Emmanuel Macron a donc écrit aux Français. Le bonhomme étant économe des deniers de l’État, comme chacun sait, il a chargé la presse quotidienne régionale de répandre la bonne parole. Peu d’entre vous se donneront la peine de la lire, tant la prose présidentielle sent le réchauffé. Pourtant ce courrier fait preuve d’une franchise toute postale. Le président de la République livre enfin les raisons qui l’ont conduit à dissoudre l’Assemblée nationale : “Le fonctionnement de notre Assemblée et le désordre des derniers mois ne pouvaient plus durer. Les oppositions s’apprêtaient à renverser le gouvernement à l’automne”.
Explication que l’on pourrait résumer ainsi : “C’était le bordel. J’ai décidé d’en rajouter.” Comme à son habitude, le chef de l’État a décidé seul. Écoutez l’ancienne présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, raconter son échange avec le président, le soir de la dissolution.
J’essaie de le convaincre qu’il y a une voie à l’Assemblée nationale pour une coalition des personnes qui ont la même vision que nous de la République. Et donc, j’essaie de le convaincre. Je n’ai pas réussi à le faire. C’est peut-être mon plus grand regret.
Yaël Braun-Pivet, députée sortante Renaissance et ancienne présidente de l’Assemblée nationale, le 23/06/2024
Les oppositions s’apprêtaient à renverser le gouvernement à l’automne, dit Emmanuel Macron. Le bon sens voudrait qu’il annonçât un changement de ligne. Mais non. Conduit par le Premier ministre, le “bloc central” doit poursuivre son programme.
Le rejet d’Emmanuel Macron est omniprésent
“Continuer les réformes pour le travail, la réindustrialisation, une écologie des résultats, pour investir dans les services publics sans impôts ni dette supplémentaire et de défendre une laïcité assumée et une autorité restaurée depuis l’école jusqu’à la justice.” Exactement tout ce que les Français refusent : la casse du Code du travail, la disparition des services publics, la diminution des droits pour les chômeurs, les aides aux entreprises sans contreparties…
Quant à la laïcité, le chef de l’État ferait bien de balayer devant sa porte. N’a-t-il pas célébré une fête religieuse dans l’enceinte même de l’Élysée le 7 décembre de l’année dernière ? En l’occurrence la fête juive de Hanoukka en compagnie du grand rabbin de France. Quoi de neuf alors ? “La manière de gouverner doit changer profondément” concède le président. Qui peut encore croire que ce constat sera suivi d’effet ? Emmanuel Macron avait dit à peu près la même chose après le mouvement des Gilets jaunes. Promis juré, il comprenait pourquoi le pays était dans la rue.
Cinq ans plus tard, le rejet de sa personne et de sa politique est encore plus fort. Visiblement, plus le président change, plus les Français ont envie de changer de président. Mais ça n’arrivera pas. Emmanuel Macron est catégorique : “Vous pouvez me faire confiance pour agir jusqu’en mai 2027 comme votre Président”. Marine Le Pen n’est pas de cet avis.
Je note juste que quand il y a un blocage politique, quand il y a une crise politique, il y a trois possibilités. Il y a le remaniement, il y a la dissolution ou il y a la démission du président. Le remaniement pour le coup dans cette circonstance ne me paraîtrait pas extrêmement utile, la dissolution vient d’être opérée elle n’est plus possible pendant un an, il ne restera donc au président que la démission pour sortir potentiellement d’une crise politique.
Marine Le Pen, députée sortante RN, le 22/06/2024
N’en déplaise à l’ancienne candidate à l’élection présidentielle, la démission du président dans les prochains mois ne changerait rien à la situation. Comme elle le rappelle, l’Assemblée qui sortira au soir du 7 juillet 2024 ne pourra être dissoute avant le 7 juillet de l’année suivante.
Si d’aventure, aucun des trois blocs en présence ne dispose de la majorité absolue, ou d’une majorité relative qui pourrait devenir absolue avec quelques voix de renfort, alors l’Assemblée nationale sera bloquée. Que le président s’appelle Macron, Le Pen ou Dupont. Il faudra patienter. À moins, tout simplement que l’affaire ne se termine en crise de régime et débouche enfin sur une VIe République.
Mais on n’en est pas encore là. Pour l’heure, on s’achemine vers une cohabitation. J’en profite pour vous signaler qu’Antoine Etcheto abordera tous les scénarios de cohabitation possibles dans un nouveau numéro du Tour de la question diffusé mercredi prochain, c’est-à-dire le 26 juin.
Nous avions pointé les reculades du Rassemblement national sur les promesses sociales de son programme. La majorité de celles-ci étant subordonnées à la réalisation d’un audit sur les comptes de la nation. Ce que Jordan Bardella a confirmé ce lundi.
Je souhaite que l’audit puisse nous permettre aussi d’identifier les marges qui nous seront possibles de dégager, notamment pour financer ce que j’ai appelé “le temps deux” de mon action, c’est-à-dire le temps des réformes.
Jordan Bardella, député européen RN et président du Rassemblement national, le 24/06/2024
Le programme du Front Populaire est précis et chiffré
En l’état, le Front Populaire est le seul à proposer un programme précis et chiffré. 150 milliards de dépenses jusqu’en 2027 pour autant de recettes. On reste dans la tradition keynésienne de la gauche. La relance de l’économie par la demande.
Ce vecteur c’est l’idée de répartir, de partager les richesses, pour faire en sorte que la grande migration du travail vers le capital, et pas n’importe quel capital, le capital non-investi, le capital des dividendes, le capital actionnarial, reparte dans l’autre sens, c’est-à-dire vers les revenus du travail de façon à doper le pouvoir d’achat. Ca, c’est le partage de la valeur ajoutée.
Mais aussi, on repart dans l’autre sens à travers les recettes que nous allons récupérer sur les cadeaux fiscaux les plus importants qui ont été faits aux plus riches par le « septennat » d’Emmanuel Macron. Je tiens à le réaffirmer : 92 % des Français ne verront pas leur fiscalité transformée.
Éric Coquerel, député sortant LFI et ancien président de la Commission des finances à l’Assemblée nationale, le 21/06/2024
La gauche est unie et a un programme. Était-il vraiment besoin de remettre sur le tapis la question de celle ou celui qui ira à Matignon ? Dans l’hypothèse, bien sûr, où les députés du Front Populaire seraient les plus nombreux dans l’hémicycle.
Je ne m’élimine pas, et je ne m’impose pas. Je pense que c’est une formule assez respectueuse du collectif. Les partis vont discuter. Le groupe parlementaire LFI proposera.
Jean-Luc Mélenchon, co-président de l’Institut La Boétie, le 22/06/2024
Le retour de François Hollande
Oui, Olivier Faure souhaite que ce soit l’ensemble des députés du Nouveau Front Populaire qui choisissent le Premier ministre et non le seul groupe LFI. Bien sûr, les réactions à l’offre de service de Jean-Luc Mélenchon n’ont pas manqué. À peine revenu des limbes, François Hollande a cru nécessaire de s’exprimer.
Si j’ai un message à faire passer, c’est que Jean-Luc Mélenchon qui a pu il y a deux ans être une possibilité, aujourd’hui, s’il veut rendre service au Nouveau Front Populaire, il faut qu’il se mette de côté, qu’il se taise.
François Hollande, ancien président de la République française, le 23/06/2024
On ne saurait trop conseiller à celui qui a tué la gauche en cinq ans de mandat d’appliquer le conseil à son auguste personne. Parce que pour faire fuir l’électeur de gauche, il n’y a pas mieux que François Hollande. Les socialistes en sont les premiers convaincus. Mais trop tard. Dimanche, depuis Montpellier, Jean-Luc Mélenchon en a remis une couche.
Je leur dis ceci : je ne renoncerai jamais à l’honneur d’être une cible comme dit Cyrano de Bergerac.
Jean-Luc Mélenchon, co-président de l’Institut La Boétie, le 23/06/2024
Il y a quelque chose d’irresponsable dans ce débat. Pourquoi vouloir trancher une question qui ne se pose pas encore au risque de casser la dynamique du Front Populaire ? Il ne s’agit pas d’une élection présidentielle. Si, comme les enquêtes d’opinion le suggèrent, le Front Populaire arrive derrière le Rassemblement national, la question du Premier ministre deviendra sans objet. À l’inverse, si le Front Populaire est devant le Rassemblement National, ce sont les rapports de force au sein de la coalition électorale qui dicteront le choix. Bref, il ne sert à rien de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
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