C’est la première fois qu’un ministre en exercice comparaît devant une juridiction. Et pas n’importe quel ministre, puisqu’il s’agit du Garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti. Depuis ce lundi 6 novembre, 14 heures, il est assis sur le banc des prévenus de la Cour de justice de la République, sans qu’Emmanuel Macron et Élisabeth Borne n’y aient vu une raison suffisante pour le débarquer du gouvernement. L’exemplarité au sommet.
J’ai rappelé que la justice ne se rendait pas sur les plateaux de télévision, ni dans la rue d’ailleurs. Je suis présumé innocent. Je suis innocent. Je compte le démontrer.
Éric Dupond-Moretti, Garde des sceaux et ministre de la Justice, BFMTV, 12 octobre 2023
Histoire à tiroirs multiples
Composée de trois magistrats professionnels, six députés et six sénateurs, la Cour examinera le dossier jusqu’au 16 novembre. Une histoire à tiroirs multiples qui commence en 2020 avec Nicolas Sarkozy. Eh oui… Le Parquet national financier cherche alors à savoir qui a bien pu informer l’ancien président de la République qu’il avait été placé sur écoute ainsi que son avocat, Thierry Herzog. Vous vous en souvenez certainement, c’est cette rocambolesque affaire dans laquelle Nicolas Sarkozy utilisait le pseudonyme de Paul Bismuth pour échanger avec son avocat.
Revenons aux magistrats du Parquet national financier. Pour identifier la taupe qui a averti Nicolas Sarkozy, ils font éplucher les factures téléphoniques d’avocats parisiens. Parmi ces avocats figure Éric Dupond-Moretti, qui est un ami de Thierry Herzog. Quand il découvre l’affaire dans l’hebdomadaire Le Point, le ténor des Cours d’Assises fulmine. Il dénonce des « méthodes de barbouzes » et porte plainte pour atteinte à la vie privée. Plainte qui sera retirée après sa nomination place Vendôme.
Il ordonne une enquête administrative
Dans le même temps, la ministre de la Justice de l’époque, Nicole Belloubet, commande à ses services un rapport sur le fonctionnement du Parquet national financier. Quelques jours plus tard, le 6 juillet 2020, coup de théâtre : Éric Dupond-Moretti est nommé Garde des sceaux. Le rapport d’inspection commandé par Nicole Belloubet arrive sur le bureau du nouveau ministre de la Justice. Pour éviter tout conflit d’intérêts, son cabinet et les services de la place Vendôme lui recommandent de ne pas réagir. Plaignant dans ce dossier, il ne peut intervenir d’une quelconque manière.
Mais Dupond-Moretti passe outre. L’ancien avocat ordonne une enquête administrative contre deux des magistrats du Parquet national financier et leur cheffe, Éliane Houlette. Vous suivez toujours ? Bon, on continue. En réaction, deux syndicats portent plainte contre le nouveau ministre de la Justice : l’Union syndicale des magistrats et le syndicat de la magistrature.
Allez, un dernier effort, on arrive au dénouement. Le Conseil supérieur de la magistrature, instance disciplinaire, est alors appelé à se prononcer. À la fin de l’année 2022, il blanchit les magistrats qui étaient dans le collimateur du nouveau Garde des sceaux. La plainte déposée par les syndicats, elle, a prospéré.
Différence de traitement
Voilà pourquoi Éric Dupond-Moretti se retrouve aujourd’hui devant la Cour de justice de la République. Il encourt cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende. Une sanction qui peut être assortie d’une peine complémentaire d’inéligibilité et d’interdiction d’exercer une fonction publique.
Mais il serait très étonnant qu’Éric Dupond-Moretti se retrouve un jour au pain sec et à l’eau au fond d’un cachot. Sur la dizaine d’affaires jugées par la Cour de Justice de la République, seule la moitié a débouché sur une condamnation du ministre concerné. Et les peines de prison ont toujours été assorties du sursis. Reste la charge symbolique, et la différence de traitement au sommet de l’État.
Le président du MoDem, François Bayrou, comparaît en ce moment devant la 11e chambre du tribunal correctionnel pour avoir rémunéré des assistants parlementaires avec des fonds européens. En 2017, alors qu’il venait d’être nommé Garde des sceaux, il avait choisi de démissionner avant même que la justice ne le mette en examen. C’étaient les débuts du macronisme.
L’eau a coulé sous les ponts
La seule personne en France qui ne puisse pas défendre contre calomnies et dénonciations diffamatoires et abusives, c’est le ministre de la Justice. Le seul qui soit obligé de se taire même devant l’injustice. S’il dit « nous sommes innocents », on l’accuse d’influencer les magistrats. Je n’accepte pas d’être condamné au silence lorsque l’honneur de ceux que je représente est en jeu. De surcroît, cette situation exposait le président de la République et le gouvernement.
François Bayrou, France 24, 21 juin 2017
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Et ce n’est pas Olivier Dussopt qui dira le contraire. Il doit comparaître à la fin du mois de novembre devant la 32e chambre du tribunal judiciaire de Paris. Le ministre du Travail est accusé de favoritisme dans l’attribution d’un marché de gestion de l’eau en 2009, alors qu’il était maire d’Annonay. Il n’a pas démissionné.
Si les sénateurs ou les députés qui vont débattre du projet de loi immigration cherchent Olivier Dussopt, ils pourront toujours appeler le standard du palais de justice. Il se murmure que les agents de l’accueil commencent à avoir l’habitude…