Apologie du terrorisme, pacte avec le bloc central, future élection présidentielle… à gauche, la recomposition est imminente

Boris Vallaud, député PS et président du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale, le 24/11/2024 ©FranceInter

En politique, identifier le moment où l’on peut être entendu est une qualité indispensable. C’est bien d’avoir des idées, encore faut-il se préoccuper de la réception de celles-ci par l’opinion. Pour le dire autrement, il faut avoir le sens du timing. A cet égard, la proposition de loi abrogeant le délit d’apologie du terrorisme déposée par le député LFI Ugo Bernalicis est l’exemple même de la méconnaissance de ce principe de réalité. Car elle a provoqué un tollé de protestations.

La France insoumise est systématiquement du côté de la montée d’abord du communautarisme, de la montée de l’islamisme, et que sur cette affaire ils ont tenu des propos d’une très très grande ambiguïté, qu’il y a une forme de connivence, au moins de complaisance, vis-à-vis du terrorisme.

Othman Nasrou, Secrétaire d’État chargé de la citoyenneté, le 24/11/2024

Le terrorisme islamiste a fait depuis plus de dix ans 273 morts, des centaines de blessés. Une limite a été dépassée. C’est innommable.

Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, le 25/11/2024

Gabriel Attal croit toujours au Père Noël

Gabriel Attal y est même allé d’un appel aux composantes républicaines de la gauche. Il leur a envoyé un courrier. A Noël, ça se fait beaucoup. “Je me souviens que c’est la gauche républicaine qui avait proposé et fait voter en 2014 ce texte. Saurez-vous vous désolidariser clairement de cette proposition de loi et défendre ainsi nos valeurs, celles de la République ?”

Ce matin, Emmanuel Bompard affichait sa stupéfaction devant les réactions de la classe politique.

Moi je suis estomaqué, pour vous dire les choses franchement, par une forme de “trumpisation” du débat politique en France. Et parfois, je dois le dire, par la paresse intellectuelle d’une partie de la classe médiatique française.

Manuel Bompard, député LFI et coordinateur national LFI, le 25/11/2024

Mais comment aurait-il pu en aller autrement ? Regardons le calendrier. Nous sommes juste après les commémorations des massacres terroristes du 13 novembre, à quelques semaines des 10 ans de la tuerie de Charlie et en plein procès de l’assassin de Samuel Paty. Autant allumer une cigarette à bord d’une citerne volante en train de ravitailler un Rafale.

Cette controverse était prévisible et Manuel Bompard ne peut en être étonné. Depuis le 7 octobre 2023, LFI se refuse à qualifier le Hamas de mouvement terroriste. Seule concession après plusieurs mois de déni, les insoumis reconnaissent désormais qu’il s’agit bien d’une attaque terroriste. La polémique commençait à décliner. Et c’est le moment précis que choisit Ugo Bernalicis pour remettre de l’huile sur le feu en proposant d’abroger le délit d’apologie du terrorisme. Dans cette situation, même le capitaine du Titanic aurait vu venir l’iceberg.

Une proposition de loi pertinente

C’est d’autant plus navrant que cette proposition de loi pointe à juste titre les dérives du délit d’apologie du terrorisme. Jusqu’en 2014, cette infraction était réprimée par la loi sur la presse de 1881 qui, comme son nom ne l’indique pas, est la grande loi qui régit la liberté d’expression en France. Les règles de procédure présentent suffisamment de garde-fous pour éviter tout recours injustifié à cette incrimination. Et les peines prévues par le droit de la presse ne sont pas moins sévères que celles prévues aujourd’hui par le code pénal. C’est François Hollande qui a fait basculer l’infraction dans le droit commun. Ce qui a entraîné son dévoiement.

Comme toutes les mesures sécuritaires, le délit d’apologie du terrorisme a été étendu bien au-delà de la répression du terrorisme. Dire un certain nombre de conneries sur Gaza ou autre chose ne fait pas de ceux qui les profèrent forcément des complices du terrorisme. Si on mettait tous les cons en prison, on n’en finirait pas. La France insoumise est sans doute la formation politique la moins bien placée pour remettre en cause le délit d’apologie du terrorisme.

Comment ne pas la soupçonner de vouloir laver Rima Hassan ou Mathilde Panot des poursuites dont elles font l’objet pour ce même motif ? Manuel Bompard est tout sauf idiot. La lumière est allumée à tous les étages.

C’est donc autre chose qui se joue à travers le timing retenu pour cette proposition de loi. Il s’agit de cartonner François Hollande et de créer un abcès de fixation avec le Parti socialiste. Pourquoi ? Parce qu’Olivier Faure considère qu’en cas d’élection présidentielle anticipée, Jean-Luc Mélenchon n’est plus le candidat naturel de la gauche. Il l’a d’ailleurs rappelé il y a quatre jours.

Je dirais qu’il y a d’autres candidats à gauche et qu’il n’y a pas de gens qui puissent s’autoproclamer à gauche. Moi ce que je plaide, c’est le fait que pour la prochaine élection présidentielle il y a un choix qui soit collectif et démocratique. Et que ce ne soit pas X ou Y qui dise : “Parce que je le vaux bien”.

Olivier Faure, député PS et Premier secrétaire du PS, le 21/11/2024

Un scénario insupportable pour le leader de la France insoumise qui ne fait pas mystère de son intention d’être une quatrième fois candidat à l’Élysée en cas de démission d’Emmanuel Macron. Une primaire pourrait brider ses ambitions. A supposer qu’il s’y soumette. Mais il y a pire. Voilà que le PS prétend désormais jouer un rôle central dans la recomposition politique du pays.

Je proposerai à tous les présidents de groupe du Sénat et de l’Assemblée nationale, de l’arc républicain, qui ont participé à ce front républicain, de poser la question des conditions d’une non censure. Ecrire en disant : “Nous sommes prêts à des compromis texte par texte. Nous sommes prêts à discuter des priorités de politique budgétaire”. Et on verra si un certain nombre de ceux qui se sentent responsables de rien alors même qu’ils ont été sèchement battu dans les urnes seront au rendez-vous.

Boris Vallaud, député PS et président du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale, le 24/11/2024

La gauche cherche son chemin

Le sang de Jean-Luc Mélenchon n’a fait qu’un tour. Ou plutôt deux, puisqu’il s’est fendu de deux posts sur le réseau X : “Alerte. Le PS est en train d’organiser un nouveau socle commun avec d’autres à la place du Nouveau Front Populaire. Vallaud, Faure, Bouamrane leur tendent la main. Qui empêchera ce changement de ligne au PS ?” “À la recherche d’une union nationale, pour transformer le NFP en « nouveau socle commun » avec d’autres. Le PS cherche des alliés. Mais ce sera sans LFI.”

Que le Parti socialiste, qui fait quasiment jeu égal avec LFI en nombre de députés, veuille retrouver un rôle central n’est pas une surprise. C’est même la vocation d’un parti politique qui s’inscrit dans le jeu démocratique. Là où Jean-Luc Mélenchon se trompe, c’est lorsqu’il met dans le même sac Olivier Faure et Boris Vallaud. Le congrès du Parti socialiste doit se tenir au cours du premier semestre 2025. Et Boris Vallaud pourrait briguer le poste de Premier secrétaire en remplacement d’Olivier Faure. Ce dernier est accusé par ses détracteurs – Carole Delga, Nicolas-Mayer Rossignol ou Hélène Geoffroy – d’être inféodé à la France insoumise.

En proposant un pacte de non-agression au bloc central jusqu’aux prochaines élections législatives, Boris Vallaud est assuré de ramener à lui tous les opposants d’Olivier Faure. D’autant que ce conglomérat n’a d’autre ciment que la détestation de LFI et de Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas pour l’instant la ligne d’Olivier Faure. Celui-ci n’a jamais cru qu’on pouvait remplacer la France insoumise par les orphelins du macronisme flamboyant.

Jeudi, à l’Assemblée nationale, la niche du groupe LFI permettra de tester la solidité du Nouveau Front Populaire. Les socialistes ont en effet accepté de voter la proposition de loi abrogeant la réforme des retraites y compris celle mise en place sous François Hollande par Marisol Touraine. Toutes les voix seront-elles au rendez-vous ? Il y a fort à parier que le député de Corrèze sera malheureusement retenu par une kermesse dans son département. A moins qu’il ne s’abstienne.

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