Michel Barnier désavoue le ministre de l’Économie pour ne pas déplaire à Marine Le Pen

Erwan Balanant, député MoDem, à l’Assemblée nationale le 24/09/2024 ©PurePolitique

On se demande vraiment quel intérêt Marine le Pen aurait à briguer l’Élysée en 2027. Ou même avant. Certes, le logement de fonction est confortable et l’apparat de la fonction présidentielle enivrant. Mais pour ce qui est du pouvoir réel, la présidente du groupe Rassemblement national l’a déjà entre ses mains. Ses moindres désirs sont devenus des ordres. À preuve le psychodrame qui s’est déroulé mardi. Tout commence sur la matinale de France inter.

Il ne faut pas commencer par dire avec qui on va, jamais, travailler pour peu qu’ils soient dans l’arc républicain. Ca veut dire que le Rassemblement national, contre lequel nous avons été élus, face auquel nous avons fait un front républicain, n’y appartient pas. Il faut être très clair dessus.

Antoine Armand, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, le 24/09/2024

Marine Le Pen voit rouge

Quelques heures plus tard, c’est une Marine Le Pen en furie qui traverse la salle des 4 colonnes.

Quand j’entends monsieur Armand ce matin qui explique que sa porte sera toujours fermée aux députés du Rassemblement national alors que nous avons juste le budget qui arrive, je pense que le Premier ministre doit aller expliquer à l’ensemble de ses ministres quelle est la philosophie de son gouvernement car il semblerait que certains n’aient pas encore totalement compris.

Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 24/09/2024

Marine Le Pen fulmine d’autant plus en colère que le matin même, Michel Barnier s’est rendu à l’Assemblée nationale pour une visite de courtoisie à laquelle participaient les présidents de groupe. La patronne des députés RN n’avait visiblement pas encore pris connaissance des propos d’Antoine Armand.

Que fait le Premier ministre lorsqu’il découvre l’incident diplomatique ? Eh bien, il appelle Marine Le Pen dans l’après-midi pour lui indiquer que son parti sera traité comme les autres formations. Et dans la foulée, Antoine Armand se fait remonter les bretelles.

En fin de journée, un communiqué laborieux de Bercy confirme que le jeune ministre recevra tout le monde. Antoine Armand mange son chapeau. Et le RN se frotte les mains.

Je crois que le ministre de l’Économie a appris la politesse. Il est jeune, il doit encore apprendre, et apparemment c’est la première leçon qu’il a reçue. Je pense qu’il a déclaré probablement un peu hâtivement, sans prendre conseil, qu’il allait recevoir tous les députés sauf ceux du Rassemblement national, plaçant nos 11 millions d’électeurs dans une situation peu confortable qui est celle de citoyens de seconde zone.

Nous avons toujours dit : c’est la première ligne rouge à ne pas franchir pour ne pas avoir une censure immédiate, le manque de respect, le manque de respect de nos électeurs et aussi le manque de respect de nos élus. Je pense que le Premier ministre a rappelé les règles au ministre de l’Économie, que tout va rentrer dans l’ordre et c’est tant mieux puisque le Premier ministre n’a pas été long à réagir.

Laurent Jacobelli, député RN, le 24/09/2024

Discorde au sein de la coalition gouvernementale

Mais chez les députés d’Ensemble pour la République, le nouveau nom de Renaissance qui lui-même remplaçait La République en marche, succédant ainsi à En marche – vous suivez toujours ? – à l’EPR, ça tangue.

Il ne faut surtout pas vivre au rythme des menaces du Rassemblement national. Notre ligne politique est claire, c’était celle d’ailleurs que nous avions affiché depuis les élections législatives, nous sommes évidemment fermement opposés au Rassemblement national et à la France insoumise parce que nous avons eux, non pas des désaccords sur des mesures, nous avons des désaccords sur des mesures avec la droite républicaine et avec la gauche républicaine. Et sur les mesures on peut et on doit négocier.

On a des ruptures de valeur avec l’extrême droite et avec l’extrême gauche. Antoine Armand a été en ce sens très clair et très fidèle aux principes qui ont toujours été les nôtres. Il a, je crois, rappelé dans son interview son attachement au front républicain. C’est évidemment ce que nous partageons pleinement dans notre groupe.

David Amiel, député EPR, des Finances et de l’Industrie, le 24/09/2024

On fera juste remarquer à David Amiel qu’Antoine Armand n’excluait pas la France insoumise de l’arc républicain. Mais bon… Cette mise à l’écart avortée du Rassemblement national n’est pas le seul motif de discorde qui travaille la coalition gouvernementale.

Le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, veut supprimer l’Aide médicale d’État, un dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Ils doivent être présents sur le territoire national depuis trois mois et disposer de ressources annuelles inférieures à 10 166 euros pour une personne seule. En 2023, 466 000 personnes ont bénéficié de l’AME pour un coût d’environ un milliard d’euros. Dans son programme pour les élections législatives, le RN réclamait la suppression de l’AME. Bruno Retailleau est sur la même ligne.

L’Aide Médicale d’État, on a un souci, nous sommes un des pays européens qui donnons le plus d’avantages. Et moi je ne veux pas que la France soit le pays le plus attractif d’Europe pour un certain nombre de prestations sociales.

Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, le 23/09/2024

Le MoDem prend ses distances

Cette offensive sur le terrain de l’aide médicale d’État fait tousser le MoDem.

Je ne comprends pas pourquoi le ministre de l’Intérieur rentre plein fer comme ça sur ce sujet. On savait très bien… On l’a vécu pendant tout le mois de décembre, novembre, décembre l’année dernière, sur cette question, il y avait des différences de point de vue fortes. La position équilibrée c’est de ne pas faire de l’AME le chiffon rouge qui règlerait tous nos problèmes. Ça n’existe pas.

L’AME, telle qu’elle est aujourd’hui, règle beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en crée. Elle soigne des gens, elle permet d’avoir un état sanitaire de la population qui est correct et ça coûte moins cher que si on n’avait pas l’AME. Il faut le répéter, et je le répèterai à l’envie autant de fois qu’il sera nécessaire.

Erwan Balanant, député MoDem, le 24/09/2024

“L’AME, c’est du gaspillage” diront certains. Ce n’est pas du tout l’avis de l’ancien rapporteur de la Commission des finances de l’Assemblée qui ne peut être soupçonné de vouloir dépenser sans compter.

C’est que c’est en matière de santé publique, extrêmement important de maintenir l’AME. Ce n’est pas là qu’il y a du gaspillage dans la dépense publique. Je vous l’ai dit. Je le redis. C’est le milliard qui est le plus inspecté par l’État français. C’est le milliard qui est le plus scruté dans le moindre de ses détails. Je ne dis pas qu’il y a quelques ajustements, il y a probablement quelques ajustements à faire. Mais n’alimentons pas ce fantasme que l’AME serait une dépense inutile.

Jean-René Cazeneuve, député EPR et ancien rapporteur de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 24/09/2024

Pas touche à l’AME

Là où l’histoire devient absurde, c’est que même chez Les Républicains, certains trouvent que la suppression de l’AME est une mauvaise idée. Ainsi le député Philippe Juvin qui est professeur de médecine et médecin anesthésiste-réanimateur.

S’il y a quelqu’un qui se casse la jambe devant les urgences que je dirige, qu’est ce qu’il va se passer ? On va m’amener le monsieur avec la jambe cassée, qu’est ce que je fais ? Je le soigne ou je ne le soigne pas ? On voit bien que de toute façon il faut un système pour soigner les gens quel que soit leur statut en situation régulière ou pas.

La question de l’AME qui peut se poser c’est éventuellement réduire le panier de soins. C’est vrai qu’au bout de quelques mois de présence sur le territoire, de façon irrégulière par exemple, vous pouvez bénéficier de chirurgie comme la prothèse de l’épaule ou la chirurgie de l’obésité. Ca, c’est probablement pas du tout nécessaire et on peut y revenir. Mais dire qu’on va supprimer l’AME c’est absurde.

La vraie question c’est l’immigration, mais une fois que les gens sont sur le territoire national il faut évidemment les soigner. Vous allez soigner les gens, leur donner à manger, leur donner à boire, c’est la moindre des choses.

Philippe Juvin, député LR, le 24/09/2024

Bruno Retailleau aux ordres du Rassemblement national

La révérence du gouvernement à l’égard du Rassemblement national ne s’arrête pas là Samedi 21 septembre, Raphaël Arnault, député du Vaucluse met en ligne ce post sur X : “Assassinat de Kanaks par les forces policières françaises envoyées spécialement à 17 000 kilomètres, couvre-feu instauré en Martinique face aux révoltes contre la vie chère : c’est l’actualité coloniale de notre pays cette semaine. Tu m’étonnes que ça soutienne aussi fort la politique israélienne.”

Laissons de côté les commentaires qu’appellent ce tweet. Et intéressons-nous à la chronologie. Mardi matin, Bruno Retailleau est sur CNews.

Dans la journée, je saisirai le procureur de la République, ça signifie que je porterai plainte. Je ne laisserai rien passer. En plus c’est un député.

Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, le 24/09/2024

On imagine que le ministre de l’Intérieur aura été prévenu par ses services. Eh bien, pas du tout. C’est le député européen du Rassemblement national, Matthieu Valet, qui a signalé le post de Raphaël Arnaud. Si vous avez participé aux manifestations non déclarées contre la réforme des retraites en mars 2023, vous l’avez sûrement croisé.

Mathieu Valet était à l’époque commissaire de police et directeur adjoint de la BAC de nuit du Val-de-Marne. Cette unité prêtait main-forte à la police parisienne pour courser les manifestants. Que Matthieu Valet nourrisse une certaine aversion envers les antifas est donc dans l’ordre des choses.

Dans un tweet, le commissaire devenu député européen revendique être à l’origine des poursuites contre Raphaël Arnaud. “En arrivant à LCI, j’ai croisé Bruno Retailleau. Je lui ai demandé de déposer plainte contre Raphaël Arnault, député LFI, fiché S, pour diffamation sur les policiers et les gendarmes. Dire que nos anges gardiens français assassinent en Nouvelle-Calédonie, c’est faire d’eux une cible !” Une demande qui a aussitôt été satisfaite par le ministre.

Mardi, à l’Assemblée, Raphaël Arnault s’est exprimé sur cette annonce de poursuites.

Il commence fort, le ministre de l’Intérieur, et c’est dans la continuité de ce qu’on dénonce déjà depuis des années, c’est-à-dire l’extrême droitisation de la vie politique et la brutalisation, encore une fois, de la vie politique. On voit bien que ce ministre de l’Intérieur, l’une de ses premières annonces quand même, c’est de faire taire les voix de l’opposition.

Parce qu’en réalité ce n’est pas tant sur la formulation du tweet qui pose problème, c’est le fait qu’on dénonce le fait qu’il y ait des kanaks qui soient tués à 17 000 kilomètres, et je l’ai bien souligné dans le tweet.

Raphaël Arnault, député LFI, le 24/09/2024

Au cours de cette conférence de presse, plusieurs confrères ont fait remarquer qu’un assassinat, à la différence d’un meurtre, implique une préméditation. Sauf à en rapporter la preuve, le mot est donc impropre.

Écoutez la réponse de Mathilde Panot. Personne n’a été interrogé par le fait, interloqué par le fait qu’il y ait 500 personnes disparues selon le rapporteur spécial de l’ONU aux droits humains.

500 personnes disparues… mais le problème c’est le terme “assassinat”. Vous avez une compagnie de CRS qui vient répondre aux martiniquais mais le problème c’est le mot “assassinat”. Il faut arrêter cette manière de faire de la politique en pointant les choses les unes après les autres qui est une manière de répondre seulement à ce que l’extrême droit choisit comme agenda.

Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 24/09/2024

De l’importance des sources

500 personnes ont disparu en Nouvelle-Calédonie. Autant que les victimes de la première journée de bombardements israéliens au Sud Liban. Et personne n’en parle… Ont-ils été tués par les gendarmes ? Les milices caldoches ? Et pourquoi ce silence de la presse, alors ?

Cette information provient d’une page du Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Ce site officiel renvoie vers un communiqué qui, lui, n’est pas officiel. Il est en effet dépourvu d’en-tête même s’il est signé par quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU. Le Haut-commissariat aux droits de l’homme voudrait prendre ses distances avec ce texte qu’il n’aurait pas procédé autrement.

Lisons ce communiqué. Que dit-il ? D’abord, que les informations dont il est fait état ont été reçues. Elles n’ont pas été vérifiées sur le terrain. Par exemple en effectuant la recension des 500 victimes supposées. D’ailleurs, le communiqué prend à son tour ses distances avec l’information qu’il rapporte, puisqu’il utilise le conditionnel : “500 personnes kanakes auraient été victimes de disparitions forcées”, écrivent les 4 rapporteurs. Mais dans la bouche de Mathilde Panot, cette prudence grammaticale disparaît.

Les 500 victimes supposées deviennent un fait attesté par l’ONU. Personne n’a été interrogé par le fait, interloqué par le fait qu’il y ait 500 personnes disparues. La situation en Nouvelle-Calédonie est déjà suffisamment dramatique pour qu’on ne vienne pas alimenter les tensions avec ce qui, en l’état, s’apparente à une fake news. Pour légitime qu’elle soit, la dénonciation du colonialisme n’a rien à gagner à propager des rumeurs.

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