
Que savait François Bayrou des agressions survenues entre 1970 et 1990 à Notre-Dame de Bétharram ? Cet établissement scolaire catholique sous contrat, situé à 20 kilomètres de Lourdes, a été le théâtre pendant 20 ans d’un système de maltraitances et de violences pédophiles. Pas moins de 112 plaintes ont été déposées. Elles concernent 6 prêtres et 2 laïcs. Il y a quelques jours, Mediapart, témoignages à l’appui, affirmait que François Bayrou était au courant des faits. Paul Vannier, député LFI a interpellé le Premier ministre.
Père d’élève scolarisé dans l’établissement, époux d’une professeure de Bétharram, président du conseil départementale, 20 ans députés de la circonscription, ancien ministre de l’Éducation nationale, saisit à de multiples reprises de ces violences, vous avez toujours affirmé n’avoir rien su, rien vu, rien entendu.
La chronologie reconstituée par Mediapart, Le Monde et la presse locale vous contredit pourtant entièrement. En 1996, ministre de l’Éducation, vous vous rendez sur place pour soutenir l’établissement après le dépôt par des parents d’élèves d’une première plainte pour violences sur leur enfant. En 1998, vous tentez d’obtenir à des fins personnelles des informations pourtant couvertes par le secret de l’instruction auprès du juge saisi du dossier d’un élève victime de viol.
Ainsi, depuis le milieu des années 90, vous saviez et alors que vos fonctions successives vous permettaient de protéger ces enfants, pendant 30 ans vous avez choisi l’omerta.
Paul Vannier, député LFI, le 11/02/2025
“Circulez, il n’y a rien à voir” a répondu en substance le Premier ministre.
Cette institution, collège et lycée privés, est en effet dans ma région et dans le village voisin de celui où je suis né. Et, en effet, mes enfants y ont été scolarisés. Les accusateurs disent : “Il ne pouvait pas ignorer”. Alors j’affirme que j’ai évidemment, je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences à fortiori sexuelles. Jamais. Et j’ai deux preuves pour cela.
La première de ces preuves c’est que lorsque la première plainte est déposée j’ai quitté, déjà, le ministère de l’Éducation nationale depuis des mois. Puisque c’est en décembre 97 et 98, et que j’ai quitté le ministère en mai 97. Et donc, de ce point de vue, c’est une preuve. Et puis il y a une autre preuve, peut-être autour de laquelle nous pourrions nous faire crédit.
Est-ce que vous croyez que nous aurions scolarisé nos enfants dans des établissements dont ils auraient été soupçonnés ou affirmés qu’il se passe des choses de cet ordre ?
François Bayrou, Premier ministre, le 11/02/2025
Mais voilà, il y a des éléments troublants.
Est-ce que notre Premier ministre actuel savait, alors que son fils était en classe avec un jeune homme de 14 ans qui a perdu l’ouïe par les coups d’un surveillant ? Le savait-il ? Savait-il également ce qu’il faisait quand il allait voir le juge Christian Mirande dans son cabinet d’instruction ?
Je suis moi-même élue de ce département, et j’ai travaillé avec le juge Mirande. Excellent juge d’instruction. Que faisait François Bayrou dans le cabinet du juge d’instruction Mirande au moment des faits concernant l’abbé Carricart ?
Colette Capdevielle, député Socialistes et apparentés, le 11/02/2025
Affaires sensibles
Une rencontre avec un juge ? A quelle affaire fait donc référence la députée ? Attachez vos ceintures, c’est le quart d’heure Affaires sensibles, l’émission emblématique de France inter présentée par Fabrice Drouelle. Tout commence en 1998 avec la mise en examen pour viol de Pierre Silviet-Carricart, le directeur de Notre-Dame de Bétharram. L’homme est brièvement incarcéré. Puis il bénéficie d’une libération conditionnelle. Il rejoint alors le Vatican. Le 5 janvier 2000, il disparaît, laissant une lettre d’adieu.
Le remords. Un mois plus tard, un corps est retrouvé dans le Tibre à Rome. Un religieux affirme reconnaître Pierre Silviet-Carricart. La justice italienne ordonne une autopsie. A Pau, le juge Christian Mirande qui instruit le dossier du viol demande communication du rapport d’autopsie. Surprise, le cadavre a grandi de 5 centimètres. La dépouille de Pierre Silviet-Carricart, qui a été inhumée à Pau, est exhumée. A la grande indignation de plusieurs notables de la région. Il faut finalement se rendre à l’évidence. Il s’agit bien de Pierre Silviet-Carricart.
A quel moment intervient François Bayrou dans cette affaire ? Au début. En 1998, juste après la mise en examen de Silviet-Carricart. François Bayrou rencontre le juge Christian Mirande. L’année dernière, nos confrères du Monde ont rapporté le témoignage du magistrat. Voici comment il relate le comportement de François Bayrou.
“Il est venu me parler toute une après-midi de cette affaire, au début de la procédure, de façon feutrée. Il n’arrivait pas à croire que Carricart ait pu avoir un tel comportement déviant. Pour lui, c’était un honnête homme. Il s’inquiétait au regard de la présence de son fils dans l’établissement.”
Le quotidien du soir a également contacté celui qui n’était encore que le président du MoDem. François Bayrou dément que l’échange ait porté sur le père Carricart.
“Je ne connaissais pas le père Carricart, si ce n’est peut-être de vue, politique. Jamais je n’ai été au courant de cette histoire à ce moment-là, je n’ai jamais entendu parler des accusations de viol.”
Le magistrat instructeur aurait donc entendu des voix. C’est vrai qu’on n’est pas loin de Lourdes. Mais le juge Christian Mirande n’a rien d’une Bernadette Soubirous. Il est plutôt tables de la loi que Vierge Marie. Alors faut-il en conclure que le Premier ministre a menti à la représentation nationale ?
De nombreuses parts d’ombre
Je constate une chronologie de faits établis par vos confrères, par beaucoup de journalistes de la presse nationale, de la presse locale, qui indique que monsieur Bayrou était informé et qu’il a choisi de se taire et de ne pas agir.
Pourquoi a-t-il fait ce choix ? Peut-être qu’il a des circonstances personnelles qui l’engagent. Ses enfants étaient scolarisés dans l’établissement, sa femme était professeure de catéchisme dans l’établissement. Monsieur Bayrou a été ministre de l’Éducation nationale, il a fait de se rendre sur place pour soutenir cet établissement alors qu’une première plainte pour violences contre un enfant, un enfant qui a été frappé, un enfant qui a perdu l’audition suite à ces coups, avait été présentée à la justice.
Une plainte qui d’ailleurs conduira quelques semaines plus tard à la condamnation d’un surveillant. Il y a donc beaucoup de parts d’ombre dans cette histoire.
Paul Vannier, député LFI, le 11/02/2025
C’est vrai que la chronologie de cette affaire interpelle. A plusieurs reprises, depuis 1998, la presse locale et nationale se sont fait l’écho des rebondissements de cette affaire. L’exhumation du corps de Pierre Silviet-Carricart n’est pas passée inaperçue. Sauf à envisager que le maire de Pau n’ait jamais ouvert un journal jusqu’à ces dernières semaines, il a forcément appris qu’il se passait des choses pas très catholiques à Notre-Dame de Bétharram.
Qui plus est, rappelons-le, son épouse y enseignait le catéchisme. Et ses enfants étaient scolarisés dans l’établissement. C’est là qu’intervient l’article 40 du code pénal. « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
On conviendra qu’en matière d’autorité constituée, François Bayrou se pose un peu là. Si donc il était informé que des faits graves se déroulaient dans l’enceinte de Notre-Dame de Bétharram, il aurait dû alerter la justice. Peut-être est-ce là l’explication de ses dénégations face à la représentation nationale…
Motion de censure en vue
Quoi qu’il en soit, la gauche, tous courants confondus, n’entend pas lâcher le Premier ministre.
C’est également parce que nous avons le souci de la vérité du point de vue de la représentation nationale, que nous demandons aujourd’hui au Premier ministre de s’exprimer clairement, nettement, sur la connaissance qui était la sienne au moment des faits de ces violences physiques et sexuelles et qu’il se dédise si ce qu’il a dit hier n’était pas la juste vérité.
Boris Vallaud, député Socialistes et apparentés et président du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale, le 11/02/2025
La pression ne va pas retomber. La semaine prochaine, les socialistes présenteront une motion de censure pour dénoncer la dérive du gouvernement vers l’extrême droite. Il serait surprenant que le scandale Bétharram ne revienne pas sur le tapis. Un vrai chemin de croix qui commence…
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