Le dimanche qui vient restera un tournant dans l’histoire du pays et peut-être de l’Europe. Défaite militairement et politiquement en 1945, l’extrême droite est en passe de rassembler un électeur sur trois dans notre pays et de devenir, au niveau européen, le groupe charnière entre la gauche et la droite.
Cette résurrection s’est nourrie des crises économiques et de leurs conséquences sociales, mais aussi de l’oubli qu’une société est autre chose qu’une addition de consommateurs. Et que la valeur des individus n’est pas indexée sur ce qu’ils peuvent dépenser.
La double défaite
La poussée de l’extrême droite signe la défaite du grand marché. Et par la même occasion de cette religion du progrès dont la gauche fournit longtemps le clergé. Progrès social, progrès générationnel (mes enfants auront une meilleure vie que la mienne), progrès intellectuel par la culture et l’éducation.
Cette promesse, éminemment républicaine, s’est effritée au mitan des années 1980 avec la conversion de la gauche à la culture de gouvernement. Entendez l’accompagnement du marché et la résignation devant l’ordre du monde. C’est justement à cette époque que les réprouvés d’hier entamèrent leur reconquête.
La France, comme d’autres démocraties, paye aujourd’hui l’addition de ces petits abandons qui forment le fleuve du renoncement. Vote protestataire à l’origine, le suffrage d’extrême droite est devenu, pour une large part, l’expression d’une adhésion.
Crise de foi
Qu’on ne s’y trompe pas : ce qui se produit en ce moment, c’est une crise de foi. Foi dans nos institutions, dans la capacité de celles-ci à représenter le peuple et trancher la dispute citoyenne. L’égalité, la justice, le mérite, la fraternité et le partage font figure de paradis perdus à tout jamais.
On s’étonne que Jordan Bardella, synonyme du vide sidéral en politique, puisse entraîner autant de gens derrière lui. C’est tout simplement parce que le théâtre de la Ve République apparaît encore plus factice à ceux qui suivent ce jeune homme bien mis. Voilà où nous en sommes rendus.
Le macronisme a poussé l’exercice à son paroxysme. Chaque jour ou presque, le président vient doctement nous entretenir des valeurs de la République pour les piétiner allègrement, sitôt les caméras éteintes. Et l’on voudrait qu’il y ait encore quelqu’un pour lui accorder crédit.
Il n’est pas minuit dans le siècle
Pour autant, il n’est pas minuit dans le siècle. Si la guerre gronde à l’est, si des vents mauvais agitent les esprits, la démocratie n’est pas défaite. Ce que va faire une élection, la suivante peut le défaire. Et si l’espoir d’une vie meilleure semble s’être égaré entre de mauvaises mains, il n’a pas disparu pour autant. À la République de reprendre son drapeau !
Le courage, disait Jaurès, « c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains, aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques ». Assurément, il nous faudra une bonne rasade de ce courage-là dans les temps qui viennent.
Serge Faubert
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