Fidèle à sa modestie légendaire, François Bayrou a placé ses nouvelles fonctions sous le double patronage d’Henri IV et de François Mitterrand. Un peu curieux pour celui qui n’est que Premier ministre. Il aurait pu choisir Sully, le principal ministre d’Henri IV – celui qui disait que labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France – ce qui aurait fait plaisir aux agriculteurs en colère. Ou bien Pierre Mendès-France, figure tutélaire de la gauche réformiste, ce qui aurait été bien pratique pour tailler une bavette avec le Parti socialiste.
Mais non, François Bayrou a choisi un roi et un président. Aussi roublards l’un que l’autre. Le premier, protestant, s’est converti au catholicisme pour monter sur le trône. Le second, venu de l’extrême droite, s’est glissé avec délectation dans le costume de premier président socialiste de la Ve République après l’avoir dézingué dans un ouvrage fameux en son temps.
Si on n’a pas compris avec ça que le béarnais n’est pas de passage à Matignon, à la différence de son prédécesseur, et qu’il entend bien briguer l’Élysée, c’est qu’on est sourd et aveugle. Sans parler de la façon dont il a tordu le bras à Emmanuel Macron, le menaçant de quitter le bloc central si le président de la République ne le nommait pas à Matignon. Chantage, vous avez dit ? Quel vilain mot…
Priorité au Rassemblement national
Dès ce matin, il s’est employé à courtiser le Rassemblement national. Déjà, en les recevant en priorité à Matignon. Officiellement, c’est juste parce que le RN est le premier groupe parlementaire de l’Assemblée nationale. Cette attention n’est pas une nouveauté. En 2022, pour l’exemple, le président du MoDem avait donné sa signature à Marine Le Pen qui peinait à réunir les 500 parrainages nécessaires à sa candidature présidentielle.
En novembre dernier, François Bayrou avait également dénoncé la possible exécution provisoire de la peine d’inéligibilité qui pourrait frapper Marine Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires européens. Autant dire que les relations sont au beau fixe.
Et d’ailleurs, sur le perron de Matignon, Marine Le Pen semblait satisfaite de sa rencontre avec le nouveau Premier ministre. Avec Michel Barnier, elle déclinait des lignes rouges. Avec François Bayrou, elle formule des souhaits.
Nous lui avons exprimé quels étaient les souhaits de nos électeurs. Le souhait de ne pas voir aggraver les problèmes de pouvoir d’achat des Français, de s’attacher à apporter des solutions à la très grave crise sécuritaire qui secoue notre pays, ainsi qu’à celle de l’immigration.
Et puis nous avons bien entendu évoqué les modes de scrutin. Je sais que le Premier ministre est attaché à la proportionnelle. Et il m’apparaît que c’est un chantier, comme je lui ai dit, devrait être, peut-être pas prioritaire parce que la priorité c’est évidemment le budget, mais devrait être juste après le budget une priorité.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 16/12/2024
Ah la proportionnelle. François Bayrou aurait tort de ne pas sauter sur l’occasion. D’abord, parce que c’est son cheval de bataille depuis des années. Ensuite, parce que c’est peut-être la décision qui pourrait vraiment faire consensus. De Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, les politiques sont pour à l’exception des Républicains.
Le RN voit dans la proportionnelle le moyen de faire disparaître le front républicain, puisque ce mode de scrutin, sur le modèle des européennes, n’aurait qu’un seul tour. A gauche, il libèrerait chacune des composantes du Nouveau Front Populaire de s’émanciper de ses partenaires. Plus de reports de voix à négocier. Ce qui ferait l’affaire des socialistes.
Au sommet de l’État, on navigue à vue
Visiblement, les socialistes vont devoir patienter si l’on s’en rapporte à la déclaration d’Olivier Faure après qu’il a rencontré le Premier ministre.
Pour l’instant, nous sommes restés sur notre faim. Nous n’avons pas encore d’indications précises sur la façon dont le Premier ministre entend gouverner. Nous avons rappelé quelles étaient les attentes des Françaises et des Français, sur les retraites, sur le pouvoir d’achat, sur toutes les questions liées aux services publics, sur les questions démocratiques. Il faudra d’autres rendez-vous pour pouvoir avancer, et notamment le faire avec les groupes parlementaires.
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et président du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale, le 15/12/2024
Les écologistes ne sont pas davantage optimistes sur la capacité du nouveau gouvernement à passer des compromis.
On va regarder quelle est la teneur des politiques qui se profilent. Si c’est pour garder les mêmes aux postes stratégiques, dont monsieur Retailleau à l’Intérieur, si c’est pour ne rien faire sur les retraites, si c’est pour ne rien faire sur l’écologie, si c’est pour ne rien faire sur la justice fiscale, très sincèrement je ne vois pas quel autre choix nous aurions que de le censurer quand nous en aurons l’occasion.
Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, le 13/12/2024
Bruno Retailleau est un gros caillou dans la chaussure de François Bayrou
Bruno Retailleau est devenu la ligne rouge de la gauche et de la droite. S’il reste au gouvernement, Laurent Wauquiez et ses amis ne pourront faire autrement que soutenir ce dernier. Mais la gauche, au moins les écologistes, les communistes et les insoumis, censurera le Premier ministre. La ligne de partage des eaux passe donc par Retailleau.
Mais comme rien n’est simple, Laurent Wauquiez ne serait pas excessivement chagriné par le départ d’un Bruno Retailleau qui commence à lui faire un peu trop d’ombre. A quoi tiennent les convictions !
Du côté de LFI, on a le mérite de la cohérence. Les insoumis considèrent qu’Emmanuel Macron aurait dû appeler un représentant du Nouveau Front Populaire à Matignon. Dès lors, il n’est pas question d’aller discuter avec François Bayrou d’une quelconque non-censure. Rendez-vous est pris pour la déclaration de politique générale, exercice auquel chaque nouveau Premier ministre vient se livrer devant les députés.
Nous souhaitons qu’il y ait ce qu’on appelle un vote de confiance, c’est normalement comme ça que ça fonctionne dans notre démocratie parlementaire. Et s’il n’y en a pas, il y aura une motion de censure et nous le censurerons.
Manuel Bompard, député LFI et coordinateur national LFI, le 16/12/2024
De toute façon, les insoumis tablent sur une présidentielle anticipée. Jean-Luc Mélenchon nous a donné quelques informations concernant sa candidature sur le plateau de M6 ce dimanche.
Une candidature de la gauche, ça m’étonnerait, puisqu’il y a déjà bien du monde qui a annoncé sa candidature. Il y aura une candidature insoumise, ça c’est sûr. Nous proposerons de la mettre en partage, en commun, comme dans le passé je l’ai fait avec les communistes. Alors qui ce sera ? Nous allons discuter entre nous. Parce que contrairement à la légende, ce n’est pas quelque chose qu’on décide soi-même tout seul. On s’organise.
Jean-Luc Mélenchon, chef de file LFI, le 15/12/2024
La Ve République est à l’agonie
A la veille de chaque élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon annonce qu’il ne sait pas s’il sera candidat. Et curieusement, à chaque fois, il l’est, candidat. Parions donc qu’il le sera. François Bayrou n’a pas fixé d’échéance précise pour composer son gouvernement. Il va mettre à profit la trêve des confiseurs pour tenter de débaucher des personnalités de gauche.
Le député PS de l’Eure, Philippe Brun, a ainsi décliné le poste de ministre de l’Economie que lui proposait François Bayrou. Le Premier ministre songerait également à Jérôme Guedj, le député socialiste de l’Essonne, pour le ministère de la santé. Sans parler des appels de phare en direction des socialistes défroqués comme Pierre Moscovici.
Il n’est pas certain que ce mercato restaure la confiance des Français dans leur classe politique. La recherche du compromis pourrait rapidement s’abîmer dans la compromission. L’agonie de la Ve République est décidément interminable.
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