
Et revoilà le débat sur l’identité nationale. L’obsession de la droite et de l’extrême droite. Et apparemment du Premier ministre.
Il faut un débat public approfondi et beaucoup plus large que ça. Vous voyez bien ce qui fermente depuis des années. Ce qui fermente c’est : Qu’est ce que c’est qu’être Français ? Qu’est ce que ça donne comme droits ? Qu’est ce que ça impose comme devoirs ? Qu’est ce que ça procure comme avantages et en quoi ça vous engage à être membre d’une communauté nationale ? A quoi croit-on quand on est Français ?
François Bayrou, Premier ministre, le 07/02/2025
En 2009, déjà, Éric Besson, alors ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du développement solidaire lançait un grand débat sur l’identité nationale. A l’époque, Nicolas Sarkozy, aujourd’hui reconverti dans les bracelets électroniques, était président de la République. Et il portait juste une Rolex. François Bayrou avait refusé de faire de cette question un sujet d’affrontement. Quinze ans plus tard, il en fait un sujet de diversion, à tout le moins.
Jeudi dernier, le ministre de l’Intérieur, évoquant la situation à Mayotte, a défendu la nécessité de restreindre le droit du sol sur l’ensemble du territoire national.
Là vous avez un exemple incroyable sur un petit territoire d’une société totalement déséquilibrée par les flux migratoires. Or, ce sont des musulmans, ils sont noirs, voilà. C’est simplement qu’aucune société, quelle que soit la culture, ne peut supporter une proportion où il y a, comme le disait le Premier ministre, une submersion.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, le 06/02/2025
Surenchère nauséabonde
“Ce sont des musulmans, ils sont noirs”… On en est donc là. Un ministre de la République peut venir à une heure de grande audience déblatérer sur la couleur de peau et la religion supposée de migrants sans que le Premier ministre ou le président de la République froncent, ne serait-ce qu’un sourcil. Le trumpisme a un immense boulevard devant lui. Le lendemain, c’est Gérald Darmanin qui a renchéri. Il veut un référendum.
Comment on devient Français ? C’est un très beau débat national. Alors évidemment, je pense qu’il doit être tranché par référendum, il doit être tranché par une élection présidentielle.
Gérald Darmanin, ministre de la Justice, le 07/02/2025
Sur le référendum, l’intelligence artificielle de l’Élysée est partante. Mais l’article 11 de la Constitution ne permet pas un tel référendum. C’est embêtant de l’oublier quand on est ministre de la Justice ou président de la République. Mais on ne va pas s’arrêter à ce détail. L’essentiel, c’est d’aller sur le terrain de Marine Le Pen.
Il se trouve que le droit du sol n’est pas dans la Constitution française et que par une simple loi nous pourrions, et même nous devrions, supprimer le droit du sol pour l’ensemble du territoire national. Pourquoi ? Le problème c’est que dès vous laissez une brèche, en réalité il y a des gens qui vont s’engouffrer dans cette brèche. Leur espoir va s’engouffrer dans une brèche.
S’il y a une personne sur cinq migrants clandestins qui a une chance pour qu’un de ses enfants devienne Français, eh bien il y en aura quinze qui prendront la mer. S’il y en a un sur vingt, il y en cent vingt qui prendront la mer. Donc il faut juste qu’il y en ait zéro, et alors personne ne risquera sa vie en tentant cette traversée pour espérer, bien entendu, obtenir à terme la nationalité française. Il faut, je le crois, faire cesser cet appel d’air de l’immigration clandestine.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 06/02/2025
Les promesses n’engagent que ceux qui y croient
Ce week-end, Marine Le Pen était à Madrid pour une réunion des patriotes, un intergroupe du parlement européen qui rassemble 86 députés sous la houlette de Victor Orban, le dirigeant hongrois, et de la patronne des députés RN à l’Assemblée. L’italienne Giorgia Meloni n’avait pas fait le déplacement. C’est dommage, elle aurait eu des choses à raconter à ses homologues. Portée au pouvoir en 2022 par une coalition de partis de droite et d’extrême droite, la présidente du conseil des ministres avait promis l’arrêt total de l’immigration.
Mais en Italie, où prévaut encore le droit du sang, c’est l’extrême droite qui fait venir les étrangers. Eh oui. En décembre 2023, Meloni a lancé un programme d’accueil de 450 000 travailleurs étrangers. Promettant à chacun d’entre eux un titre de séjour. Cette année, plus de 191 000 autorisations seront ainsi octroyées par l’Italie à des travailleurs non-européens. A l’extrême droite aussi, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. En Allemagne où le droit du sang a longtemps été la règle, le pragmatisme a conduit les gouvernements à faire peu à peu une place au droit du sol.
Depuis l’an 2000 les enfants nés en Allemagne de parents étrangers peuvent acquérir automatiquement la nationalité allemande à la naissance. Pour cela, l’un au moins des parents doit, au moment de la naissance de l’enfant, résider de manière habituelle et légale en Allemagne depuis cinq ans et disposer d’un titre de séjour permanent. Ces dispositions, qui restent très restrictives par rapport à notre droit, ont pour objectif d’intégrer progressivement la communauté turque qui compte 1,3 million d’individus.
Bref, l’exemple italien et allemand le montrent, la suppression du droit du sol ne changera strictement rien aux mouvements migratoires. Il s’agit juste d’une offensive démagogique dans la perspective de la présidentielle de 2027.
L’ambiance facholand qui s’installe au gouvernement n’est pas du goût de tous les ministres. Et les intéressés le font savoir. Pour ces derniers, il n’est pas question d’étendre la suppression du droit du sol à toute la France.
Non, je n’y suis pas favorable. Et voyez, je pense que ce que les Français attendent de nous, ce sont des actes et pas de renvoyer à une future modification constitutionnelle.
Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation nationale, le 07/02/2025
Il me semble que le dispositif législatif actuel est tout à fait satisfaisant donc je ne vois pas de raison pour ce qui ne concerne… Je pense qu’en matière de politique publique il faut répondre aux problèmes qui se posent et il me semble que ça ce n’est pas un problème qui se pose.
Éric Lombard, ministre de l’Économie et des Finances, le 09/02/2025
Et la gauche dans cette affaire ? Olivier Faure ne veut pas laisser la droite et l’extrême droite accaparer la question de l’identité nationale.
En 2008 – 2009, Nicolas Sarkozy avait déjà posé le débat sur l’identité de la France, et qu’à l’époque la gauche avait considéré que c’était un piège. C’était un piège, c’est vrai. Mais je crois que parfois il faut prendre son risque et plutôt que de laisser la place vide qui est ensuite immédiatement occupée par la droite et par l’extrême droite, il faut que la gauche puisse parler fort de ce qu’elle pense être l’identité du pays.
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du PS, le 10/02/2025
Une déclaration dans laquelle Jean-Luc Mélenchon a lu aussitôt un nouveau signe de traitrise des socialistes. “Ils n’ont plus de limite. Le PS a largué les amarres avec la non-censure. Ils sont prêts à tout accepter pour coller à Bayrou.”
Pourtant, il y a dix ans, un certain Mélenchon Jean-Luc se déclarait prêt à ferrailler sur la question de l’identité nationale. Sans doute un “deep fake” avant l’heure.
Je suis très à l’aise avec la question d’identité. C’est le contraire de ce que vous dites, sauf que je n’y réponds pas dans les termes dans lesquels les autres y répondent. Moi, je crois à l’identité républicaine de la patrie. Autrement dit, nous sommes Français parce que nous adhérons à liberté, égalité, fraternité.
Peu importe que nous soyons homme ou femme, la couleur de notre peau, la religion, car la France ce n’est ni une couleur de peau, nous sommes tous d’accord, ce n’est pas une religion, il y en a cinq et l’Islam est la deuxième, ce n’est pas une ethnie, nous avons des cultures très différentes en France, et ce n’est même pas la langue française car vingt-neuf pays ont le Français en langue officielle.
Par conséquent, ce qui nous constitue comme Français, c’est un territoire, des droits, des lois auxquelles nous nous soumettons tous puisque nous les décidons tous.
Donc, en quoi suis-je Français ? Je le suis parce que je suis républicain..
Jean-Luc Mélenchon, le 15/11/2015
Qu’est-ce que la nation ?
C’est un très vieux débat que tente de remettre sur le tapis la droite extrême et l’extrême-droite. Celui d’une appartenance à la nation qui serait fondée sur des ressorts ethniques. La réponse à ce débat poisseux a été apportée en 1882 par un philosophe, Ernest Renan.
Dans une conférence à la Sorbonne, restée fameuse, il répond à la question “Qu’est-ce que la nation ?”.
“Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie.”
Un siècle et demi plus tard, c’est toujours vrai. N’en déplaise à Bruno Retailleau et les autres.
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