La gauche en pleine crise de nerfs après le refus des socialistes de voter la censure

Léa Balage El Mariky, député Écologiste et social, le 05/02/2025 ©PurePolitique

Au siècle dernier, très exactement en 1930, les partis communistes européens, sur instruction de Moscou, commencèrent à qualifier leurs partenaires socialistes de sociaux-fascistes. Le génial Staline considérait que la révolution prolétarienne mondiale était imminente. Et si elle tardait, malgré tout, c’était à cause des sociaux-démocrates qui la freinaient avec les fascistes. Cette absurdité idéologique et politique disparut cinq ans plus tard.

Le petit père des peuples s’était ravisé et prônait maintenant la constitution de fronts populaires avec les mêmes sociaux-fascistes. Comme quoi la dialectique peut casser des briques. Mais la bêtise, elle, est éternelle.

Un visuel provocateur

Hier soir, un visuel de la France insoumise est venu rappeler les amalgames staliniens. Le montage mêle les visages de Marine Le Pen et Olivier Faure tandis qu’un bandeau proclame “les nouvelles alliances”. C’est, bien entendu, le refus des socialistes de voter la motion de censure déposée par LFI sur le budget qui est à l’origine de ce placard. Le compte de la France Insoumise à l’Assemblée a relayé le visuel avant de le supprimer un peu plus tard.

Plusieurs insoumis, dont Éric Coquerel, ont regretté cette publication. Ce matin, Mathilde Panot a pris ses distances avec le visuel en question tout en refusant de présenter des excuses. Ce que réclame Olivier Faure.

Nous n’avons jamais mis d’équivalence entre le Parti socialiste et l’extrême droite et le Rassemblement national. Ils n’ont absolument rien en commun. Je le dis pour que ça soit clair. Par contre, il y a une responsabilité commune, c’est de sauver Emmanuel Macron et le gouvernement Bayrou.

Je ferai des excuses à Olivier Faure lorsqu’il fera des excuses pour avoir fait passer un budget aussi violent que celui-ci.

Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 06/02/2025

Pas question de faire amende honorable. D’autant que l’heure est à la menace.

Les socialistes sont prévenus : il y a trois votes devant, ils prennent leurs responsabilités. François Hollande, sors de ton bois. Assume. Si vous décidez de rompre avec nous, dites-le. Ne faites pas semblant que la rupture vous est imposée. C’est vous qui avez rompu.

Jean-Luc Mélenchon, chef de file LFI, le 05/02/2025

Au même moment, dans la salle des pas perdus de l’Assemblée, Olivier Faure tentait de remettre les pendules à l’heure.

Le Front Populaire a été constitué, LFI n’était même pas dedans. Ca a commencé avec François Ruffin et moi, puis avec les écologistes, les communistes et enfin les insoumis. C’est une coalition qui avait pour objet d’empêcher, sur la base d’un projet commun, d’empêcher l’extrême droite de l’emporter.

Pour moi, ce projet existe toujours et la volonté d’empêcher l’extrême droite de gagner les élections demeure. Il n’y a pas de chef au NFP. Jean-Luc Mélenchon n’est pas le chef du Front Populaire. Et quand il a fait le choix, lui, au mois de septembre d’engager une procédure de destitution, elle n’était pas dans le programme du Front Populaire.

Personne n’a choisi d’exclure la France insoumise du Front Populaire. Nous avons simplement dit que chacun avait droit à sa propre autonomie.

Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du PS, le 05/02/2025

Excommunication

Mais Mathilde Panot compte bien exclure du Nouveau Front Populaire les socialistes.

Mais je dis qu’il ne peut pas y avoir dans le Nouveau Front Populaire à la fois des forces qui s’opposent au gouvernement de Bayrou et à la politique macroniste et des forces qui soutiennent de fait, qui sont les soutiens sans participation au gouvernement de François Bayrou et de la politique d’Emmanuel Macron. Et je crois que tout le monde peut comprendre ça dans le pays.

Nous réunirons nos instances insoumises, nous proposons à l’ensemble des députés qui ont voté la censure de se retrouver, et nous vous donnerons les suites de ce processus.

Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 05/02/2025

Il n’est pas sûr que les partenaires de la France insoumise se rallient à ces velléités d’excommunication. Les communistes n’ont aucune intention de rompre avec les socialistes. Comme eux, avec les écologistes, ils ont participé aux négociations à Matignon et Bercy. Même si, à l’arrivée, ils ont voté la censure.

Nous avons quatre groupes de gauche à l’Assemblée nationale. Ce que nous souhaitons c’est que malgré nos différences, malgré des divergences, c’est de continuer à travailler ensemble. Et c’est pour cela que nous n’allons pas distribuer des certificats de traîtrise ou des diplômes de respectabilité.

Nous espérons qu’on pourra se mettre autour d’une table et avancer pour lutter, pour lutter contre ce gouvernement qui mène une politique qui est une politique contraire aux intérêts de notre peuple.

André Chassaigne, député GDR et président du groupe GDR à l’Assemblée nationale, député RN, le 05/02/2025

Les écologistes rappellent que le Nouveau Front Populaire n’est pas un parti politique.

Le Nouveau Front Populaire c’est d’abord comme son nom l’indique un élan populaire qui s’est levé au mois de juin et juillet dernier. Que nous ayons des débats stratégiques en termes d’opportunités parlementaires différentes, c’est normal.

Je crois que chacune et chacun, et c’est pour ça que nous ne formons pas un parti politique unique, est totalement libre aussi de ses choix et responsable devant ses électrices et ses électeurs des choix qu’il fera sur la question de la censure mais aussi sur la question des propositions.

Léa Balage El Mariky, député Écologiste et social, le 05/02/2025

Quant à savoir qui est le plus à gauche, la question ne semble pas effrayer la bête noire de Jean-Luc Mélenchon : Jérôme Guedj.

Je n’ai pas l’habitude de donner du crédit aux donneurs de leçons qui s’érigent en distributeurs de bons et de mauvais points à gauche. Je n’attends pas d’autre de me décerner si je suis de gauche ou pas de gauche. J’ai mes convictions, ce sont celles d’un socialiste, universaliste, laïque, républicain, écologiste, attaché à la question sociale.

On mène le combat avec des modalités différentes que d’autres formations à gauche. Moi je ne suis pas là pour débattre de leur propre choix. Mais je récuse, avec la dernière énergie, l’idée selon laquelle on peut avoir une pureté à gauche. Ceux qui s’enferment dans le discours de la pureté, à la fin ils se rabougrissent et ils font perdre la gauche.

Jérôme Guedj, député Socialistes et apparentés, le 05/02/2025

Effet boomerang

Pourquoi les socialistes n’ont-ils pas voté la censure ? Parce qu’ils redoutaient un effet boomerang. La censure, c’est certes le départ immédiat de François Bayrou mais c’est aussi la poursuite de l’application de la loi spéciale qui permet au pays de fonctionner. Or, le gouvernement a truqué les cartes comme l’explique Éric Coquerel.

Le budget spécial qui a été voté par toute l’Assemblée nationale est un budget qui permet de reproduire l’ensemble du budget de 2024 sur 2025. C’est le gouvernement, qui par circulaire, a décidé d’avoir une vision restrictive de ce budget. Par exemple, en privant certaines communes, certaines associations, de subventions absolument indispensables. J’ai vu, les titres des journaux c’est sur les personnes qui font des services civiques.

Rien n’empêchait le gouvernement de libérer les budgets permettant d’assurer ces personnes pour les municipalités. C’est donc le gouvernement qui a quelque part fait en sorte qu’il y ait un sabotage de la loi spéciale. Et ce qu’une circulaire a fait, une circulaire peut le défaire. De la même manière, c’est la dernière chose que je vous explique, le gouvernement a décidé de dire “on ne libère que 25 % des crédits”.

Tout le monde se dit : “Mais comment on va faire sur la suite ?”. Là encore c’est le prétexte trouvé c’était de dire : “On ne veut pas anticiper sur le vote souverain de l’Assemblée nationale”. Mais je suppose que quel que soit le vote, personne ne va supprimer 75 % des crédits. Il y a un minimum, on pouvait par exemple au moins libérer 75 % des crédits. Toute cette histoire c’est fait pour justement dire qu’il n’y a pas de budget, que c’est la catastrophe.

Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 04/02/2025

Ce sabotage, pour reprendre les mots du président de la Commission des finances, réduit la marge de manœuvre des oppositions. Si la situation était venue à s’éterniser, il y avait un risque de voir l’opinion se retourner contre ceux qui auraient bloqué l’adoption d’un budget.

Cette crainte est-elle fondée ? C’est une autre histoire. Mais c’est en tout cas l’analyse du parti socialiste. Et les sondages semblent lui donner raison. A preuve, celui de l’institut Elabe. 68 % des Français et 81% des sympathisants socialistes approuvent la décision du PS. Bien sûr, les petits calculs de François Hollande ne sont pas complètement étrangers à la décision des socialistes. Le confit de Corrèze a besoin de temps pour revenir dans le bain des prétendants à l’Élysée.

Mais dans la séquence, cette ambition n’a joué qu’à la marge. Le Rassemblement national partage les mêmes craintes. Pas question d’être ceux qui entretiennent le chaos. Et là encore, il semble qu’ils aient fait le bon choix. 67 % des Français et 73 % des électeurs du RN applaudissent la décision de Marine Le Pen et Jordan Bardella. “Ces explications ne sont qu’un paravent” répondront les détracteurs du Parti socialiste. C’est possible.

Mais hier soir, à l’Assemblée, Olivier Faure a fixé un nouveau rendez-vous.

Il y aura une autre heure de vérité qui viendra plus tard encore, ce sera sur les retraites. Si le gouvernement venait à considérer qu’il peut nous enfumer complètement, que le fameux conclave avec les partenaires sociaux est juste une immense entourloupe, alors nous censurerons aussi le gouvernement. Et à ce moment-là, chacun sera devant ses responsabilités.

Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du PS, le 05/02/2025

Le match n’est pas terminé

Une proposition qui peut faire l’unanimité sur les bancs des oppositions. Surtout si elle intervient en conclusion d’un dialogue social infructueux. Elle présente aussi quelques menus avantages. Si la menace est mise à exécution, cela nous mène au milieu du mois de mai. Quelques semaines peut-être avant le congrès du Parti socialiste. Et pas loin du moment où le président de la République pourra à nouveau dissoudre l’Assemblée nationale.

Qu’elle soit votée ou non, la motion de censure permettrait à Olivier Faure de retrouver un peu de lustre à gauche. Et les députés socialistes renoueraient avec leur électorat le plus radicalisé. Comme quoi il ne faut pas désespérer. Reste une question, quel avenir pour le Nouveau front populaire ? Depuis le début, il ne cesse de faire la navette entre les soins intensifs et les soins palliatifs. Mais il s’accroche, le bougre !

Le véritable rendez-vous, ce seront les élections municipales de 2026. Sans candidat unique de la gauche dès le premier tour, de nombreuses villes seront perdues. L’intérêt bien compris de chacun des partis de gauche ramènera peut-être un peu de raison dans ce psychodrame permanent.

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