer une motion de censure, d’en voter une.
Sébastien Chenu, député RN, le 17/09/2024
La situation budgétaire de la France est catastrophique. Mercredi, tandis qu’on s’écharpait entre l’Élysée et Matignon, le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a dressé un sombre tableau devant la Commission des finances.
Je sais que le précédent gouvernement promet de ramener le déficit en dessous des 3 %. J’essaierai de vous expliquer pourquoi à mon sens, ce n’est, en vérité, ni possible ni souhaitable. Pour respecter à minima les nouvelles règles budgétaires européennes, ce qui je le rappelle est un devoir et un engagement, nous devrions faire des économies de 30 milliards en 2025, de 100 milliards à l’horizon 2028.
Ce serait brutal, à vous d’évaluer si c’est politiquement faisable, je ne connais plus rien à la politique. Ce serait socialement peut-être un peu difficile, et en tout cas économiquement ce serait guère cohérent. Parce que retirer 100 milliards d’euros de la consommation publique et privée, c’est tout de même un facteur dépressif qui, lui-même, risquerait d’entraîner une chute des recettes et donc d’entraîner de nouvelles économies. On ne sait pas trop bien, en fait, où ça ça s’arrête. N’oublions pas les mécanismes multiplicateurs et déflateurs keynésiens essentiels.
Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, le 18/09/2024
La récession qui pointe
Si l’on retire 100 milliards de la consommation, le pays entrera en récession. Car selon le premier président de la Cour des comptes, la croissance ne suffira pas à tirer l’économie nationale. Elle s’établira autour de 1 % dans les années à venir. Il faut donc réduire les dépenses. Mais cela ne suffira pas, ajoute Pierre Moscovici. Quel que soit le gouvernement, il devra également augmenter la pression fiscale.
Troisième levier, après la croissance : l’outil fiscal. J’ai cru noter que c’était un sujet de débat, en ce moment. Je vais m’exprimer avec grande prudence sur ce sujet car vous le savez que ce n’est pas au cœur des compétences de la Cour des comptes.
A titre personnel, je ne crois pas que nous disposions de grandes marges de manœuvre pour augmenter les impôts. Notre taux de prélèvement obligatoire est déjà très élevé. Le consentement à l’impôt est fragile. Notre compétitivité est un atout à préserver et à renforcer. Je continue d’être attentif à ce que j’avais jadis appelé “le ras-le-bol fiscal” qui saisit tous nos concitoyens, notamment les plus modestes, et pour autant, je le dis ayant été membre de votre commission jadis, le sujet n’est pas tabou.
Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, le 18/09/2024
Enfin, il faut prendre en compte l’impact de la transition énergétique.
Notre message est simple : nous sommes face à une double dette, écologique et financière. Il est urgent d’intégrer la planification écologique dans la programmation des finances publiques. Mais il faudrait 60 milliards d’euros pour atteindre nos objectifs. C’est ce que disait aussi le rapport Pisani-Ferry Mahfouz.
Cela signifie un besoin d’aides supplémentaires de deux points de PIB chaque année, qu’il faudra consacrer à la transition énergétique.
Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, le 18/09/2024
Conflit ouvert avec les macronistes
Réduire les dépenses et accroître la pression fiscale. Voilà les deux leviers envisagés par la Cour des comptes. Ce sont ceux que semble explorer Michel Barnier. Du moins, si l’on s’en rapporte aux indiscrétions qui circulent. Le bloc macroniste est favorable à la réduction de la dépense publique. En revanche, il s’oppose à toute nouvelle imposition. Partisans farouches d’une politique de l’offre, les macronistes ne veulent pas voir celle-ci remise en cause par une taxation accrue des entreprises. Et puis, sur le fond, ils sont très satisfaits de leur bilan.
De la même manière, s’agissant des recettes, il faut bien noter que tous les impôts qui ont été diminués dans la précédente législature ont toujours eu un rendement supérieur à ce qu’ils étaient, alors même que leurs taux étaient plus élevés. C’est valable pour l’impôt sur la fortune immobilière, c’est valable pour le prélèvement forfaitaire unique et c’est valable évidemment pour l’impôt sur les sociétés.
Et par ailleurs, s’agissant des impôts qui ont été diminués, vous indiquez que tous l’auraient été à destination des publics les plus aisés. Vous omettez de faire mention de la taxe d’habitation. Je n’ai pas vu, semble-t-il, d’amendement de rétablissement de la taxe d’habitation sur ces bancs depuis deux ans que nous y siégeons.
Mathieu Lefèvre, député EPR, le 18/09/2024
N’y a-t-il pas d’autres pistes que la réduction des dépenses publiques ? C’est la question qu’a posée Emmanuel Maurel du groupe GDR.
Le rapport c’est une contribution démocratique au débat. C’est une contribution qui est sévère. Et je trouve un constat accablant pour le gouvernement sortant qui s’est toujours autoproclamé comme champion du sérieux budgétaire. On voit le résultat. Il y a vraiment un état d’urgence.
Ce qui m’inquiète c’est qu’on ne parle que des coupes dans les dépenses publiques mais tout le monde a évoqué le rapport Draghi. Quand on regarde précisément le rapport Draghi, il remet en cause la logique austéritaire de l’Union européenne depuis au moins quinze ans.
Emmanuel Maurel, député GDR, le 18/09/2024
L’Union européenne doit investir massivement
Emmanuel Maurel évoque le rapport remis récemment par Mario Draghi à la Commission européenne. Loin d’être un bolchevique endurci, Mario Draghi est l’ancien président de la Banque centrale européenne. Prenant le contrepied des dogmes austéritaires, l’économiste recommande que l’Europe investisse chaque année 800 milliards d’euros supplémentaires pour maintenir sa compétitivité. Presque autant que le plan de relance de 2020 pour faire face au Covid-19.
L’Europe est en effet en plein décrochage économique par rapport aux États-Unis. Et sa dépendance à l’égard de la Chine s’accroît. Mais cette vision, qui a le mérite d’être planétaire, peine à s’imposer. Fragilisés, le chancelier allemand comme le président français ont perdu toute audace. Dans l’immédiat, les députés avancent à tâtons. Bien qu’ils se soient déplacés à Matignon puis à Bercy, le président de la Commission des finances, Éric Coquerel et le rapporteur, Charles de Courson se sont vus refuser la communication des lettres plafonds envoyées à chaque ministère.
Ce jeudi, Matignon a quand même consenti à leur transmettre ce qu’on appelle un tiré à part. Un document de 13 pages, moins précis que les lettres plafond. Éric Coquerel et Charles de Courson auraient dû le recevoir voici deux mois.
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