Colère agricole : le gouvernement accuse la gauche

Gabriel Attal, Premier ministre, à l’Assemblée nationale, le 23 janvier 2024. ©Assemblée nationale

Organisés par les syndicats agricoles, des blocages routiers se déploient depuis le 18 décembre sur toute la France. Ils visent à dénoncer la baisse des revenus des agriculteurs, l’augmentation de leurs charges et les lourdeurs administratives qui rythment leur quotidien.

Comment a-t-on pu être aveugle à ce point ? Heureusement, Gabriel Attal est là pour nous ouvrir les yeux. Les difficultés des agriculteurs, c’est la faute de la gauche et des écologistes. Qui plus est, ces fourbes font semblant de compatir. 

Et je le dis avec le plus grand calme mais aussi avec la plus grande détermination : parfois vos larmes pour nos agriculteurs ressemblent à des larmes de crocodiles, vraiment. Parce que la réalité c’est qu’à chaque fois que nos agriculteurs, que nos éleveurs familiaux, ont un projet d’extension de leur élevage, qui s’y oppose ? Vos amis, avec votre soutien. À chaque fois qu’un projet est lancé dans notre pays sur une retenue d’eau pour lutter contre la sécheresse, sur des investissements pour nos exploitations, se sont vos amis qui s’y opposent. À chaque problème vous répondez par une norme. À chaque difficulté vous répondez plutôt en général en pointant du doigt nos agriculteurs. Quand certains discours portés sur nos agriculteurs, les présentent comme des bandits, comme des pollueurs de nos terres, comme des tortionnaires de nos animaux, on aimerait aussi vos indignations et votre défense du modèle agricole.

Gabriel Attal, Premier ministre, Assemblée nationale, 23 janvier 2024

Caricature

Tiens donc. On croyait pourtant que c’était Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs qui dirigeaient la France depuis sept ans. Voilà qu’on découvre qu’il y aurait, tapie dans l’ombre, une abominable cinquième colonne écolo terroriste qui dicterait sa loi. Tremblez braves gens. Les Khmers verts sont à vos portes… Cette caricature ne résiste pas à l’examen, est-il besoin de le dire. Écoutez la députée écologiste Marie Pochon, fille et petite-fille de vignerons, comme elle tient à le rappeler :

Cette colère on l’entend, on accompagne les agriculteurs depuis des années, elle est liée fondamentalement, à notre sens, à une injonction contradictoire qui est palpable. D’un côté le souhait de la part du gouvernement et de la Commission européenne d’encourager une compétitivité à outrance, de toujours plus libéraliser, de produire toujours plus à des coûts toujours plus bas pour les agriculteurs. Et en même temps, le souhait de verdir notre agriculture qui est un souhait qui est louable, bien évidemment, mais qui rentre en totale contradiction avec le fait de se mettre au même niveau que des industries agricoles comme celles du Brésil, de l’Argentine ou de la Nouvelle-Zélande. On ne sera pas compétitif, et ce n’est pas grave en vérité, parce qu’on produira bien, on préservera notre capacité à produire demain, on garantit à nos agriculteurs des revenus, on garantira aux Françaises et aux Français également un accès à une alimentation saine et durable.

Marie Pochon, députée écologiste de la Drôme, Assemblée nationale, 23 janvier 2024

Concurrence faussée

Eh oui, ce ne sont pas les normes qui sont en cause, mais le fait que celles-ci ne s’imposent pas aux productions étrangères, faussant ainsi la concurrence.

Un des grands problèmes de l’agriculture, ce sont les « clauses miroir » qui ne sont pas appliquées. C’est-à-dire que nous on est vertueux, on leur dit : « Voilà vous n’allez plus utiliser de pesticide, vous allez changer votre manière de produire. L’eau, l’environnement, tout ça il faut le prendre en compte », et on a raison de dire ça, et en même temps on va autoriser des produits importés chez nous qui ne respecteront pas les mêmes clauses. Les « clauses miroir » ne seront pas respectées. Et donc on instaure une concurrence déloyale.

Christine Pires Beaune, députée PS-Nupes du Puy-de-Dôme, Assemblée nationale, 23 janvier 2024

Ce deux poids deux mesures révolte les agriculteurs.

Ils n’en peuvent plus d’être asphyxiés de normes toutes plus contraignantes les unes que les autres alors que dans le même temps les libéraux, gouvernements, négocient des traités de libre-échange avec le reste du monde pour importer des produits ne respectant aucune règle sociale et environnementale. Ils n’en peuvent plus que la loi EGAlim, qui était censée apporter une réponse sonnante et trébuchante avec des prix rémunérateurs se traduise dans les négociations par des gros, les transformateurs, la grande distribution qui contournent la loi EGAlim à l’échelle européenne.

Sébastien Jumel, député GDR-Nupes de Seine-Maritime, Assemblée nationale, 23 janvier 2024

Loi EGAlim, une usine à gaz

La loi EGAlim ! En réalité, il y en a deux. Elles ont été adoptées en 2018 et 2021. Objectif, améliorer le partage de la valeur entre les acteurs de la chaîne alimentaire : les producteurs, les fournisseurs et les distributeurs. Une usine à gaz que la grande distribution s’est empressée de contourner en recourant à des centrales d’achat installées à l’étranger. 

Les députés ont réagi en mars 2023 par l’adoption d’une troisième loi EGAlim. Ce nouveau texte prévoit que les dispositions des lois EGAlim 1 et 2 s’appliquent dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français. Il ne reste plus qu’à faire appliquer ce nouveau texte. C’est le rôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Mais pour l’instant, ça patine du côté des contrôles.

Prime à l’hectare et taxe sur le GNR

Et la politique agricole commune (PAC) là-dedans ? En 2022, la France a reçu 9 milliards et demi d’euros. Ce qui fait de notre pays le plus gros bénéficiaire de la PAC devant l’Espagne et l’Allemagne. Mais ces fonds sont mal répartis. La prime à l’hectare encourage la formation de méga exploitations au détriment des petites structures.

Cette prime, finalement, majoritaire à l’hectare pousse les agriculteurs à avoir toujours plus de terres alors qu’il faut tenir compte, par exemple, des exploitations qui emploient de la main d’œuvre. On ne peut pas avoir… Tout ça évidemment se négocie avec des pays européens qui ont des intérêts divergents. Il faut en tenir compte. La surface moyenne d’une exploitation en France est inférieure à la surface moyenne d’une exploitation allemande, par exemple.

Christine Pires Beaune, députée PS-Nupes du Puy-de-Dôme, Assemblée nationale, 23 janvier 2024

Enfin, il y a la question du gasoil non routier, le fameux GNR. C’est celui qui est coloré en rouge pour les connaisseurs. Sur chaque litre, une taxe est appliquée. Les agriculteurs peuvent en récupérer une partie en produisant leurs factures auprès de l’administration fiscale. La détaxe sur le GNR doit s’éteindre progressivement dans les sept ans qui viennent, ce qui représente une augmentation annuelle de 2,85 centimes d’euros par litre. Pour les petits exploitants, c’est déjà trop.

Revirements soudains

Tout cela n’empêche pas l’exécutif de charger la gauche et les écologistes de tous les maux. Mais chaque fois que l’occasion s’est présentée de défendre le pouvoir d’achat des agriculteurs, le gouvernement n’a pas été au rendez-vous. Ainsi, le 30 novembre 2023, La France insoumise, dans le cadre de sa journée d’initiative parlementaire, soumet au vote une proposition de loi intitulée « lutter contre l’inflation par l’encadrement des marges ». Sont notamment ciblées celles des raffineurs et de celles de l’industrie agroalimentaire. Contre l’avis du gouvernement, plusieurs articles sont adoptés par les députés. Mais, au moment du vote final sur le texte, il manquera six voix pour que celui-ci soit adopté. Des revirements soudains sont intervenus au sein du bloc présidentiel.

Aujourd’hui, plusieurs démonstrations ont été faites. La première de ces démonstrations, c’est qu’il y avait une majorité de députés à l’Assemblée nationale pour voter en faveur de l’instauration des prix planchers sur les produits agricoles. La deuxième de ces démonstrations, c’est qu’il y avait ce matin et en début d’après-midi une majorité de députés pour voter en faveur de l’encadrement des marges des industries agroalimentaires, du raffinage et de la grande distribution. La troisième des démonstrations, c’est que quand l’Assemblée nationale peut enfin voter en faveur des intérêts des Françaises et des Français, vous passez des coups de téléphone, vous multipliez les manœuvres dilatoires comme vous l’avez fait aujourd’hui pour revenir sur ces avancées historiques. Et ce que je vais vous dire, c’est qu’aujourd’hui nous avons fait des démonstrations qui vont résonner très loin. Et que tôt ou tard dans ce pays les prix seront bloqués.

Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône, coordinateur de La France insoumise et rapporteur de la proposition de loi sur l’encadrement des marges, Assemblée nationale, 30 novembre 2023

Occasion à 600 millions d’euros

Une deuxième occasion de soutenir les agriculteurs s’est présentée lors de la dernière discussion budgétaire. Une occasion à 600 millions d’euros.

Dans le projet de loi de finances, nous avions demandé le vote d’amendements et il y a eu un vote à la majorité, pour ajouter 600 millions d’euros pour l’agriculture biologique et pour les mesures agroenvironnementales, parce que les agriculteurs en ont absolument besoin de ces aides agroenvironnementales et du bio. La minorité présidentielle, si vous voulez, a utilisé le 49-3 pour retoquer ces 600 millions d’euros que nous avions voté à la majorité des députés. Je le dis aujourd’hui : la responsabilité première, ceux qui sont les premiers responsables de la situation aujourd’hui des agriculteurs, c’est ce gouvernement.

Aurélie Trouvé, députée LFI de Seine-Saint-Denis, Assemblée nationale, 23 janvier 2024

Prendre son temps

Que va faire le gouvernement ? Mercredi 24 janvier, sa porte-parole indiquait que celui-ci allait prendre son temps. 

S’il y a effectivement une urgence à répondre, mais attention à ce que cette urgence à répondre ne devienne pas une injonction médiatique. Oui, les discussions sont en cours. Oui, le travail est bien entamé et bien engagé. Comme je l’ai répété, il n’est pas nouveau, les annonces vont arriver dans les jours qui viennent. Très très prochainement, j’insiste.

Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du Renouveau démocratique et porte-parole du gouvernement, Conseil des ministres, 24 janvier 2024

Mais la généralisation des barrages routiers a bousculé le calendrier prévu : Gabriel Attal s’exprimera vendredi. Du côté des Républicains, on a une idée très arrêtée sur ce que le Premier ministre devrait dire.

 « Moratoire sur toutes les normes »

La première mesure, c’est évidemment de geler la décision de revenir sur l’avantage fiscal sur le GNR. Puisque c’est ça qui a mis le feu aux poudres. Ensuite je pense qu’il faut vraiment que le gouvernement d’urgence remette sur la table la question des normes. Il y a un agriculteur dans notre pays qui commet la moindre d’erreur, immédiatement il est envoyé en correctionnelle. Mais quelle autre profession vit dans ces conditions-là ? D’urgence, il faut stopper un moratoire sur toutes les normes. On sait qu’il y a un problème sur l’usage de l’eau. Il ne faut pas s’interdire de travailler sur la recherche génétique pour avoir des plantes qui demain auront moins besoin d’eau. Je pense au maïs mais pas que. Le gouvernement est absent de ce genre de réflexions, refuse tout en fait. On a un gouvernement qui est aligné, au niveau européen et au niveau national, totalement aligné sur la ligne des écolos.

Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et président du groupe parlementaire LR, Assemblée nationale, 23 janvier 2024

Encore un complot des écolos ! Pour le déjouer, Olivier Marleix propose de faire un grand bond en arrière. C’est le retour des OGM et de l’arrosage à outrance. Un modèle agricole qui mène à la catastrophe écologique. Le groupe allemand Bayer, qui a racheté Monsanto, se frotte déjà les mains.

Aller sur le terrain

Heureusement, on a des gens très compétents à la tête de l’État, comme Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture. Il suffisait de l’écouter, mardi, lors de la séance des questions au gouvernement.

J’entends des agriculteurs qui en ont marre qu’à longueur de plateaux, qu’à longueur de reportages, qu’à longueur d’expressions, on vienne dénigrer leur travail. Alors moi je prends mes responsabilités, mais vous je vous invite à prendre les vôtres. À prendre les vôtres pour qu’on trouve le juste prix et la rémunération. Et à prendre les vôtres pour qu’enfin on leur dise qu’on leur fait confiance et qu’on va les accompagner dans les transitions, pas qu’on va les braquer. Et pas qu’on va leur caler un modèle qui n’existe que dans des utopies, qui n’existe nulle part sur la Terre. Je vous assure. Allez sur le terrain. Écoutez-les.

Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Assemblée nationale, 23 janvier 2024

Ce bon Marc Fesneau a manqué une occasion de se taire. La députée LFI à qui il répondait, Mathilde Hignet, était ouvrière agricole jusqu’à son élection en 2022. Pour ce qui est d’aller sur le terrain elle a donc déjà très largement donné. On ne peut pas en dire autant de Marc Fesneau. Sa fiche Wikipedia nous apprend qu’il a travaillé pour une entreprise de conseil pour le ministère de l’Agriculture avant de rejoindre la chambre d’agriculture du Loir-et-Cher, ce qui n’est pas précisément « marcher dans la boue » comme dirait Michel Delpech dans la chanson qu’il a consacré à ce département…

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.