C’est un séisme. Il s’en est fallu de neuf voix pour que le gouvernement soit renversé, lundi 20 mars, par l’Assemblée nationale. Le vent du boulet a décoiffé plus d’un macroniste. Sur le papier, les observateurs plus optimistes avaient pronostiqué qu’il manquerait au minimum vingt voix pour que la motion de censure l’emporte. C’est dire la surprise.
Pour retrouver un écart inférieur à une dizaine de voix dans l’histoire des motions de censure, il faut remonter à 1992 voire à 1968. Ce qui souligne la singularité du scrutin de ce lundi. Ce vote est dévastateur. Il vient confirmer que le gouvernement a truqué les cartes jeudi 16 mars, lorsque Élisabeth Borne a engagé la responsabilité de son gouvernement. Si elle l’a fait, c’est bien parce qu’elle avait compris que les députés allaient repousser son projet de loi en votant une motion de rejet.
La manœuvre saute aux yeux
Pour Charles de Courson, le député centriste qui a défendu la motion de censure transpartisane à la tribune, la manœuvre saute aux yeux.
Jeudi dernier, pourquoi est-ce qu’elle n’a pas voulu ? Elle n’a pas voulu qu’on mette aux voix. Ils ont déclenché le 49-3. Pourquoi ? Il y avait une motion de rejet, tout le monde savait, elle serait votée. Parce que là, ce n’est pas un vote bloqué. On compte les « pour », les « contre » et les abstentions. Et on était majoritaire. On les battait. Et quand ils ont vu ça, au dernier moment ils ont déclenché le 49-3. Donc c’est la négation d’un système démocratique.
Charles de Courson, député LIOT de la Marne, Palais Bourbon, 20 mars 2023
Pourquoi Courson est-il aussi affirmatif ? Après tout, on pourrait soutenir que s’il a manqué neuf voix à la motion de censure, il aurait donc manqué neuf voix à la motion de rejet. Oui mais voilà : le scrutin de jeudi dernier, s’il s’était tenu, se serait déroulé à la majorité simple. Pas de seuil à 287 députés comme hier. Il aurait suffi d’obtenir plus de voix que le camp d’en face. Peu importe le nombre de votants. Hier, sur les motions de censure, on a voté selon la règle de la majorité absolue. Il faut impérativement recueillir les voix de la moitié des députés plus une.
Eternelle dénonciation de la coalition des extrêmes
Certes, tout le week-end, les macronistes ont tenté de camoufler les véritables raisons du recours au 49-3. Écoutez Aurore Bergé dimanche exposer les arguments du président de la République.
Pendant des mois, des semaines, on a dit partout, sur tous les tons, à quel point cette réforme était indispensable, à quel point cette réforme était vitale pour les Français. Donc il a considéré, à la dernière minute finalement, on calait et qu’on prenait le risque de ne pas faire cette réforme, finalement ça voulait dire aussi qu’on aurait peut-être menti aux Français.
Aurore Bergé, députée des Yvelines et présidente du groupe Renaissance, France Inter-Le Monde, 19 mars 2023
Et puis bien sûr, lundi, l’éternelle dénonciation de la coalition des extrêmes, était au rendez-vous.
Quand vous voyez que monsieur Charles de Courson, qui a soutenu la réforme des retraites à 65 ans, et dit tout son contraire. Elle est où la crédibilité des politiques ? Elle est où ? Il faut dire la vérité aux Français. Mais il y a eu des mensonges aussi du gouvernement, avec les 1 200 euros… Et là nous assistons aujourd’hui, à un jeu de scène, un jeu de rôle, pour faire tomber le gouvernement. Mais quelle est l’alternative ? La vraie question : quelle est l’alternative ? Est-ce que ces personnes aujourd’hui sont en capacité de travailler ensemble, de proposer une vraie réforme, une vraie alternative. Je dis : « non ». Et quand je vois l’alliance des extrêmes je m’inquiète.
Fadila Khattabi, députée Renaissance de la Côte d’Or, Palais Bourbon, 20 mars 2023
Élisabeth Borne, le fusible
Comment les Français ne se sentiraient-ils pas floués ? Dépossédés de l’expression démocratique de leur volonté. Volés, pour le dire simplement. Avec Élisabeth Borne et Emmanuel Macron, la Constitution, c’est : face je gagne, pile, tu perds. Il ne faut pas s’étonner si le pays s’enflamme.
C’est une crise grave puisque l’attitude du gouvernement est en train d’extrémiser le pays. Et ça, c’est extrêmement dangereux. Quand on nie la voix du peuple et de ce que pense massivement le peuple… Je regardais le dernier sondage qui est sorti dimanche, dans le JDD chez vos collègues, et qui voit que le président de la République est tombé à 28 % d’opinion favorable. Comment voulez-vous diriger un pays avec une telle impopularité ? J’ajouterais que ce qui le spécifie c’est que ce n’est pas de l’hostilité, c’est de la haine.
Charles de Courson, député LIOT de la Marne, Palais Bourbon, 20 mars 2023
La question de l’avenir de ce gouvernement est maintenant posée. Élisabeth Borne prétendait incarner l’art du compromis. Aujourd’hui, elle illustre la solitude du fusible dans son boîtier.
« Le gouvernement Borne, c’est terminé »
Le moment Borne est terminé. La réalité c’est que ce gouvernement ne tient plus qu’à un fil pour ne pas dire qu’il ne tient plus du tout. Neuf voix, ce sont tout simplement l’expression de gens qui n’ont pas voulu aller jusqu’au bout, qui étaient prêts à voter la semaine dernière contre le texte mais qui ne voulaient pas d’une dissolution parce qu’ils la craignent. Mais la réalité c’est qu’il n’y a plus personne pour venir au secours de ce gouvernement. Le groupe Liot, les centristes, ont déjà dit qu’ils n’en étaient pas. Les Républicains, après s’être fait cracher dessus au lendemain du 49-3, ne sont pas prêts à recommencer la petite danse qu’ils avaient entamée avec le gouvernement. Les syndicats ont tous le sentiment d’avoir été depuis le départ bafoués et méprisés. Et donc la réalité c’est qu’il n’y a plus personnes aujourd’hui pour discuter avec madame Borne. Le gouvernement Borne, c’est terminé. Peut-être tiendra-t-elle encore quelques jours, mais la réalité c’est que c’est terminé.
Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et premier secrétaire du PS, Palais Bourbon
Mais l’éventuel départ d’Élisabeth Borne peut-il suffire pour dénouer la crise ? Ce serait confondre une conséquence de l’incendie avec ses causes.
Le tour du Conseil constitutionnel
Songez bien que ce qu’il s’est passé aujourd’hui est bien plus profond dans ses sources, est bien plus large dans ses conséquences que la seule réforme des retraites. Il y a une crise sociale considérable, et au cœur d’une crise de la vie chère, les parlementaires de la majorité, le président de la République, sa Première ministre qu’on a vu, en définitive, assez peu au banc, ont décidé de brutaliser un peu plus encore les Français. Ils ont aussi pris le risque des formes les plus désordonnées de la contestation parce qu’ils ont disqualifié le dialogue social en méprisant les partenaires sociaux. Ils ont abîmé le débat parlement en l’esquivant. Eh bien oui, nous continuerons, avec toutes les voies de droit qui sont les nôtres, le combat. Dans les manifestations de l’intersyndicale, en donnant la parole aux Français à travers un référendum d’initiative partagée, et dans un recours au Conseil constitutionnel qui a beaucoup à dire sur les procédures et les abus de pouvoir de cet exécutif.
Boris Vallaud, député des Landes et président du groupe socialiste-Nupes, Palais Bourbon
Le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur la sincérité des débats. La multiplication des instruments de procédure tout au long du parcours de la loi renvoie l’image d’une démocratie factice. Ainsi l’article 47-1 de la Constitution qui enferme le débat dans un délai contraint de cinquante jours. L’article 44-2 qui permet au gouvernement d’écarter des amendements qui n’ont pas été soumis en commission. L’article 38 du règlement du Sénat qui limite les interventions sur chaque amendement à un pour et un contre. L’article 44-3 qui a permis le vote bloqué sur la fin de texte au Sénat. Enfin, l’article 49-3 qui permet d’adopter un texte sans vote des députés. Ça fait beaucoup dans la balance. Ça fait trop pour les Français.
Nous avons un président de la République qui utilise, comme dans une fuite en avant, l’ensemble des outils à sa disposition : le 49-3, le 44-2, le 44-3, le 47-1. On ne les compte plus, pour finalement ne pas entendre les Français et passer en force par rapport au Parlement. Nous sommes face à un pouvoir solitaire qui pense pouvoir décider absolument seul, sans prendre l’avis de personne, et en méprisant l’ensemble des parlementaires et du débat.
Cyrielle Chatelain, députée de l’Isère et présidente du groupe écologiste-Nupes, Palais Bourbon
« Rien n’est réglé »
C’est le paradoxe de la séquence. L’exécutif se complaît dans le déni. Tout va très bien madame la marquise…
Nous avons le sentiment que la Première ministre, le président de la République, le gouvernement, la majorité, ne comprennent pas ce qui est en train de se passer dans le pays. Nous avons le sentiment, finalement, qu’ils ne mesurent pas la gravité de la fracture démocratique qu’ils sont en train de produire en faisant comme si, finalement, on pouvait oublier tout ça, passer à autre chose.
Pierre Dharréville, député des Bouches-du-Rhône GDR-Nupes, Palais Bourbon
Pour Mathilde Panot, l’exécutif aurait tort de croire que la séquence sur les retraites s’arrête avec le vote sur la motion de censure.
Rien n’a été réglé et tout continue dans le pays pour continuer à faire en sorte que cette réforme soit retirée. Et vous l’aurez compris, les centaines de milliers de gens qui se rassemblent maintenant tous les jours dans le pays, depuis ce jeudi, et le passage en force avec le 49-3, ne s’arrêteront pas.
Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe LFI-Nupes, Palais Bourbon
Aurélien Pradié, héros du jour
Du côté des Républicains, le héros du jour s’appelle Aurélien Pradié. Avec lui, un tiers du groupe LR a voté la motion de censure transpartisane. Ils sont très exactement 19 sur 61. Ce qui représente une claque magistrale pour le président du groupe, Olivier Marleix et le président du parti, Éric Ciotti. Sans oublier Laurent Wauquiez, le candidat putatif de LR à la présidentielle (ce n’est pas un gros mot). Une partie des voix dissidentes vient de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Celle-là même que dirige Wauquiez, pourtant favorable à la réforme gouvernementale. Mais Aurélien Pradié affecte de ne pas s’intéresser aux secousses de son parti. En futur candidat à la présidentielle, il parle déjà à la France.
Il y a un électrochoc absolument considérable, que le président de la République et la Première ministre ne peuvent pas ignorer. On s’est habitué à un mode dégradé de notre démocratie. Une motion de censure est passée à un cheveu d’être adoptée. La Première ministre est maintenue, c’est la règle de nos institutions, et je ne pourrais pas être un député de la nation digne de cette fonction si je ne respectais pas la règle du jeu qui aujourd’hui a été fixée. Mais qui peut croire qu’on va pouvoir mettre la poussière sous le tapis encore longtemps ? Ce texte de réforme des retraites est profondément empoisonné. Démocratiquement, socialement, politiquement. Le président de la République a une responsabilité : rassembler la nation. Personne ne pense qu’on va pouvoir continuer comme ça sans que dans le pays il y ait des fractures qui peut-être ne seront pas cicatrisables. C’est au président de la République de dire que désormais ce texte-là ne peut pas rentrer dans la vie des Français. Parce qu’il y rentre de la pire manière qui soit. Et qu’il faut que les uns et les autres nous soyons capables de nous reparler. Je le dis avec la même gravité que celle que j’avais lorsque je suis allé voter la motion de censure. Il y a quelques semaines on nous disait que c’était impossible qu’une motion de censure soit adoptée. Aujourd’hui on est à neuf voix près. Neuf voix près. Oui, la Première ministre est maintenue, mais dans quelles conditions ?
Aurélien Pradié, député LR du Lot, Palais Bourbon
Régime en crise
Emmanuel Macron doit s’exprimer demain à 13 heures sur TF1 et France 2, à 24 heures d’une nouvelle manifestation de l’intersyndicale. La reconquête de l’opinion s’annonce difficile, voire impossible. Comme le rappelait Charles de Courson, la cote de popularité du chef de l’État est tombée à 28 %. La même dégringolade qu’en 2019 au plus fort des manifestations des gilets jaunes. Rien de plus logique après tout. Ce que nous vivons n’est que la répétition à bas bruit, pour l’instant, de ce mouvement.
Chaque soir, la rue s’enflamme. Les centaines d’interpellations arbitraires n’y changent rien. Tout comme la brutalité croissante des forces de police. Entre poubelles et incendies, les manifestants ne désarment pas. C’est désormais le régime qui est en crise. Et le consentement à l’autorité qui s’effiloche dangereusement. Il est temps de dire adieu aux institutions périmées de la Ve République. Sauf à vouloir hâter l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
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