Agriculture : la droite et l’extrême droite à la manoeuvre pour réintroduire l’acétamipride

Aurélie Trouvé, députée « La France insoumise », le 26/05/2025 ©PurePolitique

Il n’y aura donc pas de débat dans l’hémicycle sur la réintroduction d’un pesticide dangereux pour la santé et la biodiversité. Grâce aux macronistes, à la droite et à l’extrême droite, la proposition de loi autorisant cette réintroduction a été rejetée. 274 votes pour et 121 contre. Mais ne croyez surtout pas que le parcours législatif de ce texte est terminé. Il avait été voté en première lecture par le Sénat. Il part donc en Commission mixte paritaire. Sans passer par la case débat dans l’hémicycle.

Pour contourner le mur d’amendements déposés par les députés de gauche, le rapporteur de la proposition de loi qui prévoyait cette disposition a déposé une motion de rejet de son propre texte.

Ce à quoi nous faisons face, c’est une stratégie d’obstruction délibérée. Une obstruction massive, revendiquée, assumée, méthodique, qui instaure une rupture de confiance. 3500 amendements ont été déposés dont 1200 propositions qui créent des articles additionnels. J’appelle cela du sabotage organisé. Un sabotage organisé par la France insoumise et les Écologistes qui refusent le débat dès lors qu’il ne leur est pas acquis.

Julien Dive, député « Droite Républicaine », le 26/05/2025

La manœuvre n’a échappé à personne.

Nous sommes appelés à nous prononcer sur une motion de rejet déposée par les propres artisans d’un texte incendiaire, soutenus dans leur volte-face par ceux qui leur ont tenu la plume et semblent vouloir dicter la loi à la place des députés.

Nous n’acceptons pas ce scandaleux jeu de dupe. Le parti politique arrivé dernier aux élections législatives de 2024 dicte désormais l’ordre du jour de l’Assemblée nationale depuis le Palais du Luxembourg. Il faudrait en plus que les députés s’écrasent et renoncent à leur droit de débattre. Dans quelle démocratie saine et mature la chambre des députés est-elle condamnée au silence ?

Mélanie Thonin, députée « Socialistes et apparentés », le 26/05/2025

Cette motion de rejet présente l’immense avantage d’effacer tous les revers que la droite et le gouvernement ont essuyé lors de l’examen du texte en Commission du développement durable puis celle des affaires économiques.

J’arrive à l’interprétation : n’est-ce pas un moyen de revenir à la version du Sénat qui fait que, par exemple, les articles 5 et 6 qui ont été repoussés par la Commission du développement durable, eh bien ça, ce soit jeté aux orties. N’est-ce pas le moyen que dans l’article 2 le fait qu’on ait voté contre la remise en cause de l’indépendance de l’ANSES, n’est-ce pas un moyen de dégager cela ?

Aurélie Trouvé, députée « La France insoumise », le 26/05/2025

Retour de l’acétamipride

Connaissez-vous l’acétamipride ? Cette substance est interdite en France depuis 2018. Elle appartient à la famille des néonicotinoïdes. C’est un pesticide, un produit phytosanitaire comme disent pudiquement ceux qui en font le commerce. Deux sénateurs veulent à nouveau l’autoriser. Le LR Laurent Duplomb et le centriste Franck Menonville.

En janvier dernier le Sénat a voté la proposition de loi qu’ils avaient déposé en ce sens. Tous deux sont agriculteurs de profession. Le premier, Laurent Duplomb, a même été président de la Chambre d’agriculture de Haute-Loire sous l’étiquette FNSEA. On ne s’étonnera donc pas que la proposition de loi reprenne des arguments développés depuis longtemps par ce syndicat qui défend l’agriculture industrielle.

Début mai, la proposition de loi a été examinée par les commissions du développement durable puis des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Le rapporteur, le député LR de l’Aisne Julien Dive, résumait ainsi la mesure essentielle.

Un décret pourra, à titre exceptionnel et dans des conditions strictes, déroger au principe de l’interdiction d’utiliser des produits contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes ou présentant des modes d’action identiques à ceux de ces substances. La dérogation ne pourra concerner que les substances approuvées au sein de l’Union européenne. Donc concrètement, l’acétamipride.

Le texte, ainsi strictement proportionné à l’objectif recherché : apporter une solution ponctuelle pour un usage précis à une filière qui ne dispose pas d’autre solution et qui se retrouve pénalisée par rapport à ses voisines européennes qui disposent de ladite solution.

Enfin, la dérogation applique qu’un plan de recherche d’alternatives soit mis en œuvre. Et je souhaite ajouter une précision dans le texte, à savoir que si une alternative apparaît alors que le décret de dérogation a été pris, ce décret devra être immédiatement abrogé.

Julien Dive, député « Droite Républicaine », le 13/05/2025

Concrètement, deux filières réclament cette dérogation : les betteraves et les noisettes. Mais peut-on mettre en danger la biodiversité et la santé des populations pour protéger de la concurrence ces cultures ? Car le principal argument mis en avant est commercial. La France est le seul pays à avoir interdit l’acétamipride. Partout ailleurs en Europe, la molécule est autorisée. Les productions françaises sont donc moins compétitives. Une situation que le Rassemblement national n’a pas manqué d’exploiter.

La mesure centrale de cette proposition de loi, tant attendue par l’ensemble du monde agricole, était l’abrogation de l’interdiction générale des néonicotinoïdes portée par la loi de 2016 dite de reconquête de la biodiversité. Du fait de cette mesure idéologique portée par le pouvoir socialiste en place, les producteurs français se sont retrouvés privés du recours à l’acétamipride.

Rien ne justifie que des substances autorisées dans la réglementation européenne qu’aucun autre État n’interdit soient écartées du marché français sans aucun égard pour les besoins de nos filières et en l’absence de toute alternative crédible.

Hélène Laporte, députée « Rassemblement national », le 13/05/2025

Pour la rapporteure de la proposition de loi devant la Commission du développement durable, Sandrine Le Feur, on ne peut pas prendre le risque de réintroduire l’acétamipride. Députée du Finistère, Sandrine Le Feur est, elle aussi, agricultrice. Elle appartient au groupe “Ensemble pour la République”. Preuve que le débat transcende les clivages partisans.

Nous avons une responsabilité commune, c’est bâtir une agriculture résiliente, respectueux du vivant et des générations futures. Dans une monde incertain où les ressources naturelles s’épuisent où la parole scientifique est parfois remise en cause, ce devoir collectif est plus urgent que jamais.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne répond ni à cette exigence ni aux attentes concrètes des agriculteurs qui nous demandent deux choses : vivre dignement de leur travail et être accompagnés pour s’adapter au réchauffement climatique.

Ce texte qui a été largement modifié comporte bien sûr des points utiles mais il suscite surtout de sérieuses inquiétudes et il ne doit pas servir de cheval de Troie pour affaiblir nos exigences environnementales.

Sandrine Le Feur, députée « Ensemble pour la République », le 26/05/2025

La sécurité alimentaire est directement menacée

Réautoriser l’emploi des néonicotinoïdes, c’est raisonner à courte vue. Les abeilles assurent 80 % de la pollinisation. Les pesticides perturbent leur système nerveux. Désorientées, elles ne retrouvent plus les ruches et finissent par mourir. Ce qui risque bien de sonner le bourdon de l’agriculture.

Nous avons vu disparaître plus de 60 % des insectes volants entre 2021 et 2024. Que vous faut-il de plus pour comprendre que nous sommes entrés dans la sixième extinction de masse et que sans biodiversité il n’y aura pas d’agriculture ?

Benoît Biteau, député « Écologiste et social », le 13/05/2025

Redoutant l’enlisement, le gouvernement et ses alliés de droite et d’extrême droite ont alors joué la carte de la motion de rejet. La manœuvre a parfaitement fonctionné. C’est désormais une Commission mixte paritaire – sept députés et sept sénateurs – qui décidera de son sort. Si la CMP parvient à se mettre d’accord, le texte qui sera soumis au vote des députés a de fortes chances de ressembler comme deux gouttes d’eau à celui sorti du Sénat. Chacun devra prendre ses responsabilités à ce moment-là. Devant l’opinion. Et devant les générations futures.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.