Ce ne sera pas pour ce soir. A l’évidence, Emmanuel Macron s’accorde une nuit de réflexion pour choisir son Premier ministre. Morphée lui apportera-t-il la lumière que Notre-Dame lui a refusé. Sauf incroyable retournement, le président doit trancher entre deux chevaux de retour, François Bayrou haï par la droite et Bernard Cazeneuve détesté par les trois quarts de la gauche. A moins qu’il n’appelle Roland Lescure, l’ancien ministre de l’Industrie, macroniste du premier jour.
Mais le MoDem, le RN et l’aile droite du parti présidentiel n’en veulent pas. A tout prendre, ils préfèreraient Sébastien Lecornu, le ministre des armées. Capacité de survie des uns et des autres indéterminée. Car le nouveau locataire de Matignon sera, comme son prédécesseur, à la merci des oppositions. Mais quelque chose a changé.
Vivement la nomination du Premier ministre
A gauche, on se demande si les Français sont prêts à accepter que l’on renverse le Premier ministre tous les trois mois ? La bombe nucléaire, ça va bien une fois, mais à la longue il ne reste que des ruines. Faut-il alors composer afin d’éviter que l’opinion ne rejette massivement la classe politique ? Rejet qui verrait la gauche partir avec l’eau du bain macroniste et les institutions de la Ve République.
C’est la question que pose la profonde divergence qui a surgi entre la France insoumise et les trois autres composantes du Nouveau Front populaire, le Parti socialiste, les Écologistes et le Parti communiste. Doit-on discuter avec le président de la République ? Doit-on chercher un modus vivendi qui permette d’aller jusqu’à une prochaine dissolution de l’Assemblée, en juillet prochain ?
Pour Manuel Bompard qui a refusé de se rendre mardi après-midi à l’Élysée, ce rendez-vous jupitérien était un piège.
Je pense que certains prennent le risque de céder aux sirènes de la participation gouvernementale au prix de jeter à la poubelle l’ensemble des engagements programmatiques qu’ils ont pris devant les électrices et les électeurs.
Je forme le vœu qu’ils n’aillent pas jusqu’au bout et qu’ils se rendent compte de leur erreur. Et qu’ils se rendent compte que le Nouveau Front Populaire n’a rien à gagner d’aller participer de cette grande coalition. D’ailleurs, quand on observe un petit peu, vous savez, les exemples internationaux, à chaque fois que la gauche s’est fourvoyée dans une grande coalition avec le centre et avec la droite, à la fin c’est l’extrême droite qui en a récolté les fruits.
Manuel Bompard, député LFI et coordinateur de LFI, le 10/12/2024
Pas de concessions pour Jean-Luc Mélenchon
Jean-Luc Mélenchon a été très clair lundi soir à Redon : il n’est pas question de faire des concessions mutuelles comme Olivier Faure en a émis le souhait.
Il a dit qu’il fallait faire des concessions mutuelles. Concessions, oui, de l’autre. Mutuelles, walou. Pas question. Il n’y a aucune concession. On n’est pas mandaté pour faire ça.
Jean-Luc Mélenchon, chef de file de LFI, le 9/12/2024
« Des concessions, il faudra en faire » répondent les socialistes. Surtout si l’on veut qu’un Premier ministre issu de la gauche ait des chances de survie.
Pour qu’il y ait la gauche au pouvoir, il faut qu’on puisse s’assurer d’une non-censure du bloc commun, des macronistes et de la droite. Donc ça veut dire qu’il faut qu’on négocie. Ce n’est pas un gros mot négocier. Négocier c’est un moyen de faire valoir ses propres idées.
Et donc, la non-censure, le fait qu’un bloc d’opposition ne s’engage pas à censurer la future majorité, c’est simplement le moyen d’obtenir une stabilité et aussi des choses qui se passent dans le pays. Sinon on reste bloqués jusqu’en juillet prochain. Moi ce n’est pas ce que je veux et ce n’est pas ce pour quoi j’ai été élu.
Arthur Delaporte, député Socialistes et apparentés, le 10/12/2024
Pacte de non-agression
Jusque-là, on comprend. Si le Premier ministre est de gauche, il s’engagera à ne pas recourir à l’article 49-3. A condition que les oppositions macronistes, de droite et d’extrême droite renoncent à le censurer. Mais ce raisonnement vaut-il pour tous les gouvernements ? C’est là qu’Olivier Faure devient flou. Et comme disait si bien sa camarade de parti, Martine Aubry, quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup.
Voici ce qu’expliquait le Premier secrétaire du Parti socialiste mardi soir devant l’Élysée, face à une trentaine de journalistes bleuis de froid au point qu’on aurait dit que le village des schtroumpfs s’était donné rendez-vous là.
Nous avons essayé de comprendre comment nous pouvions avoir une méthode qui permette à un gouvernement de gouverner, avec plusieurs possibilités. Soit une grande coalition, ce que nous avons d’entrée exclu, nous ne sommes pas venus chercher un accord avec les Républicains, avec les macronistes et un gouvernement dans lequel tout le monde s’embrasse après s’être déchirés pendant 7 ans. Ça n’est pas le cas.
Nous avons resuggéré le fait qu’il y ait un échange de bons procédés, que le gouvernement renonce au 49-3 et donc renonce à tout passage en force. Et en échange de quoi les oppositions renonceraient à une motion de censure. Sur cette idée simple, nous avons le sentiment que les choses ont plutôt avancé. Ca a été repris par Horizons, ça a été repris par le MoDem, ça a été évidemment repris par l’ensemble de la gauche.
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du PS, le 10/12/2024
Donc, si l’on comprend bien, le pacte de non-agression – pas de 49-3 en échange du renoncement à la censure – pourrait valoir pour n’importe quel gouvernement. Les écologistes ont entendu autre chose. L’acoustique des palais nationaux laisse toujours à désirer : ce sont les macronistes et la droite qui réclament que le compromis vaille pour toutes les configurations gouvernementales.
Alors après il disait : “D’accord, vous devez vraiment vous engager à ne pas voter de motion de censure si ce n’est pas un gouvernement du NFP”. Permettez-nous d’attendre de voir qui le président de la République va nommer.
Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, le 10/12/2024
Les discussions tournent en rond
En gros, le message est le suivant : on verra une fois que le Premier ministre sera nommé. De toutes façons, les écologistes ne comptent pas poursuivre les discussions avec le Président de la République.
Le groupe Écologiste et social va saisir le bureau de l’Assemblée nationale pour que celui-ci préside les réunions de discussion sur le contenu et fasse émerger la nouvelle politique dont la France a besoin. En tout cas il n’est plus possible que les réunions se tiennent présidées par le président de la République, parce que, oui, on a besoin de parler de contenu, c’est ce que nous souhaitons faire. Il n’est pas possible de parler de méthode sans parler de ce que nous voulons faire, sans parler de la question des retraites, sans parler de la question des salaires, sans parler de la question de la transition énergétique. Pour cela, on a besoin d’un cadre où tout le monde est légitime.
Cyrielle Chatelain, députée Écologiste et social et présidente du groupe Écologiste et social à l’Assemblée nationale, le 10/12/2024
Olivier Faure déplore que dans ce début de négociations, LFI ne soit pas au côté de ses partenaires.
C’est LFI qui, pour l’instant, donne le sentiment d’être à côté de l’aventure. Et moi je n’ai pas compris pourquoi ils ne venaient pas au rendez-vous à l’Élysée. Ils affaiblissent la gauche quand ils font ça.
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du PS, le 11/12/2024
“C’est celui qui dit qui l’est” lui avait répondu par anticipation Jean-Luc Mélenchon depuis Redon.
C’est qu’à nous montrer du doigt, comme ça, sans cesse, sans arrêt, qu’est ce qu’ils construisent ? Est-ce que ça attire du monde dans le Nouveau Front Populaire ? Est-ce que ça convainc des mesures du programme du Nouveau Front Populaire ? Non, puisque eux-mêmes veulent aller faire des concessions mutuelles. Non, puisque nous, nous sommes censés avoir tous les défauts de la terre.
Jean-Luc Mélenchon, chef de file de LFI, le 9/12/2024
Retour de service, mercredi, au micro de RMC.
Plus Jean-Luc Mélenchon crie, moins on l’entend.
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du PS, le 11/12/2024
Le Nouveau Front Populaire n’a pas dit son dernier mot
On dirait du Michel Audiard dans Le cave se rebiffe. Le Nouveau Front Populaire est-il mort ? On se souviendra qu’on avait déjà enterré la Nupes à de multiples reprises avant la dissolution de l’Assemblée nationale. Et à la grande surprise d’Emmanuel Macron qui pensait que la messe était dite, la gauche s’est retrouvée en moins de quinze jours autour du Nouveau Front Populaire. Il y avait, bien sûr, la menace de l’extrême droite. Mais aussi la nécessité électorale.
Les candidatures uniques du Nouveau Front Populaire ont permis à la gauche de l’emporter dans 192 circonscriptions. Si chacun était allé à la bataille de son côté, il y en aurait eu moitié moins. Justement, trois échéances se profilent. D’abord, quoi que promette Emmanuel Macron, de nouvelles élections législatives en juillet ou en septembre prochain. Il y a ensuite les municipales en 2026. Enfin, à tout moment, la démission du président peut entraîner un retour aux urnes des Français.
Chaque composante du Nouveau Front Populaire à intérêt à maintenir le cadre commun. Y compris la France insoumise sauf à accepter de voir le groupe parlementaire fondre comme neige au soleil. Si Emmanuel Macron avait vraiment voulu découpler le Parti socialiste de la France insoumise, il aurait remis sur la table la question des élections à la proportionnelle à un tour. Avec ce mode de scrutin, il n’est plus besoin de désistement réciproque. C’est le meilleur moyen de casser les logiques de blocs.
Mais le Président de la République n’a jamais eu la moindre intention de nommer un socialiste à Matignon. Ou qui que ce soit venu des rangs de la gauche. Son rendez-vous élyséen n’était destiné qu’à lui redonner, pendant quelques heures, le sentiment qu’il est maître du jeu.
Emmanuel Macron, toujours grand stratège
Le Rassemblement national n’a pas été invité à s’imprégner de la pensée présidentielle. Marine Le Pen n’en semblait pas particulièrement affectée.
Je serais reçue à l’Élysée pour faire quoi ? Pour me proposer d’être dans un gouvernement ? La réponse est “non”, le président de la République le sait. Donc il n’a pas jugé bon d’inviter le Rassemblement national à ses agapes où il s’agit de se partager les postes, “et toi quel ministère”, “et toi est-ce que tu accepterais d’être là ?”. Nous sommes dans l’opposition. Et j’ai envie de vous dire, après cet après-midi, nous sommes la seule opposition.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, 10/12/2024
C’est bien le paradoxe de la séquence. Cette rencontre au sommet était censée marginaliser le Rassemblement national. A l’arrivée, elle le renforce. Emmanuel Macron est décidément un grand stratège.
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