
C’est une bonne nouvelle pour la science. Au fil des jours, François Bayrou retrouve la mémoire. La semaine dernière, lorsqu’on le questionnait sur les violences physiques et sexuelles commises à Notre-Dame de Bétharram, ça donnait ça :
Alors j’affirme que j’ai, évidemment, je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences, ou de violences à fortiori sexuelles.
François Bayrou, Premier ministre, le 11/02/2025
Mais samedi, le Premier ministre avait retrouvé ses souvenirs. Le bon air des Pyrénées sans doute. L’homme qui ne savait rien de ce qui se passait à Bétharram a reconnu avoir demandé un rapport à l’inspection académique en 1996, alors qu’il était ministre de l’Éducation nationale. Un miracle comme on dit à Lourdes.
Le résultat a été publié hier, et vous l’avez lu, il est absolument, comme je peux dire, dans le sens de cette institution, positif pour cette institution, pour son climat, pour son ambiance, pour le travail qui y est conduit.
François Bayrou, Premier ministre, le 11/02/2025
Tout va bien, circulez
Le rapport de l’Éducation nationale est d’une indigence rare. Publié par le Figaro, il tient sur trois pages. A l’exception d’une claque assénée par un surveillant à un élève, le limier dépêché par le ministère de l’Éducation nationale n’a rien relevé de particulier. Si l’ensemble des inspections sont menées ainsi, il y a de quoi être inquiet quant à la sécurité des élèves.
Une simple gifle, donc. Une grosse baffe, plutôt, puisqu’elle a entraîné une perforation du tympan de l’élève et une perte d’audition de 40%. Le père a porté plainte. Le surveillant a été condamné pour violences à une peine d’amende avec sursis.
Mais c’est là le seul fait dont François Bayrou ait été au courant. C’est ce que souligne le président du groupe MoDem à l’Assemblée, Marc Fesneau, venu à la rescousse de son patron, dimanche.
La vérité c’est que le premier fait, quand il est ministre, le seul fait c’est un fait d’une violence sur un élève. La procédure s’est suivie, il y a eu une enquête administrative qui a d’ailleurs été relaté dans votre journal et qui conclut au fait qu’il n’y a manifestement pas de violences dans cet établissement. C’est le seul fait qui couvre le moment où François Bayrou est ministre.
Marc Fesneau, président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale, le 16/02/2025
De là à prendre la défense de l’institution, il y a quand même un pas. Que le ministre de l’Éducation de l’époque n’hésite pas à franchir. Le 4 mai 1996, trois semaines après la remise du rapport de l’inspection académique, François Bayrou se rend dans l’établissement religieux en compagnie de Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Culture. Une visite des lieux a été organisée à l’occasion de la réception des travaux de toiture de l’établissement.
Dans son édition du 5 mai, le quotidien Sud Ouest rapporte les propos du ministre de l’Éducation nationale. Ce dernier évoque la plainte déposée par le père de l’élève agressé par le surveillant et les réactions qui l’ont accompagnée.
“Nombreux sont les Béarnais qui ont ressenti ces attaques avec un sentiment douloureux et un sentiment d’injustice. Toutes les informations que pouvait demander le ministre, il les a demandées. Toutes les vérifications ont été favorables et positives.”
Pour un peu, les Béarnais auraient été submergés par un sentiment d’injustice. Bétharram serait victime d’une cabale s’appuyant sur un fait isolé. Aucune marque d’empathie ministérielle envers la victime, mais une solidarité revendiquée avec l’établissement. Étrange prise de position qui semble légitimer les châtiments corporels. Reste les agressions sexuelles.
François Bayrou pouvait-il soutenir qu’il n’était pas au courant ? Pour Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, cela ne fait pas de doute. Cet adhérent du MoDem brandit la chronologie des faits.
La question qui a été posée à l’Assemblée nationale c’est celle qui concerne les sévices sexuels et les viols, et qui sont intervenus, qui n’ont été signalés qu’après le départ du ministère de l’Education nationale de François Bayrou.
Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, le 16/02/2025
Le magistrat est son voisin
Pourtant en 1998, François Bayrou rencontre Christian Mirande, le magistrat qui instruit une plainte pour un viol commis dans l’enceinte de Notre-Dame de Betharram. L’auteur n’est autre que le directeur de l’établissement, le père Carricart. D’après François Bayrou, la rencontre aurait été fortuite. Le magistrat était son voisin.
Le juge Mirande, c’est il y a 30 ans, donc, est-ce que les dates… Le juge Mirande est mon voisin, donc nous nous sommes croisés sur le chemin.
François Bayrou, Premier ministre, le 15/02/2025
Dans ce genre de circonstances, certains parlent du temps qu’il fait ou de la santé des proches. Mais François Bayrou, lui, aborde la question du viol. Le magistrat lui confirme la première mise en examen pour viol et lui indique qu’un deuxième cas est à l’instruction.
Mais voilà, François Bayrou ne se souvenait plus de cet échange lorsqu’il s’est exprimé devant les députés. C’est ballot.
Dimanche soir, TF1 a diffusé le témoignage d’un gendarme. Celui-ci était chargé de l’enquête sur le viol reproché au père Carricart. Il affirme que François Bayrou aurait rencontré le procureur général à ce sujet. Une intervention dont le juge Christian Mirande affirme ne pas avoir eu connaissance. Ce qui ne signifie pas qu’elle ne se soit pas produite. Sans doute y aura-t-il mardi, lors des questions au gouvernement, une interpellation sur ce nouveau témoignage.
Le boulet
La gauche, en tous cas, est en ordre de marche. Le patron des socialistes, Olivier Faure, considère que le Premier ministre a menti. Mais il attend des explications complémentaires.
Justement, afin de faire toute la lumière, le groupe Écologiste et social a déposé une résolution “tendant à la création d’une commission d’enquête sur les violences commises au sein du lycée Notre-Dame de Bétharram et l’absence de traitement des signalements”. Pour sa part, la France insoumise continue de réclamer la démission du Premier ministre.
Du côté du Rassemblement national, on se montre frileux. Pour ne pas dire nébuleux.
La question est de savoir combien de temps le Premier ministre pourra résister à cette avalanche de témoignages qui sapent jour après jour sa ligne défense. Plutôt que de se réfugier dans le déni, il aurait été plus simple pour lui de reconnaître qu’il n’avait pas pris la mesure des faits. Désormais, quoi qu’il dise sur le sujet, sa parole sera frappée de suspicion. Peut-on diriger la France en traînant pareil boulet ?
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