Plus les jours passent et plus ça se déglingue. Après avoir démonté le budget au point que les derniers soutiens du gouvernement ont voté contre la partie recettes, l’Assemblée nationale se prépare maintenant à régler son compte à la réforme des retraites. Hier, mercredi, en Commission des affaires sociales, les députés ont adopté la proposition de loi d’abrogation que présentera LFI lors de sa niche du 28 novembre. Le vote en séance publique semble d’ores et déjà plié.
Les 125 députés du Rassemblement national joindront leurs voix aux 192 suffrages du Nouveau Front Populaire. Marine Le Pen l’a confirmé sur RTL. Le texte partira alors au Sénat où il sera examiné le 23 janvier, à l’occasion d’une niche communiste. Il reviendra en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 6 février, à la faveur de la journée d’initiative parlementaire des écologistes.
Ce parcours pourrait cependant être émaillé de quelques défections. Sans pour autant hypothéquer l’adoption de la proposition de loi. Car le texte présenté par la France insoumise ne se contente pas d’abroger la réforme Borne. Il efface également la réforme précédente, celle portée par la ministre socialiste Marisol Touraine en 2013 et 2014.
La Nouveau Front Populaire reste le maître du jeu
A l’origine, les insoumis prévoyaient seulement de ramener l’âge de départ de 64 à 62 ans sans toucher au nombre d’annuités. Mais le 31 octobre, lors de sa niche parlementaire, le RN a proposé de fixer le nombre d’annuités nécessaires à 42 contre 43 aujourd’hui. Pas question de laisser le groupe lepéniste se montrer le mieux-disant. La France insoumise a donc rajouté à sa proposition l’abaissement à 42 annuités de la durée de cotisations.
Il est évident qu’il y a des députés au sein du groupe socialiste qui ne souhaiteront pas, à mon avis, voter cette partie du texte. Il se trouve qu’il y a un amendement LIOT qui a été déposé qui en quelque sorte réécrit cette partie du texte pour ne pas abroger entièrement la réforme Touraine mais pour abroger l’accélération de la réforme Touraine qui avait été fait lors de la réforme des retraites qui a volé deux ans de vie aux Français. Et nous verrons bien à ce moment-là qui vote cet amendement.
Nous, bien sûr, nous sommes favorables à l’abrogation totale de la réforme Touraine.
Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 19/11/2024
L’amendement en question a été déposé en commission par Laurent Panifous, député socialiste de l’Ariège. Hostile à la NUPES puis au NFP, il siège au sein du groupe LIOT.
Il y a deux choses très différentes dans cette proposition de loi. La première est l’abrogation de la réforme et de la mesure d’âge. La deuxième est celle de la loi Touraine sur la durée de cotisation. La mesure d’âge est une mesure qui est injuste. Elle mérite d’être remise en question.
En revanche, la question de la réforme Touraine, bien sûr je ne suis pas d’accord parce que c’est une mesure encore une fois très difficile, impopulaire, toujours impopulaire, mais c’est une mesure qui est à mes yeux est beaucoup plus juste.
Laurent Panifous, député LIOT, le 20/11/2024
Les démons du Parti socialiste
Au sein du groupe socialiste, les partisans de l’ancien président François Hollande et les adversaires d’Olivier Faure ont fait savoir qu’il était exclu de remettre en cause la réforme Touraine. Pour préserver l’unité du groupe, les socialistes ont donc choisi de soutenir l’amendement Panifous.
Pourquoi nous allons soutenir cet amendement Panifous ? Il y a aujourd’hui dans le pays une attente sociale majeure. Celle de l’abrogation de la réforme Borne. Il y a dans le pays un consensus de l’intersyndicale sur l’abrogation de la réforme Borne.
Et nous pensons qu’il faut savoir choisir ses combats. En l’occurrence, l’amendement de notre collègue Panifous nous permet, aussi, de soutenir ce message unanime et de ne pas fracturer le front social.
Arthur Delaporte, député PS, le 20/11/2024
L’amendement du député Panifous a été repoussé par la Commission. Mais le Rassemblement national n’a pas manqué de remuer le couteau dans la plaie. C’est de bonne guerre.
On voit que la guerre LFI – PS s’immisce au sein de cette Commission des affaires sociales. Il faudra vous poser la question au sein du NFP si vous gardez dans votre groupe monsieur Hollande, monsieur Faure, madame Pirès-Beaune, monsieur Guedj, qui ne s’étaient pas opposés à ces 43 annuités.
L’heure de vérité, par rapport à la position réelle des socialistes sur la question des retraites, est arrivée avec ce scrutin public. Et les Français verront réellement qui est cohérent en matière de retraite, qui est cohérent en matière de défense des travailleurs.
Thomas Ménagé, député RN, le 20/11/2024
Encore un revirement du Rassemblement national
Il n’empêche. Le RN est bel et bien en train de changer son fusil d’épaule. Non content de voter la proposition de loi de LFI le 28 novembre, il envisage maintenant de voter la censure lorsque le Premier ministre utilisera l’article 49-3 pour faire adopter le budget.
On va regarder le texte, comment il va sortir du Sénat, comment il va être proposé. Mais ce qui va être intéressant, la vérité c’est qu’on sait très bien qu’il y aura un 49-3 comme monsieur Barnier le Premier ministre l’a annoncé, c’est qu’à la sortie du 49-3 quelles seront ligne par ligne les choses qui seront proposées.
Depuis le début on n’a pas changé de stratégie, on se laisse la possibilité de censurer. Procès ou pas procès, ça ne change rien à l’affaire.
Jordan Guitton, député RN, le 19/11/2024
N’en déplaise à Jordan Guitton, le procès change tout à l’affaire. Si Marine Le Pen veut rouler du muscle en renversant Michel Barnier, c’est maintenant. Car elle n’est pas certaine de pouvoir le faire dans quelques mois sans risquer de se voir privée de son mandat parlementaire. En juin 2025 il redeviendra possible de dissoudre l’Assemblée. Dans l’hypothèse où Marine Le Pen viendrait à être condamnée à une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire, une dissolution la mettrait dans l’impossibilité de se représenter.
Une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel depuis 2009 protège la présidente du groupe RN de la déchéance de son mandat tant qu’elle n’a pas épuisé ses voies de recours, c’est-à-dire l’appel et la cassation. Mais si l’Assemblée est dissoute, la parlementaire Le Pen redevient une simple citoyenne. Et l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité devient alors effective. Impossible de revenir au Palais-Bourbon.
Marine Le Pen et la blanche colombe
Ce n’est d’ailleurs pas le moindre paradoxe du procès de Marine Le Pen. Dans l’hypothèse où le tribunal de Paris reprendrait les réquisitions du Procureur, la présidente du groupe pourrait devenir le meilleur rempart du gouvernement en place afin d’éviter de perdre son mandat de députée. Mais tout cela n’arrivera pas. Car Marine Le Pen et ses co-accusés sont comme la blanche colombe : innocents.
Moi je crois en leur innocence parce qu’il n’y a ni enrichissement personnel ni emploi fictif dans cette affaire. Tout le monde a travaillé. Il y a juste un désaccord entre le Parlement européen sur le travail parlementaire et les députés du Rassemblement national et à l’époque du Front national. Moi je pense qu’on sera à la fin innocenté parce que je crois en la justice de mon pays.
Rien ne peut empêcher le peuple d’élire la future présidente de la République. S’il souhaite que ce soit Marine Le Pen, il faut qu’il puisse s’exprimer. Ce qui est même intéressant dans cette affaire, si je peux me permettre, c’est que nos adversaires politiques l’ont aussi souligné. N’importe quelle personne de Mélenchon à Darmanin tout le monde est d’accord. Ce sont nos pires adversaires politiques.
Monsieur Mélenchon, monsieur Darmanin, qui sont peut-être d’ailleurs les concurrents de Marine Le Pen le prochain coup à l’élection présidentielle, ils ont dit qu’il faut que Marine Le Pen puisse se présenter à l’élection présidentielle. C’est quand même intéressant.
Jordan Guitton, député RN, le 19/11/2024
Si Gérald Darmanin et Jean-Luc Mélenchon se mobilisent autant pour Marine Le Pen, c’est surtout parce qu’ils espèrent bien l’avoir comme adversaire lors d’un second tour plutôt que par souci d’équilibre politique. Michel Barnier sera-t-il encore à la manœuvre à ce moment-là ? Pour l’heure, il enchaîne les revers. Mardi soir, les députés ont rejeté le projet de loi de finances de fin de gestion. Celui-ci prévoit l’annulation de 5,6 milliards d’euros de crédits afin de contenir le déficit public à 6,1 % en 2024.
Le retour des agriculteurs
Après un tour par le Sénat, le texte reviendra à l’Assemblée. Et ça se terminera par un 49-3. Enfin, il y a le retour des agriculteurs sur les barrages. Pour l’heure, ils sont moins nombreux qu’il y a quelques mois, mais ça peut changer.
Au début de l’année on avait un mouvement des agriculteurs qui partait de la base et qui n’était absolument pas encadré par les formations syndicales comme la FNSEA ou la Coordination rurale. C’était un moment spontané, un moment de cri de détresse spontané qui avait échappé à l’organisation syndicale. Là on n’est pas du tout dans cette configuration. On est dans une configuration où ce sont les syndicats qui prennent la main pour ne pas être débordés comme ils l’ont été au début de l’année.
Donc les agriculteurs sont encore plus dans la crise. On n’a pas apporté de réponse à leurs crises du revenu et elles se sont amplifiées avec les événements qui ont eu lieu au cours de l’été 2024. Et on remet une petite cerise sur la gâteau de tout ça, on est prêt à aller signer un accord Mercosur. En tout cas la commission européenne est prête à aller signer un accord de Mercosur.
Benoît Biteau, député Écologiste et social, le 19/11/2024
Ah le Mercosur. Déjà 25 ans qu’il agite les esprits à juste titre. Car cet accord installe une concurrence déloyale pour l’agriculture française. Sans parler de la catastrophe environnementale qu’il va entraîner en Amérique du sud.
La première raison de cette mobilisation, c’est bien clair, c’est d’abord des prix rémunérateurs qui sont en danger du fait, notamment, de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur. En tout cas, la situation sera encore bien empirée. Il n’y a pas d’accord de libre-échange avec le Mercosur qui puisse être vertueux. Les clauses miroirs sont une foutaise.
Et je le dis : le premier responsable de cette situation c’est évidemment le président Macron puisqu’il a laissé faire les négociations pendant des années. Il continue à dire que cet accord peut être bon s’il est signé avec des conditions, puisqu’il dit : “Je ne suis pas d’accord avec cet accord en l’état”.
Aurélie Trouvé, députée LFI, le 19/11/2024
Vent debout contre le Mercosur
En novembre dernier, plus de 600 élus de tous bords ont appelé Ursula Von Der Leyen à ne pas signer cet accord. Ce mardi, à l’Assemblée, un débat aura lieu à l’initiative du Premier ministre. Un vote clôturera les échanges. Michel Barnier espère ainsi afficher un front du refus. Car même chez les macronistes, on critique le traité.
Sur le Mercosur, on a une vraie difficulté sur le volet agricole. Nous l’avons dit et redit depuis des années. Et pour le moment, c’est en tout cas ce que nous présente Bruxelles, ne satisfait pas. En l’état, nous ne voulons pas voter le Mercosur. Nous, ce que l’on dit c’est qu’on veut préserver notre mode de vie et en même temps développer les échanges internationaux.
Ce qu’on veut c’est que la copie soit parfaite, claire, comme l’a été d’ailleurs nous, de notre côté on a toujours dit, au groupe Renaissance, et donc maintenant Ensemble pour la République, pour nous le modèle c’est l’accord avec le CETA, le Canada, qui nous est extrêmement profitable.
Sylvain Maillard, député EPR, le 19/11/2024
Il n’est pas sûr que la référence au CETA soit pour rassurer les agriculteurs. Ni même le bloc central. En juillet 2019, la majorité macroniste avait essuyé sa plus grave crise interne à l’occasion du vote de ratification du CETA. 52 députés LREM s’étaient abstenus et 9 avaient même voté contre. On ne risque pas de s’ennuyer en regardant le débat de mardi.
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