C’est le paradoxe du moment. L’issue de la guerre ne se joue pas sous les bombes à Gaza, mais au Qatar, émirat du golfe Persique à peine plus grand que la Corse. C’est là-bas, dans les luxueux hôtels de Doha, la capitale, que la direction politique du Hamas est installée depuis 2012. Pendant que les civils meurent, les dirigeants islamistes mènent grand train.
Les responsables qataris jouent les intermédiaires entre l’organisation terroriste, les Américains, les Français et les Iraniens. Principal bailleur de fonds de Gaza et par conséquent du Hamas, le Qatar a en effet les moyens de faire pression sur le mouvement islamiste. C’est naturellement vers ce pays que les familles des otages français mettent leurs espoirs. Neuf de nos compatriotes sont présumés détenus par l’organisation terroriste.
Mardi 31 octobre, leurs proches étaient reçus à la questure de l’Assemblée nationale par Éric Ciotti, le groupe LR et le groupe d’amitié France Israël.
La clé d’un cessez-le-feu
Aujourd’hui, depuis l’Assemblée nationale, nous vous disons unanimement, en tout cas de ceux qui sont ici, quelques soient nos appartenances, nos groupes politiques, notre indéfectible soutien, notre entière mobilisation. Nous ne cesserons pas ce combat à vos côtés pour la libération des otages.
Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et président du parti Les Républicains, Assemblée nationale, 31 octobre 2023
Pour Meyer Habib, qui ne fait pas mystère de sa proximité avec Benyamin Nétanyahou, la libération des otages est la clé d’un cessez-le-feu.
Ces innocents doivent être libérés et nous devons mettre un poids énorme avec tous les pays qui peuvent aider : le Qatar, la Turquie, l’Égypte et autres. Pour en avoir discuté avec les plus hauts responsables israéliens, la libération des otages amènera un cessez-le-feu immédiat. Immédiat. La libération des otages amènera un cessez-le-feu immédiat.
Meyer Habib, député apparenté LR des Français établis hors de France, Assemblée nationale
Intermédiaire et partie prenante
Faux, répond Olivier Faure.
Tant que le cessez-le-feu ne sera pas prononcé, il y aura une vraie difficulté à négocier par des biais détournés, parce que ce ne sera pas directement avec le Hamas mais avec ceux qui leur parlent. Et je sais que y compris le gouvernement français s’y emploie aujourd’hui. Simplement, en l’absence de cessez-le-feu, la réalité c’est que tout le monde sait que les otages resteront des boucliers humains pour le Hamas, une monnaie d’échange potentielle et donc rien ne bougera. Tout le monde sait la grande hypocrisie de cette affaire. En fait, on a en ce moment Nétanyahou qui nous explique qu’il veut éradiquer le Hamas, alors sauf à tuer deux millions et demi de Palestiniens il n’y parviendra pas parce qu’en réalité la tête du Hamas n’est pas à Gaza. La tête du Hamas elle est en Iran et au Qatar, et tout le monde maintient des relations avec le Qatar, y compris aujourd’hui parce qu’il y a besoin de négocier avec le Hamas sur la situation des otages.
Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et secrétaire national du Parti socialiste, Assemblée nationale
Ce double jeu du Qatar indispose. Combien de temps ce pays peut-il être à la fois intermédiaire et partie prenante au conflit ?
Investissements qataris en France
Il va falloir se poser la question de sanctions financières sur le Qatar. Et ça, moi je ne comprends pas pourquoi aujourd’hui ça n’est pas dans le débat. Mais probablement parce que nos intérêts, en France, avec le Qatar sont bien trop importants. Ils ont certes des clubs de foot mais ils ont aussi des avantages fiscaux et on dépend de leur gaz et donc on ne veut pas se confronter au Qatar alors qu’aujourd’hui la question est quand même celle-ci : quand est-ce qu’on empêche, quand est-ce qu’on met la pression sur le Qatar pour qu’il ne protège pas des organisations comme celle-ci ?
Sandrine Rousseau, députée écologiste-Nupes de Paris, Assemblée nationale
La France est le deuxième pays européen pour les investissements qataris. Les participations de l’émirat dans l’Hexagone sont estimées à plus de 25 milliards d’euros. Le Qatar est par ailleurs un client de choix pour la technologie française et les industries de l’armement. 36 avions Rafale sont déjà en service dans l’armée de l’air de l’émirat. Et ce dernier envisage l’acquisition de 24 appareils supplémentaires en 2024 ou 2025. Achat qui s’accompagnerait d’une remise à niveau du parc existant.
Realpolitik
Autant dire que l’Élysée et la diplomatie française se montrent prudents dans leurs relations avec les Qataris. Des pressions exagérées compromettraient à la fois le sort des otages et les échanges commerciaux. Eh oui, la diplomatie en revient toujours à la realpolitik. Mais l’ambiguïté des relations entre la France et le Qatar devra être tranchée un jour.
Il est évident aujourd’hui, malheureusement, que c’est le Qatar qui joue ce rôle d’intermédiaire, pour la France, pour Israël, pour les démocraties auprès du Hamas. L’urgence étant évidemment de préserver les otages et de tout faire pour les libérer comme nous l’avions fait à l‘époque pour notre compatriote le soldat Gilad Shalit, qui avait été libéré après des négociations dans lesquelles le Qatar avait joué un grand rôle. Il faut faire avec le Qatar. Donc aujourd’hui, il n’est pas tant de faire un droit d’inventaire sur nos relations avec le Qatar, mais une fois que cette crise sera passée il est évident qu’il faut s’interroger sur notre dépendance à ce pays qui joue sur plusieurs tableaux.
Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, Assemblée nationale
Si le Qatar obtient la libération des otages, voire une trêve des combats, il en sortira renforcé. Qui voudra alors prendre ses distances avec un partenaire aussi influent dans cette région du monde ? Certainement pas la France. Le double jeu de l’émirat est bien parti pour durer.
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