« Vos paroles ne me quittent plus. Pour tout vous dire, elles me hantent. Elles sonnent le rappel d’un échec collectif, celui de la gauche qui vous a oubliée et méprisée, soit par désintérêt des classes populaires, soit au fallacieux prétexte que vous ne faites pas partie d’un hypothétique peuple de gauche chimiquement pur. » Ces mots sont de Léon Deffontaines, la tête de liste des communistes pour les élections européennes.
« Aujourd’hui, il n’y a qu’elle »
Ils s’adressent à Colombe, une sexagénaire au RSA, dont le témoignage bouleversant a été visionné plusieurs millions de fois sur Twitter. C’était à Perpignan, au micro de TF1, dans le hall du meeting de Jordan Bardella et Marine Le Pen. Colombe commence à répondre au journaliste puis laisse couler ses larmes : « Je suis au RSA et on a du mal à vivre. On ne peut pas payer les factures, on a les huissiers, on a les menaces de tout. Aujourd’hui, il n’y a qu’elle qui ressort sur ce système de dire « allez suivez-moi et on va combattre » ».
Le faussaire de la question sociale
Touché par ce témoignage, Léon Deffontaines a décidé d’engager le dialogue avec cette future électrice du Rassemblement national. Dans une lettre ouverte, publiée sur Twitter, le candidat communiste déclare qu’il veut convaincre Colombe que le RN « n’est pas le remède aux terribles maux qui vous touchent. Il est au contraire un faussaire de la question sociale ».
Les fâchés pas fachos
L’initiative n’est pas sans rappeler le discours que François Ruffin tient sur les fâchés pas fachos, ces couches populaires qui basculent dans les bras du Front national, faute d’avoir été prises en compte par la gauche d’aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard. Comme le député insoumis de la Somme, Léon Deffontaines est originaire d’Amiens dans les Hauts-de-France…
On pourra ne voir dans cette lettre ouverte qu’un opportunisme électoral. Mais à l’heure ou le RN est en train de transformer les élections européennes en répétition générale de la présidentielle, il n’est pas trop tard pour s’interroger sur la faillite intellectuelle et morale de larges secteurs de la gauche.
Terra nova
Cette capitulation a une histoire. Le 10 mai 2011, le think tank Terra nova, proche du PS, publie sur son site une note prônant un nouveau compromis. Pour que la gauche l’emporte en 2012, écrivent les auteurs, elle doit se tourner vers les diplômés, les jeunes, les femmes et les minorités des quartiers populaires. Les ouvriers, les employés ? Il faut leur dire adieu, dit entre les lignes Terra nova.
La gauche : combien de divisions ?
C’était il y a 13 ans. Résultat, la gauche représente à peine 30% de l’électorat aujourd’hui. Divisée comme jamais, elle ne sait pas comment se reconstruire. Surtout, son électorat naturel se réfugie à l’extrême droite. Non pas qu’il adhère idéologiquement au discours du Rassemblement national (ou de Reconquête). Mais parce qu’il a le sentiment, à tort ou à raison, que cette famille politique est la seule à encore s’adresser à lui.
La tentation du séisme
Et puis, surtout, il y a le sentiment qu’une victoire de Jordan Bardella provoquera un séisme. Le coup de pied dans la fourmilière des désespérés.
On peut considérer que le combat est perdu. Qu’en trois ans, il est impossible d’inverser la tendance. Ou bien se remettre à la tâche afin d’assécher le terreau dont se nourrit l’extrême droite. Celui de la misère dans laquelle s’enfonce une part grandissante du peuple. Après tout, les seules batailles que l’on est assuré de perdre sont celles qu’on ne livre pas.
Serge Faubert
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