Mercredi soir, il ne sera plus Premier ministre. Sauf si le Président de la République venait à le renommer. Pourtant Michel Barnier était prêt à toutes les concessions pour conserver son poste. Espérant retenir la lame du bourreau, il s’est même engagé par écrit, avant la séance, à ne pas dérembourser les médicaments. Allant même jusqu’à préciser qu’il prenait cette mesure à la demande de Marine Le Pen. La reconnaissance tant attendue pour cette dernière.
Mais ça n’a pas suffi. Comme le chat joue avec la souris, la présidente du groupe RN a aussitôt édicté une nouvelle condition : l’abandon de la désindexation des retraites. Alors le Premier ministre a mis sa tête sur le billot.
J’engage la responsabilité du gouvernement, de mon gouvernement, sur l’ensemble du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025 dans sa version résultante des travaux de la commission mixte paritaire et modifiée par les amendements rédactionnels et de coordination déposés. Et je le fais en appelant à la responsabilité de chacun des représentants de la nation que vous êtes même si vous devez quitter cet hémicycle.
Michel Barnier, Premier ministre, le 2/12/2024
L’équation politique de Marine Le Pen
Ce que n’a pas compris Michel Barnier, c’est que l’équation politique de Marine Le Pen a changé. Son électorat la presse de censurer un Premier ministre qui incarne la continuité du macronisme davantage que la rupture. La cure de respectabilité du RN a atteint ses limites. Celles où le risque d’être accusé de complicité avec l’exécutif devient plus grave que le désordre institutionnel.
Nous déposerons une motion de censure et que nous voterons la censure du gouvernement. Le gouvernement a prévu 30 à 40 milliards d’euros de taxes et impôts supplémentaires. Nous avons été extrêmement raisonnables dans les demandes que nous lui avons transféré, au nom des Français, avec le mandat que nous a donné les Français, le mandat de protection, en quelque sorte, qu’ils nous ont accordé. Nous remplissons ce mandat.
Les demandes que nous faisions étaient des demandes particulièrement raisonnables et malgré cela le gouvernement n’a accédé en réalité qu’à une seule des demandes que nous faisions, je le rappelle, à hauteur de 600 millions d’euros. Ca peut paraître beaucoup évidemment pour ceux qui nous écoutent, mais au regard du budget de la santé c’est dérisoire.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 2/12/2024
Derrière la décision de Marine Le Pen, il y a également une affaire de calendrier. Le jugement dans le procès des assistants parlementaires sera rendu le 31 mars. Marine Le Pen, comme Jean-Luc Mélenchon, mais aussi Jean François Copé ou Charles de Courson et bien d’autres responsables politiques, estiment que l’actuel blocage institutionnel pourrait contraindre Emmanuel Macron à démissionner avant cette date. La présidente du groupe RN se porterait aussitôt candidate à la magistrature suprême.
La justice se retrouverait alors dans une situation délicate. Celle de devoir prononcer l’inéligibilité d’une personnalité assurée d’être, au moins, au second tour. Et ce, en pleine campagne électorale. Un coup à faire exploser la Ve République et les institutions avec. Voilà ce qui se joue dans les coulisses de la censure de Michel Barnier. La prochaine présidentielle. Mathilde Panot n’en fait pas mystère.
Déni de démocratie
Face à cet énième déni de démocratie, nous censurerons ce gouvernement et Michel Barnier restera probablement dans l’histoire comme le Premier ministre qui aura eu le mandat le moins long comme Premier ministre de la 5e République.
Nous le censurons, et contrairement à ce que disait le Premier ministre à l’instant, ce ne sera pas le chaos après que monsieur Barnier et son gouvernement soient partis. C’est aujourd’hui un chaos politique que nous vivons du fait à la fois du gouvernement de monsieur Barnier mais aussi de la présidence d’Emmanuel Macron.
Et je le dis : après pour que notre pays puisse sortir de l’impasse politique et du chaos politique dans lequel Emmanuel Macron a plongé le pays, il ne reste plus qu’au président de la République de partir et au peuple français de pouvoir trancher par leur vote des nouvelles orientations qu’ils veulent pour ce pays.
Mathilde Panot, députée LFI et présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, le 2/12/2024
Jeudi dernier, Jean-Luc Mélenchon s’était montré encore plus explicite.
Quand il y a un blocage institutionnel, ce sont les électeurs qui décident. Comment on débloque le verrouillage ? Eh bien il n’y a qu’une seule et unique solution : que le président s’en aille et que l’on vote pour trancher sur les grandes orientations qui occupent le pays et qui sont en débat depuis le début.
Ce ne sont pas des discussions annexes que nous avons eues pendant les élections législatives. Les macronistes se cachaient derrière leurs doigts, mais pas nous, ni les autres. Chacun a défendu ses thèses devant les Français. Et c’est bien le blocage auquel on est arrivé qu’il faut nous dénouer d’une manière ou d’une autre.
Que le pays choisisse. Et on ne doit pas s’inquiéter de la démocratie. On doit s’inquiéter de la violence qui l’empêche.
Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la France insoumise, le 28/11/2024
L’élection présidentielle en ligne de mire
Le chef de file veut bien d’une candidature commune à la présidentielle. À condition que ce soit la sienne.
Nous faisons une offre fédérative. Nous avons compris que les communistes ne veulent plus, le parti communiste. Nous avons compris que la droite du Parti socialiste ne veut plus, et nous refusons de faire chemin avec des gens qui nous insultent en cours de route.
Nous proposons à ceux qui veulent de venir avec nous porter une candidature commune à l’élection présidentielle et de porter un programme ensemble. Nous proposons de faire tomber ce gouvernement et nous allons y arriver et de faire l’élection.
Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la France insoumise, le 29/11/2024
Chez les écologistes, on aspire également au changement. A l’Assemblée et au sein de la gauche.
Le gouvernement de Michel Barnier doit tomber. Nous devons en finir avec l’instabilité d’un gouvernement qui n’a pas de soutien. Pas de soutien dans cet hémicycle, pas de soutien de ses propres troupes, et pas de soutien des Français.
Nous voterons cette motion de censure parce que nous pensons qu’il faut un autre budget pour l’État et un autre budget pour la Sécurité sociale qui prenne en compte les besoins de l’ensemble des Français. Et enfin nous voterons parce que nous pensons qu’il faut définir une nouvelle feuille de route gouvernementale, une feuille de route de gauche, écologiste.
Nous pensons qu’il nous faut une feuille de route pour pouvoir ensuite dialoguer avec l’ensemble des forces républicaines. Et cette feuille de route doit répondre à l’ensemble des défis qui sont devant nous.
Cyrielle Chatelain, députée Écologiste et social et présidente du groupe Écologiste et social à l’Assemblée nationale, le 2/12/2024
Gagnons ensemble
Cette feuille de route, c’est la plateforme que Marine Tondelier et Lucie Castets ont lancé ce week-end qui aura la charge de l’élaborer. Ca s’appelle “Gagnons ensemble” et ça ressemble furieusement aux prémices d’une primaire populaire.
C’est-à-dire qu’on considère que la gauche, le Nouveau Front Populaire, donc la gauche, les écologistes, leurs alliés, ont obtenu 28 % aux élections législatives. On a déjoué les pronostics à ce moment-là, mais on ne gouverne pas avec 28 %, on l’a vu dans les mois qui ont passé.
Notre objectif c’est d’être en mesure de gouverner. Si on veut gouverner, ça veut dire qu’il faut élargir notre socle. Ça veut dire qu’il faut parler à davantage de gens. Et donc on ne se place pas du tout dans cette posture de dire : “Ok je veux bien travailler mais pas avec quelqu’un ou pas avec une autre personne”.
Lucie Castets, candidate du NFP à Matignon, le 1/12/2024
Pour les socialistes, c’est surtout le refus du Premier ministre d’engager le moindre dialogue avec la gauche qui est en cause.
Nous avons tout fait pour éviter à ce moment précis à censurer le gouvernement. Nous n’avons pas fait ce choix d’entrée de jeu. Nous avons fait exactement l’inverse. Nous avons dans le débat parlementaire été les rares à présenter des propositions, à les faire adopter dans l’hémicycle, alors même que les députés macronistes étaient tous, ou presque, quasi absents tout le temps.
Nous avons donc cherché à faire partager un point de vue. Le gouvernement avait expliqué qu’il était prêt à entendre une partie de ce que chacun dirait. La réalité, qu’elle est-elle ? Elle est simple, malheureusement, à comprendre : ils n’ont rien retenu de ce que nous leur proposions. Quand je dis rien, c’est rien.
Comment voulez-vous que dans ces conditions, quand nous avons un projet de budget de la sécu qui est un budget qui va fragiliser l’hôpital, qui va fragiliser les Ehpads, qui va fragiliser les malades de manière générale, comment voulez-vous que nous l’acceptions ? On ne peut quand même pas être pris en otage et qu’à chaque fois on nous fasse le coup du chaos, “moi ou le chaos, “Barnier ou le chaos”. Dans ces conditions-là, que voulez-vous qu’on fasse ?
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du PS, le 2/12/2024
Pour Olivier Faure, la démission d’Emmanuel Macron n’est pas la solution
Contrairement à Jean-Luc Mélenchon, Olivier Faure ne pense pas qu’une démission d’Emmanuel Macron permette de débloquer la situation.
Si c’était une solution, je pourrais appeler à cette démission. Est-ce quelqu’un pense qu’aujourd’hui, dans la situation dans laquelle nous sommes, il n’y a pas une menace de voir l’extrême droite l’emporter ?
Quelle serait la majorité qui permettrait de gouverner ? Elle ne peut pas bouger avant l’été prochain et une prochaine dissolution. Elle ne peut pas bouger avant une prochaine dissolution, elle ne peut pas intervenir avant le mois de huiler. Et comme on vote rarement au mois d’août, la réalité c’est qu’on ferait au mieux une élection en septembre.
Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du PS, le1/12/2024
C’est reparti pour un tour
Ce mercredi, les députés du Nouveau Front Populaire et du Rassemblement national censureront le gouvernement. Tous les regards se tourneront alors vers l’Élysée. Cette fois, Emmanuel Macron ne pourra pas attendre des mois pour désigner un nouveau Premier ministre.
Sur le papier, il peut renommer Michel Barnier à Matignon. Mais les mêmes causes provoquent les mêmes conséquences. Le savoyard s’exposerait à une nouvelle motion de censure lors du vote du budget.
Le président de la République va-t-il alors se résoudre à appeler un représentant du Nouveau Front Populaire ? Ces derniers jours, le nom de Boris Vallaud revenait dans les couloirs. Sa proposition d’un pacte de non censure entre les groupes a visiblement rencontré un écho. Ou bien Emmanuel décidera-t-il d’offrir Matignon à l’extrême-droite dans un dernier geste de provocation ? Tout est possible chez ce personnage. La dissolution de l’Assemblée nationale au lendemain des Européennes l’a montré.