
L’audition aura duré cinq heures trente. Sans doute l’expression sinueuse du Premier ministre aura ralenti les échanges. Mais la confrontation entre François Bayrou et les rapporteurs de la Commission d’enquête sur le contrôle par l’État des violences à l’école restera un spectacle rare. Qu’un Premier ministre en exercice doive répondre devant 70 députés de ses déclarations contradictoires et de ses actes démontre que la démocratie n’a pas encore déserté notre pays.
C’est une bonne nouvelle, non ? François Bayrou a opté pour ce qu’on appelle une défense de rupture. Il a instruit le procès de ses accusateurs et tenté de discréditer les témoignages les plus accablants. Objectif d’autant plus facile à atteindre qu’un des rapporteurs au moins est un adversaire politique déclaré. Paul Vannier, député du Val-d’Oise, est membre de la France insoumise.
S’appuyant sur le livre que les journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou viennent de consacrer à la France insoumise, ouvrage dont un exemplaire était ostensiblement posé à côté de lui, François Bayrou a mis en cause, à de multiples reprises, l’honnêteté du rapporteur.
J’ai déjà décrit votre méthode qui consiste à essayer de tirer la réalité pour nourrir un procès en scandale. D’ailleurs cette méthode est exactement décrite dans cet excellent livre dans lequel vous êtes analysé et cité. Excusez-moi. Et cette méthode est décrite par Jean-Luc Mélenchon qui est quelqu’un que je connais, je crois, et il dit : “Vous n’avez pas besoin d’être de bonne foi”.
François Bayrou, Premier ministre, le 14/04/2025
Hygiène personnelle
Médiapart, qui a révélé l’affaire, a également eu droit à sa ration de compliments.
Vous essayez, avec une méthode qui consiste à édifier Mediapart en autorité de la République. Je ne lis pas Mediapart. C’est une hygiène personnelle.
François Bayrou, Premier ministre, le 14/04/2025
Mais ce n’étaient là qu’amuse-gueules. François Bayrou s’est employé à démonter le témoignage de Françoise Gullung, professeure de mathématiques à Bétharram entre 1994 et 1996. Entendu par la commission, elle a répété qu’elle avait alerté François Bayrou en janvier et mars 1995 sur les faits graves qui se sont déroulés à Bétharram. C’est le témoignage le plus embarrassant pour le Premier ministre. Alors ministre de l’Éducation nationale, c’est bien après ces alertes qu’il diligentera une inspection de l’établissement. Elle interviendra en avril 1996.
François Bayrou a d’abord mis en cause l’exactitude du compte-rendu de l’audition de Françoise Gullung par les services de l’Assemblée.
Ce n’est pas rien que de voir un compte-rendu fallacieux. Je mets en cause ceux qui rédigent et ceux qui contrôlent. Normalement, c’est au sein de la commission que le contrôle se fait, non ? Il s’est ensuite attaqué à la personne même de Françoise Gullung.
J’affirme que cette dame, je ne veux pas utiliser le mot de “mentir”, je déteste ce mot que vous utilisez tant, elle a affabulé devant la commission. Vous n’avez pas fait d’enquête sur la suite de sa carrière alors qu’elle dit qu’elle a eu beaucoup d’ennuis et qu’elle a été, par la médecine scolaire, réputée dérangée. Elle le dit devant vous.
François Bayrou, Premier ministre, le 14/04/2025
Amnésie sélective
Amnésie sélective, peut-être ? Pour le reste, la ligne de défense adoptée par l’homme qui ne savait rien, mais un peu quand même, ne convaincra que ceux qui veulent croire à son absence de responsabilité. Ainsi, quand il était ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou n’aurait eu d’autres sources sur Bétharram que la presse quotidienne régionale. Il est vrai qu’il ne lit pas complètement les rapports qu’il commande.
Ainsi celui rédigé après l’inspection de Bétharram en 1996. Le ministre serait allé directement à la conclusion qui était plutôt favorable à l’établissement. C’est ballot, il a négligé les passages qui faisaient état de violences, certes présentées comme des cas isolés. Pourtant, il n’y avait que trois pages à lire.
De toute façon, avertit le Premier ministre, il ne faut pas regarder les mœurs de l’époque avec les lunettes de 2025.
On est en 1996, c’est-à-dire il y a trente ans. Est-ce qu’il y avait, il y a trente ans, des méthodes un peu rudes ? Sûrement, oui. Est-ce qu’aujourd’hui elles seraient acceptées ? Sûrement, non.
François Bayrou, Premier ministre, le 14/04/2025
Au détour d’une question de Paul Vannier, François Bayrou est revenu sur la gifle qu’il avait donnée à un gamin en 2002. A l’époque, il était en campagne présidentielle à Strasbourg.
Je lui ai donné une tape. Pas une claque. Je veux dire, pas quelque chose de brutal. Je lui ai donné une tape. Je suis d’ailleurs certain que cette scène a été bruitée par les télévisions qui à l’époque ont fait faire à cette scène le tour de beaucoup de pays. Ce n’était pas du tout une claque violente. C’était une tape, en effet, de père de famille.
François Bayrou, Premier ministre, le 14/04/2025
S’il pense avoir tourné la page de Bétharram, François Bayrou se trompe. Les travaux de la Commission se poursuivent. Et l’exploration des archives des différentes administrations n’est pas terminée. Le rapport final de la Commission pourrait se révéler autrement dévastateur qu’une simple audition.
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