Le vote congédiant Michel Barnier n’avait pas commencé que déjà, à la tribune de l’Assemblée, s’esquissaient les premières recompositions. Sans doute la classe politique française avait-elle besoin de cet uppercut au foie pour esquisser une politique de compromis. Chose banale chez nos voisins allemands, espagnols ou italiens. Paradoxalement, c’est celui qui a été incapable de bâtir le dit compromis qui le résume le mieux.
Ce qui est en jeu, c’est notre capacité collective à faire des pas les uns vers les autres, à dépasser les tensions et les clivages qui font tant de mal à notre pays, à avoir comme seule boussole l’intérêt général.
Michel Barnier, Premier ministre, le 4/12/2024
Au revoir monsieur Barnier
Le recalé de Matignon a préféré s’aplatir devant Marine Le Pen plutôt que d’entendre le Nouveau Front Populaire. Pressée par ses électeurs d’en finir avec le macronisme et ses succédanés, la première ne lui a manifesté aucune gratitude. Et la gauche, traitée comme un chien galeux, n’a pas tardé à basculer dans le rejet. Tant pis pour le génie des alpages qui aura désormais du temps pour classer ses photos avec Jean-Claude Killy.
Son départ contraint a toutefois le mérite de rééquilibrer les pouvoirs. Il aura enfin servi à quelque chose.
Pour la première fois depuis 62 ans, un gouvernement a été censuré par le Parlement. C’est le signe que le pouvoir n’est plus à l’Élysée, qu’il est désormais à l’Assemblée nationale. Le président de la République devra en tenir compte.
Nous disons aux Françaises et aux Français que cet exercice inhabituel de la censure est finalement la marque d’une démocratie parlementaire qui a repris le pouvoir. Cette situation d’un gouvernement qui tombe, ça peut arriver partout ailleurs. Ça arrive dans d’autres démocraties matures.
Arthur Delaporte, député Socialistes et apparentés, le 4/12/2024
À gauche, la conduite à tenir fait débat
Que le vote de la motion de censure entérine la revanche du parlementarisme sur le présidentialisme, chacun en convient à gauche. Mais sur la conduite à tenir dans les prochains mois, il y a une grande divergence.
Pour sortir de l’impasse dans lequel a placé le pays le président de la République, il ne reste qu’une solution : nous demandons maintenant à Emmanuel Macron de s’en aller.
Ce n’est d’ailleurs pas que la France insoumise qui pense que c’est inéluctable, ce sont 63 % des Français qui pensent de même puisque le gouvernement Barnier est tombé, ce sont aussi des personnalités comme Charles de Courson, comme Hervé Morin, comme Jean-François Copé, ou même le président de l’association des maires de France David Lisnard qui pense lui aussi qu’il est inéluctable que le président s’en aille.
Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 4/12/2024
La sortie de crise ne peut résider dans le seul départ du président de la République. D’abord, parce que l’Assemblée nationale restera la même jusqu’en juillet 2025. Ensuite, parce que rien ne dit qu’Emmanuel Macron démissionnera. Ce personnage instable tient davantage de Néron que du Général De Gaulle. Il préfèrera sacrifier le pays plutôt qu’égratigner son narcissisme. Les socialistes proposent un autre chemin.
Le choix qui est devant vous est désormais clair. Préférez-vous négocier avec une gauche au pouvoir que certains jugent imparfaites mais avec laquelle vous partagez la plupart des combats républicains ? Ou continuez-vous à courber l’échine aux injonctions de madame Le Pen ? Que préférez-vous ? La laisse et le bâton du Rassemblement national ou la responsabilité républicaine au prix de négociations parlementaires exigeantes ? Nous vous demandons d’être à la hauteur de la France et d’entendre les aspirations à la fraternité du pays.
Chers collègues, la stabilité ce n’est pas de continuer de livrer le gouvernement aux maîtres chanteurs de l’extrême droite. Le bon sens, ce n’est pas de régler la crise budgétaire en poursuivant la politique qui l’a mise en cause. Cette motion de censure n’est pas une fin en soi. Notre responsabilité est de présenter une issue et des solutions.
Boris Vallaud, député Socialistes et apparentés et président du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale, le 4/12/2024
Nouveau Front Populaire à Matignon, front républicain à l’Assemblée
Une nouvelle donne que les socialistes résument ainsi : Nouveau Front Populaire à Matignon, front républicain à l’Assemblée. Un projet que les écologistes pourraient rejoindre. Mercredi, anticipant la chute du gouvernement Barnier, ils ont présenté onze mesures qui devraient être le point de départ d’un gouvernement de gauche. Une version très allégée du programme du Nouveau Front Populaire. Le gouvernement qui mettrait en place ces onze mesures s’engagerait à renoncer à l’utilisation de l’article 49-3 dans le cadre d’un accord de non censure. Autrement dit, il faudrait trouver une majorité, texte par texte.
Nous mettons ses propositions pour construire avec les groupes qui sont républicains des majorités. Le Nouveau Front Populaire a su le faire sur un certain nombre de mesures dans le cadre du budget.
Nous souhaitons que nous allions plus loin et que, oui, nous montrons enfin une politique, aujourd’hui de gauche, écologiste, qui protège. Qui protège la santé, qui protège le pouvoir d’achat, qui protège les impacts du réchauffement climatique. Elle peut avoir une majorité et perdurer dans le temps.
Cyrielle Chatelain, députée Écologiste et social et présidente du groupe Écologiste et social à l’Assemblée nationale, le 4/12/2024
Gabriel Attal sort les violons pour draguer les socialistes
Du côté des macronistes, on a compris qu’il était temps de chercher sinon des alliances du moins des partenaires à gauche.
Nous préférons porter l’espoir qu’un jour, et le plus tôt sera le mieux, la gauche républicaine, la gauche de gouvernement, celle qui a eu l’honneur de donner par deux fois un président à la France, que cette gauche se ressaisisse et se mette avec nous autour de la table enfin pour agir vraiment pour les Français.
Chers collègues socialistes, au début de cette séance, monsieur Mélenchon était dans les tribunes pour assister à nos débats. Il a écouté religieusement l’orateur de la France insoumise, il a écouté religieusement madame Le Pen, il s’est levé et est parti au moment où Boris Vallaud a pris la parole. Il la respecte plus que vous. Qu’est-ce que vous faites encore avec eux ?
Gabriel Attal, député EPR et président du groupe EPR à l’Assemblée nationale, le 4/12/2024
L’ancien Premier ministre d’Emmanuel Macron veut pactiser avec les socialistes. Mais pas avec la France insoumise. Ça tombe bien, certains rêvent au Parti socialiste de s’émanciper définitivement de Jean-Luc Mélenchon. Mais ce n’est pas le cas d’Olivier Faure ou de Boris Vallaud. Et puis, la main tendue de Gabriel Attal ne règle rien. Qui va aller à Matignon ? Un macroniste comme Sébastien Lecornu ou bien un représentant du Nouveau Front Populaire ? A moins que ce ne soit François Bayrou. Car le MoDem fait lui aussi des avances à la gauche.
L’argument de la proportionnelle
Cela passe par un système institutionnel qui favorise le compromis. Il s’agit, je le dis avec une forme de gravité, de question de survie pour notre démocratie. Cela passe par un mode de scrutin qui puisse libérer les différentes familles politiques des logiques de blocs tout en respectant les identités de chacun.
Cela passe aussi par une discussion sans tabou sur les sujets auxquels nous faisons face et qui continuent de diviser. C’est le cas des retraites, par exemple, et de la révision de la réforme de 2023.
Marc Fesneau, député MoDem et président du groupe Les Démocrates à l’Assemblée nationale, le 4/12/2024
L’ancien ministre de l’Agriculture est habile. Car en proposant l’instauration d’un scrutin à la proportionnelle sans vraiment le dire, il règle la question du second tour et du report des voix. En effet, il n’y a qu’un seul tour à la proportionnelle. Si donc les socialistes acceptaient un pas de deux avec les centristes du MoDem, ils n’auraient pas à redouter des mesures de rétorsion de LFI. Et pour faire bonne mesure, Marc Fesneau met dans corbeille de mariage une renégociation de la réforme des retraites.
Jordan Bardella ne vise plus Matignon
Mais que faire du Rassemblement national ? Hier encore, les députés lepénistes voyaient Jordan Bardella entrer à Matignon. Ce n’est plus à l’ordre du jour.
Nous, nous n’avons jamais demandé à ce que le Premier ministre soit issu du Rassemblement national parce que nous avons à la différence du Nouveau Front Populaire acté que même si nous étions le premier groupe de cette Assemblée nationale, même si nous avons acté que nous étions les plus nombreux en voix aujourd’hui, nous n’avions pas une majorité qui nous permettait de mettre en place le programme politique qui est celui du Rassemblement national.
Thomas Ménagé, député RN, le 4/12/2024
La présidente des députés du Rassemblement national est sur une ligne très consensuelle. Soyez attentifs au vocabulaire employé lors de cet échange saisi au cœur de la nuit.
Plus un Premier ministre est nommé rapidement, plus il a la capacité de nommer son gouvernement rapidement et plus nous pouvons nous remettre au travail avec l’ensemble des forces, d’ailleurs, de l’Assemblée nationale pour travailler à un compromis sur un projet de loi de finances de la Sécurité sociale et un projet de loi de finances.
Les conditions, nous, que nous avons exprimé, les souhaits que nous avons exprimé, sont les mêmes qu’au mois de juillet dernier. C’est-à-dire un Premier ministre qui tienne compte du fait qu’il n’est pas appuyé sur une majorité et qui doit donc tenir compte de l’ensemble des forces politiques pour, en quelque sorte, co-construire ce projet de loi de finances de la Sécurité sociale et ce projet de loi de finances. Parce que c’est la démocratie.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 4/12/2024
Emmanuel Macron, perdu en son palais
Marine Le Pen qui parle de compromis et de coconstruction. Il vaut mieux entendre ça que d’être sourd. Mais quand même. Il faut prévenir quand on prend un virage aussi rapidement. Le pays est bloqué et ce n’est pas Emmanuel Macron qui le remettra en marche.
Pour cela, il faudrait qu’il ait le sens de l’État et le souci du bien commun. Perdu en son palais, espérant que la lumière surgira de Notre-Dame reconstruite, le narcisse de l’Élysée divague tandis que le peuple souffre.
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