La chaîne CNews vit-elle ses derniers jours ? Le 13 février, le Conseil d’État a rendu une décision enjoignant à l’ARCOM, l’autorité régulatrice des médias audiovisuels d’élargir son contrôle sur le navire amiral de la flotte Bolloré.
Depuis, les médias du groupe crient à l’assassinat de la liberté d’expression. D’autant que le 28 février prochain commence l’appel à candidatures pour le renouvellement, en 2025, des attributions de 15 fréquences de la TNT. Renouvellement dont CNews pourrait être écarté, au moins sur le papier.
Pour bien comprendre de quoi il retourne, faisons un petit rappel historique sur le pluralisme :
Pas d’obligation de pluralisme dans la presse écrite
En presse écrite, il n’existe pas de limite technique au nombre des publications. On peut considérer qu’un journal d’extrême droite viendra compenser l’expression d’un journal d’extrême gauche. Et qu’un média d’opposition contrebalancera l’influence d’un média proche du pouvoir. Ainsi, l’offre globale à disposition du citoyen couvrira la palette des sensibilités politiques.
Le pluralisme doit être respecté au sein de chaque chaîne
En revanche, dans l’audiovisuel, le nombre des fréquences disponibles est techniquement limité. La TNT n’accueille qu’une trentaine de chaînes nationales. Situation qui a conduit le législateur, dès 1986, à exiger que le pluralisme de l’information s’exprime en interne. Autrement dit, que les programmes de chaque chaîne reflètent l’ensemble des sensibilités politiques de la société.
Le respect de cette obligation est confié à l’ARCOM, l’ancien Conseil supérieur de l’audiovisuel. Jusqu’à présent, les services de cette autorité administrative prenaient en compte le temps dont chaque personnalité politique avait bénéficié sur une période donnée.
Alors, comment en est-on arrivé à la décision du Conseil d’État ?
Au point de départ, il y a une saisine de l’association Reporters sans frontières, présidée par Christophe Deloire. Celle-ci reproche à CNews d’être devenue une chaîne d’opinion en contournant la législation. Plutôt que d’inviter des élus, le média fait en effet appel à des chroniqueurs marqués à droite ou à l’extrême droite. Ces derniers ne sont pas comptabilisés par l’ARCOM. Du coup, l’obligation d’équilibre disparaît.
L’obligation du pluralisme étendue aux chroniqueurs et invités
Dans sa décision, le Conseil d’État donne 6 mois à l’ARCOM pour définir et procéder à de nouveaux contrôles. Ceux-ci devront prendre en compte le temps d’intervention des personnalités politiques, mais aussi celui des chroniqueurs, animateurs et invités.
Et c’est là que le bat blesse. La plupart des élus et des responsables politiques revendiquent une étiquette politique. Mardi, j’invite François Ruffin. Mercredi, j’invite Marion Maréchal. Pas de problème pour ranger l’un et l’autre dans les petites cases d’un tableau Excel. Mais comment catégoriser les autres intervenants ?
Les nouvelles règles s’appliqueront à toutes les chaînes
Car il ne s’agit pas simplement de CNews. Ce sont l’ensemble des chaînes de la TNT qui devront dorénavant se soumettre à ce nouveau cahier des charges défini par le Conseil d’État.
S’achemine-t-on, par voie de conséquence, vers un fichage politique des journalistes qui travaillent dans ces chaînes ?
Une décision absurde et liberticide
Disons-le tout net, la décision du Conseil d’État est absurde et liberticide.
Absurde, parce qu’un journaliste n’est pas un militant. Il peut un jour applaudir une décision du gouvernement et en critiquer une autre le lendemain.
Je salue Emmanuel Macron pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon et je déplore la suppression du droit du sol à Mayotte. Suis-je un suppôt du gouvernement ou bien un odieux gauchiste ? À moins que je ne sois simplement un républicain patriote et humaniste. Ah mince, il n’y a pas la case qui correspond…
Comment va-t-on catégoriser les journalistes ? En scrutant mensuellement leurs sujets ? Selon quels critères établira-t-on que le traitement retenu de tel ou tel sujet est plutôt de gauche ou plutôt de droite ? On ne va pas s’ennuyer…
Une atteinte à l’indépendance éditoriale
Liberticide, la décision du Conseil d’État l’est parce qu’elle va confier à une autorité administrative le soin de définir la ligne éditoriale des médias. Ce qui est d’ordinaire le job du rédacteur en chef. Que les chaînes satisfassent à des obligations d’équilibre politique, soit. Que, par la bande, on régente leur contenu, non.
« CNews, c’est un repaire de fachos« , objectera-t-on. Oui c’est vrai.
« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » clameront alors certains. N’en déplaise aux nostalgiques de Saint Just, on sait où cela conduit. Au despotisme que l’on prétendait justement éradiquer. L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions.
L’ARCOM n’est pas un tribunal d’opinion
Dans La Tribune de ce dimanche, le président de l’ARCOM se défend de jouer les inquisiteurs :
Soyons très clairs : il ne nous est pas demandé de comptabiliser chacun des intervenants. Il n’y aura pas de catalogage des journalistes et invités. Il s’agira d’une appréciation globale sur l’ensemble des programmes diffusés. L’Arcom n’est ni la police de la pensée ni un tribunal d’opinion.
La Tribune Dimanche 18/02/2024
Mais porter une appréciation sur l’ensemble des programmes diffusés n’est-ce pas là un premier pas vers ce tribunal d’opinion ?
Alors on fait quoi ? D’abord on identifie le problème. Est-ce l’existence d’une chaîne d’extrême droite qui est en cause ou bien la démultiplication de son audience, parce qu’elle est financée par un milliardaire ?
Car des médias d’extrême droite, il y en a plein. Mais aucun n’a le pouvoir de prescription de CNews. Et personne ne réclame leur interdiction. Au pire, on les poursuit devant les juridictions quand ils contreviennent aux lois.
C’est bien l’argent qui fait la différence.
Écarter les milliardaires des médias
Si l’on veut garantir le pluralisme, il faut en finir avec la mainmise des milliardaires sur les médias.
Et la mesure à prendre est simple : Interdire à tout groupe industriel dont la presse n’est pas l’activité principale de détenir directement ou indirectement un média.
Le précédent Hersant
Bien sûr, ça réclame un peu de courage politique. Dans les années quatre-vingt, la gauche était parvenue à démanteler l’empire de Robert Hersant, surnommé le papivore, en fixant un seuil maximal pour la concentration des quotidiens. Pas plus de 10 % de la diffusion totale. La gauche est-elle capable aujourd’hui de retrouver pareille audace ?