
Que se passera-t-il le 10 septembre 2025 ? L’histoire retiendra-t-elle que ce jour marqua le début d’un vaste mouvement social qui paralysa la France pendant plusieurs jours ? Ou bien qu’il s’agissait-là d’une surchauffe des réseaux sociaux sans consistance réelle ? Une simple bulle numérique en quelque sorte.
Bien malin celui qui peut répondre à cette interrogation aujourd’hui. Car les initiateurs de l’appel à bloquer le pays dans moins de 20 jours restent énigmatiques. Ils se sont baptisés “Les Essentiels”. C’est un collectif apparu à la mi-mai sur les réseaux sociaux. D’abord confidentielle, leur audience a explosé au lendemain de la conférence de presse sur le budget du 15 juillet. François Bayrou a involontairement joué le rôle de catalyseur. Sur leur site, Les Essentiels revendiquent de ne pas avoir de porte-parole attitré. Ils dénoncent les médias, coupables de s’être “alignés sur les intérêts des puissants”.
Si la discussion directe est exclue, sauf par l’intermédiaire d’un live sur leur compte TikTok, les revendications sont en revanche détaillées dans un plan baptisé France souveraine. Les Essentiels affirment vouloir “rendre la France à ses citoyens”. Pour y parvenir, ils veulent sortir de l’Union européenne, alléger les charges patronales, lancer un emprunt national pour racheter la dette et relocaliser l’emploi en taxant les importations. A les écouter, la France serait aux mains de réseaux occultes, au premier chef les francs-maçons.
Du coup, leur manifeste prévoit que “tout responsable public (élu, préfet, haut fonctionnaire) sera interdit d’appartenance à une organisation secrète, une loge ou un cercle d’influence”. Qui plus est, un registre public des appartenances sera créé. On reconnaît là l’éternel refrain conspirationniste d’une certaine extrême droite, héritière de Pétain. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que les Essentiels demandent la dissolution de l’appareil partisan. Entendez les partis politiques, coupables à leurs yeux de verrouiller la démocratie. Si l’on s’en tient à ce seul programme où se mêlent paradoxalement libertarisme et protectionnisme, revendication démocratique et restriction des libertés publiques, on est en présence d’une version française du trumpisme.
Notre pays a déjà connu un mouvement analogue. C’était dans les années 1950 autour de Pierre Poujade, un papetier de Saint-Céré dans le Lot. Fédérateur d’une révolte fiscale des petits commerçants, l’homme passera rapidement à la dénonciation des juifs et des apatrides qui, selon lui, occupaient la maison France. A la tête de l’Union de défense des commerçants et artisans, Poujade fera entrer 52 députés à l’Assemblée nationale en 1956. Dont un certain Jean-Marie Le Pen.
Faut-il alors en conclure que le blocage du 10 septembre est téléguidé par l’extrême droite ? Comme souvent, les choses sont plus complexes. Le 10 septembre est devenu le point de convergence de toutes les contestations. L’effet boule de neige des réseaux sociaux a dilué les discours fachos et conspirationnistes. La revendication sociale a pris le pas sur tout le reste.
Sur le site “Indignons-nous, bloquons tout” qui fédère la plupart des initiatives, il n’est question que de censurer le gouvernement et son projet de budget. Pas de se lancer dans la chasse aux francs-maçons ou d’interdire les partis politiques. Sur le réseau Télégram, une kyrielle de boucles locales “Indignons-nous” a fleuri. Chacune est le théâtre de débats enfiévrés entre anciens gilets jaunes, électeurs de Marine Le Pen, syndicalistes, Insoumis ou simple citoyen sans étiquette partisane. Sans doute est-ce pour cela que le Rassemblement national n’envisage pas de s’associer à la mobilisation.
Le 10 septembre, je ne veux pas que ça devienne la journée nationale des gauchos. Voilà. Je n’ai pas envie que l’extrême gauche et l’ultra gauche s’accaparent la rue, s’accaparent nos démocraties, parce qu’à chaque fois c’est le chaos. Quand je vois Révolution permanente, Extinction Rébellion, tous ces fous furieux de l’extrême gauche et de l’ultra gauche qui veulent transformer la rue en champ de bataille, c’est non. Moi ça me fait peur.
Matthieu Valet, Député européen du Rassemblement national, le 18/08/2025
La France insoumise en embuscade
En revanche, du côté de la France insoumise, on appuie sur le champignon. Fin juillet, sur son blog, Jean-Luc Mélenchon saluait l’émergence de cette mobilisation. Mais il se montrait prudent. “Je dirai que je me reconnais dans les motifs de cette action. Mais je n’en dirai pas davantage par respect pour l’indépendance et l’autonomie de ce mouvement dont les motivations sont pleinement justifiées. J’y insiste. L’indépendance et l’autonomie d’un mouvement social de cette nature ne sont pas des inconvénients mais la condition de son succès.”
Trois semaines plus tard, les pudeurs de gazelle se sont envolées.
Le 10 septembre, nous participons et nous appelons tous ceux qui sont en colère, à la fois contre la politique budgétaire injuste et dangereuse de ce gouvernement, qui sont en colère contre l’autoritarisme de ce gouvernement, qui sont en colère contre l’inaction écologique de ce gouvernement, à participer aux différentes actions.
Mathilde Panot, député LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 20/08/2025
L’écologiste Sandrine Rousseau voit dans le mouvement du 10 septembre un sursaut.
Pour moi c’est une révolte, une volonté de vivre en fait. En tous les cas, on verra ce que ça donne le 10 septembre. C’est pour ça que moi je l’ai soutenu, c’est quand j’entends derrière ça des gens qui sont dans des situations de familles monoparentales, des gens qui sont dans des situations de temps partiels, de souffrances au travail, de souffrances dans leur vie, et qu’en fait ils veulent arrêter ça.
Sandrine Rousseau, députée « Écologiste et social », le19/08/2025
Nébuleuse
Un ras-le-bol dont l’expression doit être respectée par les partis politiques. Dans un entretien accordé hier à Libération, la secrétaire nationale des écologistes, Marine Tondelier, met en garde les insoumis contre toute tentative de récupération. “Je le dis à tous les partis : hors de question de tout gâcher en organisant une compétition de nombre de drapeaux ou de mettre les manifestants mal à l’aise parce qu’ils auraient l’impression de marcher dans les pas de tel ou tel candidat à la présidentielle.”
Ce même mercredi, Léon Deffontaines, le porte-parole du Parti communiste a appelé les salariés à participer à “l’ensemble des mobilisations contre le projet Bayrou, le 10 septembre compris”. Quant aux socialistes, ils affirment comprendre le mouvement. Peut-être en saura-t-on davantage sur leurs intentions après leur université d’été qui se tient la semaine prochaine à Blois.
Et les syndicats ? Les confédérations doivent se réunir le 1er septembre pour envisager les actions à mener contre le projet de budget du gouvernement. Mais sans attendre, les fédérations CGT de la Chimie et du commerce ont appelé à se mobiliser le 10 septembre. La fédération Mines énergies de la centrale appelle à faire grève à partir du 2 septembre. Enfin, Force ouvrière a déposé un préavis de grève qui court du 1er septembre au 30 novembre. Ce préavis vaut pour le public comme le privé. Une remarque pour terminer. Les Gilets jaunes avaient pris l’habitude de défiler le samedi. Cela permettait au plus grand nombre de participer aux manifestations.
Le 10 septembre tombe un mercredi. Il sera donc plus difficile de mobiliser. En revanche, le moindre blocage aura immédiatement des répercussions sur l’activité du pays. Quelle que soit la réalité de la mobilisation, cette journée ne passera pas inaperçue.
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