On les croyait finis. Carbonisés. Mais en politique, à la différence des vraies guerres, on ne meurt jamais. Au pire, on pantoufle dans le privé. Ancien Premier ministre de François Hollande, Bernard Cazeneuve lançait donc son mouvement samedi 10 juin à Créteil. Ça s’appelle La Convention. Les exégètes du mouvement socialiste français auront reconnu un discret clin d’œil à l’histoire.
En 1964, François Mitterrand créait la Convention des institutions républicaines, un petit parti destiné à soutenir sa candidature à l’élection présidentielle de l’année suivante. À la surprise générale, Mitterrand réussit à atteindre le second tour face au Général de Gaulle.
« Un boulevard »
Justement, Bernard Cazeneuve envisage lui aussi d’être candidat en 2027. Tiré à quatre épingles dans son costume de notable, version René Coty, il a dévoilé ses ambitions aux 2 000 personnes présentes.
Il m’arrive d’entendre certains dire que collectivement vous constitueriez, nous constituerions, une impasse. Mais devant moi ce n’est pas une impasse que je vois, c’est une avenue large, pour ne pas dire un boulevard.
Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre de François Hollande et fondateur de La Convention, Créteil, 16 juin 2023
Et ce boulevard, Cazeneuve compte bien l’emprunter. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il est revenu sur ses douze candidatures à différents mandats.
Présence de François Hollande
Dites leur bien une chose, c’est que quand on a été candidat douze fois à une élection, rien dans le code électoral n’empêche qu’on le soit une treizième fois. Vous pouvez compter sur ma détermination en toute chose puisque nous sommes engagés dans cette aventure.
Bernard Cazeneuve, 16 juin 2023
Mais sur sa route, il y a du monde. François Hollande d’abord. L’amateur de virées coquines en scooter s’est expliqué sur sa présence.
Ma présence, elle s’inscrit dans une volonté que nous partageons dans la nécessité de reconstruire une grande force à gauche capable de conduire une fois encore la gauche au pouvoir.
François Hollande, ancien président de la République, Créteil, 10 juin 2023
Sous-entendu, de me ramener au pouvoir. Parce que François Hollande et la gauche, ça ressemble plutôt au rendez-vous du soleil avec la lune, comme le chantait Charles Trénet.
Message aux transfuges
Au chapitre des prétendants à l’Élysée, il y a encore Carole Delga, la présidente de la région Occitanie. Elle n’était pas présente à Créteil, mais elle a envoyé une vidéo. Comme Nicolas Mayer-Rossignol, le maire de Rouen qui est aussi premier secrétaire délégué du PS. Ces deux derniers candidats n’appartiennent pas à la génération Hollande. Mais comme Bernard Cazeneuve et l’ex-président, ils parient sur l’après-Macron.
Les anciens socialistes ralliés au pouvoir actuel vont se retrouver orphelins en 2027. Du coup, ils pourraient être tentés de rentrer au bercail. C’est à ces transfuges que s’adresse Nicolas Mayer-Rossignol dans son message vidéo.
Si j’étais un peu provocateur, je vous dirais : Venez ! Revenez ! Après tout ça n’est pas incompatible et quelles que soient les difficultés qu’on a pu connaître par le passé, la maison socialiste dont je suis le premier secrétaire délégué, elle vous est grande ouverte.
Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen et premier secrétaire délégué du PS, Créteil, 10 juin 2023
Détestation de Mélenchon
Pour le reste, ce qui rassemble la fine équipe de Créteil, c’est une détestation absolue de Mélenchon et de la Nupes. Jamais le nom d’Olivier Faure ou de l’ancien candidat à la présidentielle n’est prononcé, mais les allusions sont transparentes.
Je n’ai jamais pensé, moi, que dans le mot « PS », « S » voulait dire « sectaire ». Non, ça veut dire « socialiste ».
Bernard Cazeneuve, Créteil, 16 juin 2023
Et le fait que la gauche telle que s’est constituée autour de LFI ne soit plus capable d’inscrire la perspective d’accès au pouvoir de manière raisonnable, tout ça crée forcément un risque pour le pays.
François Hollande, Créteil, 10 juin 2023
Un espace où l’on dit « nous » plutôt que « je », où son initiateur ne se prend ni pour César ni pour la République à lui tout seul.
Bernard Cazeneuve, Créteil, 16 juin 2023
« Coups d’épaule vaniteux d’enfant gâté »
Le bruit et la fureur d’un hémicycle, un plateau TV, les coups d’épaules vaniteux d’enfant gâté ou la permanence des postures de défiance pour taper sur l’Europe ne sont ni un projet pour la gauche ni un projet pour la France.
Carole Delga, présidente de la région Occitanie
Et surtout pas d’outrance, et surtout pas d’extrémisme, mais d’abord une forme moderne à vrai dire, éminemment moderne, de démocratie.
Nicolas Mayer-Rossignol, Créteil, 10 juin 2023
Ceux qui ont la tentation de la stratégie de la confrontation sur tout et à chaque instant, ne réaliseront, croyez-moi, ni l’unité de la gauche, ni l’unité de la France. La seule unité qu’ils parviendront à réaliser est celle de l’extrême droite et de la droite extrême au plus grand détriment des Français.
Bernard Cazeneuve, Créteil, 16 juin 2023
Conception du dialogue social
Ah bon, la stratégie de LFI va pousser la droite dans les bras de l’extrême droite ? À vrai dire, elle y va toute seule, il suffit de regarder ses récentes propositions de loi sur l’immigration. Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Olivier Marleix ne semblent pas avoir besoin des petits bras musclés de Jean-Luc Mélenchon.
En revanche, qui était au pouvoir de 2012 à 2017 ? Qui a permis que Marine Le Pen soit présente au second tour de 2017 et recueille 33,90 % des voix alors qu’en 2012 elle n’avait pas franchi le premier tour ? Réponse : François Hollande et Bernard Cazeneuve, ces gens qui ne recherchaient pas la confrontation, sauf avec les adversaires de la loi Travail, c’est-à-dire la grande majorité des salariés.
À ce sujet, voici un échange intéressant sur la conception du dialogue social et du maintien de l’ordre, façon Cazeneuve, c’était en 2016.
« Stratégie de tension et d’intimidation »
Monsieur le ministre de l’Intérieur, depuis maintenant deux mois, les manifestations se succèdent contre la loi Travail, très majoritairement rejetée dans l’opinion publique. Depuis le 9 mars, un scénario identique se répète dans les cortèges, je parle des cortèges de manifestants, on constate la présence inhabituelle des forces de police en tenue ou en civil au contact direct de ces manifestants provoquant des tensions croissantes, des violences et des arrestations qui visent non pas des casseurs mais des jeunes manifestants et des syndicalistes. Plus grave, des nouveaux lanceurs de balles de défense qui ont fait perdre un œil à un jeune étudiant en géographie de 21 ans. Allez-vous enfin renoncer à cette stratégie de tension et d’intimidation pour faire respecter dans la sécurité de tous le droit constitutionnel de manifester ?
Pierre Laurent, sénateur communiste de Paris, Questions au gouvernement, Sénat, 3 mai 2016
C’est drôle, cette interpellation n’a absolument pas vieilli. On se croirait en 2023. Et qu’a répondu Bernard Cazeneuve, me demanderez-vous ?
Politique de la matraque
Il n’y a pas eu un mot dans votre question pour dénoncer ceux qui manifestent masqués, ceux qui manifestent avec des cocktails molotov, qui sont accueillis dans les cortèges et que nous protégeons, que nous protégeons ces cortèges de ces casseurs pour que ceux qui sont d’authentiques manifestants puissent manifester.
Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, Questions au gouvernement, Sénat, 3 mai 2016
Bref, la droite Darmanin ou la gauche Cazeneuve, c’est la même chose : la politique de la matraque. Cette gauche anti-Nupes, si elle vient à désigner un candidat, a peu de chances de l’emporter. En 2022, Anne Hidalgo, autre pourfendeuse de la Nupes, n’a recueilli que 1,75 % des voix. Mais c’est suffisant pour faire trébucher une candidature qui, cette fois, rassemblerait toute la gauche. C’est peut-être ça, d’ailleurs, l’objectif de ces revenants.
Soyez le premier à commenter