À l’Assemblée nationale, la gauche profite de la fracturation du bloc central

Cyrielle Chatelain, députée écologiste et social et présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, et Jérémie Iordanoff, député écologiste et social et vice-président de l’Assemblée nationale, le 22/10/2024 ©PurePolitique

L’alliance entre les macronistes et la droite de Laurent Wauquiez est moribonde. Chacun vit désormais sa vie, oubliant l’alliance qui avait notamment permis de porter Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée nationale. Quant à soutenir le gouvernement, tout ce petit monde semble s’en préoccuper comme de sa première chemise. Après tout, Michel Barnier n’est que de passage…

Hier soir, par exemple, les députés de Laurent Wauquiez ont voté avec le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement national pour renforcer l’exit tax. Ce dispositif permet de taxer les plus-values latentes des chefs d’entreprise décidant de transférer leur domiciliation fiscale à l’étranger. Les députés du groupe Ensemble pour la République, Horizons et MoDem s’y sont opposés. Sans succès. Ce sont les premiers qui ont gagné.

C’est encore avec le renfort du MoDem et contre l’avis du gouvernement que le Nouveau Front Populaire a remporté, mardi, une première victoire. Les députés des deux groupes ont voté la pérennisation de la surtaxe sur les hauts revenus du projet de budget 2025.

Le problème que vous allez avoir, et les Français le regardent, c’est qu’il y a deux mesures, deux mesures, dans ce budget qui concernent les personnes les plus riches ou les très grandes entreprises, et ce sont les deux seules mesures que vous proposez temporaires, toutes les autres sont permanentes. Et ça c’est quelque chose qui est peu acceptable par les gens.

Vous demandez de faire des efforts à tout le monde dans le pays de manière pérenne et les seuls à qui vous dites “rassurez-vous c’est exceptionnel” ce sont ceux qui ont très largement de quoi vivre. Déjà, ça c’est insupportable.

Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 22/10/2024

Un nouveau vice-président issu du Nouveau Front Populaire

Mais c’est surtout l’élection d’un nouveau vice-président de l’Assemblée nationale, ce même mardi, qui a mis en évidence les divisions de l’attelage qui soutient Michel Barnier. Le fameux socle commun qui rassemble le bloc central et la droite républicaine. Toujours moins commun et toujours plus friable.

Les divisions du socle en question ont permis l’élection, contre toute attente, de l’écologiste Jérémie Iordanoff qui a battu au troisième troisième tour la candidate LR Virginie Duby-Muller. Le poste semblait pourtant acquis à cette dernière, puisqu’il était auparavant détenu par la députée LR Annie Genevard, nommée à la tête du ministère de l’Agriculture.

Je crois que j’ai été élu grâce à tous les députés qui ont voté pour moi. D’abord, effectivement, le bloc du Nouveau Front Populaire et, on le voit au troisième tour, il y a des voix qui viennent du MoDem ou ailleurs, je ne sais pas qui vote, c’est un scrutin à bulletin secrets. Je crois objectivement que c’est la défaite de la majorité, du socle commun, on l’appelle comme on veut.

En fait, ils n’ont pas de programme. Ils se sont mis d’accord, ils ont fait une coalition mais pas sur un programme, donc évidemment il y a des tensions, il y a des frictions, ils ne savent pas où ils vont. Ce qui est en fait très inquiétant pour le pays.

Jérémie Iordanoff, député écologiste et social et vice-président de l’Assemblée nationale, le 22/10/2024

Vaudeville

Pour bien comprendre ce qu’il s’est passé, il faut remonter au début du mois. Tout commence par l’élection surprise, le 9 octobre, de la députée insoumise Aurélie Trouvé à la présidence de la Commission des affaires économiques. Sur le papier, le poste semblait devoir revenir à Stéphane Travert, le candidat d’Ensemble pour la République.

Mais au troisième tour de scrutin, les députés LR n’ont pas reporté leurs voix sur le macroniste. Au moins un vote – si ce n’est deux – est allé vers la candidate insoumise. Laurent Wauquiez revendiquait en effet pour ses amis la présidence d’une commission. Ses partenaires d’Ensemble pour la République lui ayant refusé ce cadeau, il a décidé de les faire battre. Pourquoi se gêner, hein ?

Mardi, à l’Assemblée, les macronistes ont pris leur revanche. Peu avant le vote, ils ne faisaient pas mystère de leurs intentions.

Il y a des accords qui ont été passés au mois de juillet dernier, qui étaient des accords valables auxquels on devait se tenir, qui ont été ensuite dénoncés par Laurent Wauquiez et la Droite républicaine, qui a présenté des candidates et des candidats contre les candidats du bloc central, du socle commun qui soutiennent Michel Barnier au moment des élections à la présidence des commission parlementaires.

Je considère que cet accord est largement remis en question et affaibli. Donc moi je me sens tenu par rien du tout.

Pieyre-Alexandre Anglade, député EPR, le 22/10/2024

Pour ne rien arranger, le MoDem avait décidé de présenter un candidat, Christophe Blanchet. Un geste de mauvaise humeur des centristes. Car ces derniers estiment anormal de ne pas être représentés au bureau de l’Assemblée nationale.

C’est au nom du rappel au règlement qu’on porte notre candidature. Parce que dans l’article 10 alinéa 2 du règlement intérieur de notre assemblée, il est prévu que le bureau est composé de pluralisme de la représentation de l’Assemblée nationale. Ca veut dire qu’on respecte la pluralité des groupes de l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, il manque deux groupes politiques dans ce bureau : le Rassemblement national et le MoDem. Donc ce n’est pas une division ou quoi que ce soit, c’est juste une responsabilisation de chacun en respect avec le règlement intérieur.

Christophe Blanchet, député MoDem, le 22/10/2024

Grande confusion et petites combines

Au troisième tour, Christophe Blanchet a retiré sa candidature. On pouvait raisonnablement penser que les voix du MoDem allaient se porter sur Virginie Duby-Muller, permettant à celle-ci d’être élue présidente. Pourtant c’est le député écologiste qui a été élu. Que s’est-il passé ?

Non, non. Je ne suis pas satisfait du tout. Je trouve que tout ça est fort dommage, y compris en termes d’équilibre et de pluralisme. C’est d’ailleurs pour ça qu’on avait retiré notre candidature. Alors je vois bien qu’on va nous faire porter tous les chapeaux de la Terre, c’est toujours sympathique. Je vous signale juste qu’au premier tour on fait 69 voix et qu’après au deuxième tour on n’en fait plus que 46. Et elles ne se sont pas reportées sur madame Duby-Muller.

C’est vrai que le fait générateur c’est ce qu’il s’est passé la semaine dernière. Ca a mis en tension un certain nombre de gens, manifestement, aussi et principalement dans le groupe Renaissance. L’idée n’est pas de se rejeter la faute, mais quand il y a des accrocs dans le contrat, évidemment ça produit ça et je le regrette.

On va surmonter ça, mais je veux dire qu’il faut faire attention parce qu’après vous avez des personnalités, des gens qui considèrent qu’ils ont perdu la commission des affaires économiques et que c’est injuste, et qu’il s’est passé quelque chose d’injuste par rapport au candidat qu’ils soutenaient. Ça produit ça.

Marc Fesneau, député MoDem et président du groupe Les Démocrates à l’Assemblée nationale, le 22/10/2024

En clair, le MoDem se défausse sur le groupe de Gabriel Attal. À demi-mot, Marc Fesneau convient que des députés MoDem ont voté pour Jérémie Iordanoff. Mais un contingent de députés d’Ensemble pour la République les a imités. Et peut-être, si l’on en croit Marc Fesneau, quelques députés Rassemblement national.

Il y a 20 votants de plus au troisième tour. D’où viennent ces 20 votants et pour qui ils ont voté ? Ils ne viennent pas du groupe du bloc central, ceux-là.

Marc Fesneau, député MoDem et président du groupe Les Démocrates à l’Assemblée nationale, le 22/10/2024

Du côté de la Droite Républicaine, on enrage. Même Philippe Gosselin dont l’expression est d’ordinaire policée, se lâche.

Gabriel Attal avait ce matin dit qu’il soutiendrait la candidature, dans le cadre d’équilibre, de Virginie Duby-Muller. Manifestement, ou il n’a pas dit les choses ou ses troupes ne le suivent pas. Mais dans tous les cas ça pose problème effectivement.

Avec des alliés pareils, si vous voulez, on n’a pas besoin d’ennemis, comme on dit. Vous savez, hein. Je n’en tirerai pas de conclusion définitive, mais pour le reste c’est une alerte supplémentaire parce que ce n’est pas la première fois et ça commence à piquer légèrement.

Philippe Gosselin, député LDR, le 22/10/2024

Le retour du 49-3

Sentant la situation lui échapper, le Premier ministre a brandi mardi la menace de recourir à l’article 49-3. Un avertissement qui s’adresse aussi bien à la gauche qu’à ses propres soutiens.

La faculté a été donnée au Premier ministre à titre provisoire d’utiliser le 49-3. Faculté qui est valable pour le projet de loi de finances de la Sécurité sociale, et le projet de loi de finances de fin de gestion. C’est une possibilité constitutionnelle mais l’objectif du Premier ministre Michel Barnier n’a pas changé, celui de laisser toute sa place au débat.

Maud Bregeon, ministre déléguée auprès du Premier ministre et porte-parole du Gouvernement, le 23/10/2024

La menace n’effraiera pas grand monde. Car la plupart des députés sont déjà convaincus que la discussion budgétaire se terminera par l’engagement de la responsabilité du Premier ministre. Dans ces conditions, pourquoi s’interdire de voter tantôt avec les uns, tantôt avec les autres ? De toute façon, à la fin, le gouvernement en fera à sa guise. À moins qu’une motion de censure le renverse.

Mais contrairement à la plupart des députés du Rassemblement national, Marine Le Pen et Jordan Bardella estiment que ce n’est pas encore le moment. Il faut d’abord en terminer avec le procès des assistants parlementaires.ident monarque. Encore une bonne raison de passer à la VIe République.

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