C’est la polémique du week-end. Les journalistes Thomas Legrand et Patrick Cohen, tous deux éditorialistes sur France Inter, ont été surpris par la caméra du média d’extrême droite L’Incorrect alors qu’ils échangeaient avec deux cadres du Parti socialiste, Pierre Jouvet, député européen et secrétaire général de la formation qui était accompagné de Luc Broussy, le président du conseil national du même parti.
« On fait ce qu’il faut ! »
Au cours de cet échange capté à l’insu des intéressés, Thomas Legrand lâche une phrase qui interpelle : « Nous, on fait ce qu’il faut pour [Rachida] Dati, Patrick [Cohen] et moi. ».
Faute de contexte, cette déclaration peut s’entendre de deux façons : soit il s’agit d’un regard que le journaliste porte sur son propre travail, soit c’est l’aveu d’une collusion avec un parti dans le cadre d’un combat politique.
Constat ou collusion
Dans la première hypothèse, c’est un simple constat. Dans la seconde, c’est la preuve qu’une plume engagée est devenue une plume partisane.
C’est la deuxième interprétation que va retenir Rachida Dati. Dans un post sur le réseau social X, elle écrit :
« Des journalistes du service public et Libération affirment “faire ce qu’il faut” pour m’éliminer de l’élection à Paris. Des propos graves et contraires à la déontologie qui peuvent exposer à des sanctions. Chacun doit désormais prendre ses responsabilités. »
Quelques heures plus tard, Thomas Legrand est suspendu de l’antenne par Adèle Van Reeth, la directrice de France Inter.
Tournure malheureuse
Dans un post sur X, le journaliste reconnaît que la tournure de sa phrase est « malheureuse » tout en assumant de « s’occuper journalistiquement des mensonges de Madame Dati ».
Voilà pour le contexte. Posons quelques repères tout d’abord. Aucun journaliste n’est neutre, pas plus ceux du service public que des médias privés. Le regard que portent les uns et les autres sur le cours du monde est le produit d’une histoire personnelle, façonnée par un milieu socioculturel, une formation, une carrière… Un habitus, dirait Pierre Bourdieu.
Diversité des journalistes et Charte de Munich
Cela vaut de l’extrême droite à l’extrême gauche. Ce qui sera important pour l’un sera négligeable pour l’autre. C’est ce qui fonde la diversité de la presse et partant son rôle dans une démocratie. Pourvu que les règles déontologiques de la Charte de Munich soit respectées, il faut se féliciter qu’il en aille ainsi.
Thomas Legrand et Patrick Cohen sont classés plutôt à gauche. Oui et alors ? Il y a aussi d’excellents journalistes à droite qui ne font pas mystère de leur engagement. Cela n’en rend pas leur propos moins pertinent. L’essentiel est de permettre à des familles de pensée distinctes de s’exprimer équitablement. Ce que menace aujourd’hui la concentration des médias entre les mains de quelques oligarques. C’est là le vrai danger.
Comment récolter de l’info sans parler aux politiques ?
Que des journalistes échangent avec des politiques, hors micros et caméras, est d’une banalité sans nom. C’est même une exigence du métier. Comment recueillir des informations sinon ? L’auteur de ces lignes partage plus d’un café dans sa semaine avec un acteur de la vie publique. Et son téléphone est souvent bouillant en fin de journée.
L’extrême droite a trouvé son os à ronger. Le service public est un repaire de gauchiasses qu’il faut nettoyer. Avec Rachida Dati dans le rôle de l’exécutrice des basses œuvres.
Plus surprenante est la série de posts consacrés par le député LFI Paul Vannier à cette tempête médiatique. « On attend les tweets de soutien de tout l’état-major du PS, voire un communiqué du parti, pour soutenir leurs camarades Legrand et Cohen comme on en a eu pour leur camarade Pérou » écrit-il en faisant référence à l’un des auteurs du livre « La Meute ».
Faut-il comprendre que le député partage la vision complotiste de la droite et de l’extrême droite sur les médias du service public qui seraient à la solde d’une gauche socialo bobo ? À moins que l’exemple de la liberté d’expression à la chinoise, récemment célébrée dans ses rangs, ne soit venu tout à coup l’inspirer.
Les journalistes bientôt interdits de couvrir les émeutes
Cette tempête microcosmique ne doit pas nous faire oublier qu’il y a plus grave en matière de presse. Le ministère de l’Intérieur a publié le 31 juillet son premier « schéma national des violences urbaines » (SNVU).
Ce document sur lequel nous reviendrons dans de prochaines émissions, tant ses dispositions s’avèrent discutables, prévoit d’exclure la presse des lieux d’affrontements. Le SNVU indique ainsi que « la prise en compte du statut des journalistes telle que consacrée par le schéma national du maintien de l’ordre ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines ».
Ce n’est qu’au terme d’une forte mobilisation, en 2021, que les syndicats de journalistes étaient parvenus à préserver leur présence sur les lieux d’affrontement ainsi que le port d’équipements de protection. Ce schéma national des violences urbaines – qui peut être appliqué dès qu’une manifestation s’accompagne d’incidents violents – vient tout remettre en cause.
D’ores et déjà, la profession se mobilise. Bien naturellement, Pure Politique s’associera à toutes les actions qui seront organisées contre cette tentative de museler la presse.
Serge Faubert
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