En politique, comme à la table des casinos, il y a les flambeurs et les stratèges. Incontestablement, le chef de l’État appartient à la première catégorie. Persuadé qu’une bonne étoile continue de veiller sur son destin, il a choisi de renverser la table. La fortune ne sourit-elle pas aux audacieux ? Ce quitte ou double serait fascinant si le prix n’en était pas notre avenir immédiat.
Coup de poker à haut risque
Emmanuel Macron lance les dés, mais nous sommes les jetons de cette partie de poker. Qu’espère le président en dissolvant l’Assemblée nationale ? D’abord, détruire la gauche. Il fait le pari qu’elle sera incapable, en quelques jours, de retrouver son unité autour d’un programme. Le score de Raphaël Glucksmann a rééquilibré le rapport de force interne. PS et LFI voudront chacun mener la danse, estime le chef de l’État. Si la gauche part à la bataille sans être rassemblée, elle restera hors course pour des années. Détruire les Républicains ensuite. En proposant à chaque député sortant de ne pas présenter de candidat contre lui s’il accepte de porter le label majorité présidentielle, Emmanuel Macron espère bien débaucher une partie des troupes d’Éric Ciotti.
“À quoi bon persévérer” se diront bon nombre de députés LR qui se demandent si, un jour, ils retrouveront les allées du pouvoir. Le score de François-Xavier Bellamy a de quoi pousser les hésitants à sauter le pas. En 2019, la tête de liste LR avait obtenu 8,48 % des voix. Cette fois, il ne recueille que 7,2 % des suffrages. L’objectif de cette guerre éclair ? Ne laisser qu’un seul choix à l’opinion. “Avec moi contre le RN” dit le Président, “ou bien avec le RN contre la République”. Un tête-à-tête qu’il n’a eu de cesse d’installer. Et dont il espère sortir vainqueur une nouvelle fois.
La tentation lepéniste
C’est ici qu’on saute dans l’inconnu. La détestation d’Emmanuel Macron est telle que les Français pourraient bien préférer un hémicycle lepéniste à une chambre ultralibérale. Le naufrage de Valérie Hayer ne plaide pas en faveur d’un retour en grâce du macronisme. Mais c’est justement ce piètre score qui a achevé de convaincre le chef de l’État. À ce tarif-là, comment survivre pendant trois ans encore ? Emmanuel Macron a préféré prendre l’initiative de la dissolution plutôt que d’y être contraint par une motion de censure dans les prochains mois. S’il remporte les législatives, le chef de l’État retrouve sa pleine légitimité. Mais s’il perd ? Jordan Bardella entre à Matignon.
Il faut rappeler un épisode qui appartient désormais à l’histoire. Celui de la première cohabitation de la Ve République en 1986. Cette année-là, la droite remporte d’une courte majorité les élections législatives. François Mitterrand appelle Jacques Chirac à Matignon. On ne donne pas cher de l’avenir du premier. Pourtant, au fil des mois, il va incarner le rempart. Rempart contre la droite, mais aussi contre le Front national qui a obtenu 31 sièges. Deux ans plus tard, le premier président socialiste de la Ve République est triomphalement réélu. La Constitution interdit à Emmanuel Macron de briguer un troisième mandat. Du moins, juste après les deux premiers.
Emmanuel Macron est persuadé qu’il ne fera qu’une bouchée de Jordan Bardella
Mais dans un coin de sa tête, il y a vraisemblablement le projet de quitter l’Élysée par la grande porte. De rester dans l’histoire comme celui qui aura ruiné les ambitions de l’extrême droite en apportant, jour après jour, la démonstration de son incompétence. Emmanuel Macron est persuadé qu’il ne fera qu’une bouchée de Jordan Bardella, cet intrus sans diplôme qui ignore tout de l’appareil d’État. Une démonstration qui, si elle devenait probante, lui ouvrirait la porte d’un retour à l’Élysée. Pourquoi pas en 2032. Emmanuel Macron n’aura alors que 54 ans, il faut s’en souvenir. Jordan Bardella peut s’installer dans le fauteuil de Gabriel Attal, mais rien ne dit que le Rassemblement national obtienne la majorité absolue à l’Assemblée.
Le groupe lepéniste peut très bien se retrouver dans la situation de l’actuel bloc présidentiel. Pour faire passer ses projets de loi, il devrait quémander les soutiens. La France plongerait alors dans un chaos institutionnel dont Emmanuel Macron ne manquerait pas de tirer profit. Cynique le chef de l’État ? Dans son entourage, hier soir, on faisait remarquer qu’il était plus facile de tuer le Rassemblement national en l’installant à Matignon plutôt que d’attendre qu’il dépose ses valises à l’Élysée.
Bref, qu’il valait mieux déclencher maintenant une guerre devenue inévitable. C’est une jolie petite histoire pour habiller ce qui reste d’abord une grosse raclée électorale.