Budget : le Haut conseil des finances publiques contredit le gouvernement

Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 10/10/2024 ©AssembléeNationale

Mercredi dernier, Antoine Armand, ministre de l’Économie et Laurent Saint-Martin, ministre du budget, présentaient les grandes lignes du projet de loi de finances pour 2025. Autrement dit le budget. Le gouvernement entend réaliser 60 milliards d’économies. La dépense publique se verra réduite de 40 milliards tandis que les recettes fiscales augmenteront de 20 milliards. Soit deux tiers de coupes budgétaires et un tiers de prélèvements.

Au moment même où les ministres du gouvernement Barnier détaillaient l’architecture du budget, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, était entendu par les députés de la Commission des finances en sa qualité de président du Haut conseil des finances publiques. À partir des maigres informations lâchées par Bercy, il arrive à une conclusion inverse sur la répartition entre coupes budgétaires et recettes fiscales.

Pour nous, cet effort, ça a malheureusement déjà été commenté puisque cet avis a un peu fuité, reposerait à 70 % sur des hausses de prélèvements obligatoires, 30 milliards d’euros, et à 30 % sur les dépenses, 12 milliards d’euros. Je vois tout de suite le commentaire qui est que ces proportions sont à l’opposé de celles retenues par le gouvernement.

Je veux dire ici que c’est une différence et pas un différend. C’est important de le dire, et je ne joue pas sur les mots puisque le gouvernement se fonde sur autre chose. Le gouvernement se fonde sur un raisonnement tendanciel.

Ce qui veut dire qu’en réalité si vous raisonnez en structurel ça vous donne effectivement ce que j’ai dit, 30 milliards de prélèvements de 12 milliards d’euros d’économies en dépenses. Si vous raisonnez en tendanciel vous êtes même comme ça plutôt proche de 50/50. Disons 30/30.

Pierre Moscovici, Président de la Cour des comptes et Président du Haut conseil des finances publiques, le 10/10/2024

Attention au mal de crâne

On n’ose vous proposer un doliprane pour comprendre ce qui vient d’être dit. Le site qui fabrique ce médicament phare du groupe Sanofi étant sur le point d’être cédé à un fonds de pension américain. Ne m’appelez plus jamais France, comme le chantait Michel Sardou…

Revenons aux 60 milliards d’économies budgétaires. “La méthode de calcul du gouvernement n’est pas la même que celle du Haut conseil des finances” dit Pierre Moscovici. Tendanciel contre structurel. Fort bien. Mais quelle est la bonne façon d’envisager les choses ? Car politiquement ça change tout. Ces derniers jours, Gabriel Attal et ses amis, mais aussi la Droite républicaine de Laurent Wauquiez et le Rassemblement national ont mis en garde le gouvernement contre toute augmentation des impôts.

Une avalanche de lignes rouges et d’ultimatum. Et voilà qu’on apprend que la clé de répartition de l’effort pour freiner la dette n’est pas celle présentée par le gouvernement. Pour reprendre l’expression de Pierre Moscovici, c’est du 50/50. 30 milliards de recettes fiscales et 30 milliards de dépenses en moins.

Que vont donc faire tous ceux qui ont fixé des limites à ne pas franchir ? À commencer par le Rassemblement national ? On va le savoir très vite, puisque la partie recettes du budget sera examinée à partir de mercredi en commission des finances avant d’arriver dans l’hémicycle le 21 octobre. De toute façon, Pierre Moscovici ne semble pas vraiment convaincu par le plan du gouvernement.

Le Haut conseil considère que le scénario macroéconomique du gouvernement pour 2024 est dans l’ensemble réaliste et que celui pour 2025 présente des éléments de fragilité. Il n’est pas infaisable mais il est vulnérable.

Pierre Moscovici, Président de la Cour des comptes et Président du Haut conseil des finances publiques, le 10/10/2024

Pierre Moscovici n’est décidément pas le gars à inviter à une soirée entre amis. Il plombe autant l’ambiance qu’Emmanuel Macron a plombé les comptes de la nation.

Le gouvernement anticipe une stabilisation du rythme de croissance à 1,1 % en moyenne annuelle. Et nous avons donc l’impression que le gouvernement ne tient pas suffisamment compte des effets récessifs de l’ajustement prévu.

Pierre Moscovici, Président de la Cour des comptes et Président du Haut conseil des finances publiques, le 10/10/2024

Effet récessif

C’est ballot, Michel Barnier et Bercy ont omis de prendre en compte l’effet récessif de leur plan d’économies. Eh oui, moins de dépenses publiques, c’est plus de dépenses contraintes pour les ménages. Ainsi par exemple la baisse du remboursement des consultations médicales va-t-elle entraîner un renchérissement du tarif des complémentaires santé. Et donc rogner la consommation des foyers.

On résume le constat du président de la Cour des comptes : la présentation du plan d’économies est biaisée, les prévisions de croissance sont erronées et les chances de réussir sont minces. Mais à part ça, gardez confiance.

Du coup, Éric Coquerel, le président de la Commission des finances, a proposé à ses collègues de transformer ladite commission en commission d’enquête.

Moi je suis sûr que les taux d’intérêts français n’augmentent pas seulement en raison de l’augmentation du déficit mais aussi de la crédibilité de la France à avoir un appareil d’État qui donne des informations justes, crédibles, sur lesquelles peuvent se reposer les marchés au moment où ils prêtent. Si ça c’est ébréché, c’est très inquiétant.

Et je dois dire à mes collègues que je leur proposerai dans les semaines à venir le fait que, comme j’en ai la possibilité, au moins on déclenche, après il y a d’autres personnes qui doivent l’accepter, le fait que notre Commission des finances se transforme en commission d’enquête afin d’étudier les causes de la variabilité des prévisions fiscales et budgétaires et l’évolution des déficits publics.

Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 10/10/2024

Les autres personnes auxquelles Éric Coquerel fait référence, c’est la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Dimanche, le député insoumis voulait croire qu’elle donnerait son accord pour transformer la Commission des finances en commission d’enquête.

Je ne vois pas pourquoi elle ne me suivrait pas parce qu’elle aussi a envie de faire en sorte que l’Assemblée puisse jouer son rôle. Et dans le rôle de l’Assemblée, notamment vis-à-vis du budget, il y a rôle de contrôle. Donc la meilleure manière de contrôler c’est de comprendre pourquoi il y a des chiffres qui ont varié à ce point en un an.

Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 13/10/2024

À trop charger la mule sur les impôts, le plan du gouvernement pourrait bien déboucher sur une motion de censure que voteraient toutes les oppositions. Pour s’en prémunir, Michel Barnier est prêt à lâcher du lest sur sa droite. Toute sa droite.

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