En politique, on appelle ça la stratégie du baiser qui tue. Il s’agit de faire semblant de voler au secours de son adversaire pour mieux le discréditer. Car s’il accepte, il passe pour un traître aux yeux de son propre camp. Et s’il refuse, il passe pour un dégonflé.
Une bonne illustration en a été donnée mardi à l’Assemblée nationale. Et l’histoire de ce coup politique mérite d’être conté dans les détails.
Ce matin-là, devant les journalistes venus assister à la présentation de la niche parlementaire du RN le 12 janvier, Marine Le Pen annonce que son groupe entend reprendre une proposition de loi présentée par Caroline Fiat, députée insoumise de Meurthe-et-Moselle.
Il s’agit de la réintégration des soignants suspendus pour avoir refusé de se faire vacciner contre le Covid.
Ce texte avait été présenté par la France insoumise le 24 novembre dans le cadre de sa journée d’initiative parlementaire. Mais il n’avait pu être voté avant l’expiration de la journée en question, les macronistes ayant joué la carte de l’obstruction.
Cette fois, l’examen de la proposition de loi a, toutes les chances d’arriver à son terme. Le RN l’a placée en 4e position sur la liste des textes qu’il présente.
Les journalistes sont interloqués.
Mais pour que la proposition de loi soit examinée, il faut au préalable que la commission des Affaires sociales désigne un rapporteur. C’est-à-dire le député qui défendra le contenu du texte dans l’hémicycle.
Justement, ce même mardi quelques heures après le point de presse, la commission en question se réunit. La présidente lance le débat
Aussitôt, Caroline Fiat dénonce la reprise de sa proposition de loi par le RN
Ce qui est en train de se passer est du jamais vu. C’est sans doute le premier acte de piraterie parlementaire de la Ve République. Comme on détourne un avion, le RN détourne une proposition de loi.
Et c’est ce qui choque tous les parlementaires. Les Républicains qui, pourtant, sont pour la réintégration des soignants suspendus, affichent leur indignation.
Le corapporteur pressenti, Frédéric Falcon, député RN de l’Aude affirme que son initiative est profitable au texte de LFI. En reprenant le débat où il s’était arrêté, on gagne du temps.
La commission passe au vote. La désignation de Frédéric Falcon est rejetée.
La situation est inédite. Le RN, va présenter une proposition de loi sans rapporteur issu de ses rangs.
La seule solution envisageable techniquement, c’est que Caroline Fiat présente à nouveau son texte dans le cadre de la niche du Rassemblement national.
Dans un tweet, la députée s’y déclare prête. Ravie de prendre le RN à son propre jeu.
- Ce sera donc moi seule comme rapporteure ! Tel est pris qui croyait prendre !
Aussitôt, Stéphane Séjourné, le chef du parti Renaissance monte au créneau
- Nous pensions que les digues sauteraient d’abord entre la droite et l’extrême droite.
Mais ce soir, c’est bien l’extrême gauche et la NUPES qui franchissent une nouvelle étape dans leur lune de miel avec les Lepénistes.
Au sein de la NUPES ça tangue. Pour les socialistes, il n’est pas question de prêter le flanc aux accusations de collusion. Surtout à la veille d’un congrès qui pourrait se révéler délicat.
Qui plus est, les autorités sanitaires sont toujours hostiles à la réintégration des soignants suspendus. Dans cette affaire, il n’y a donc que des coups à prendre.
Toute la soirée de mardi, les téléphones chauffent. Mercredi matin, Olivier Faure hausse le ton :
- Quand le RN tend un piège le mieux est de ne pas sauter dedans à pieds joints. À aucun moment et sous aucun prétexte, il ne peut y avoir de confusion entre la gauche et l’extrême droite.
Une heure plus tard, le groupe LFI annonce dans un communiqué qu’il retire son texte.
Non pas à cause des amalgames qui sont faits entre les insoumis et les lepénistes, mais parce que
« avec plus de 300 amendements à examiner, il faudrait 15 heures de débat pour aller au bout du texte. »
Un prétexte commode qui évite au groupe de la France insoumise de reconnaître qu’il s’est planté.