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Mayotte, gouvernement : François Bayrou sait-il où il va ?

François Bayrou, Premier ministre, à l’Assemblée nationale le 17/12/2024 ©AssembléeNationale

Sait-il où il va ? Depuis qu’il s’est imposé dans le bureau d’Emmanuel Macron, François Bayrou donne l’impression d’un homme dépassé par sa fonction et l’ampleur du défi qu’il doit relever. L’homme accumule les gaffes. D’un jeune premier de la politique, on comprendrait à défaut de pardonner. Mais à 73 ans, accumuler autant d’erreurs en si peu de temps inquiète. Déjà, dans les couloirs de l’Assemblée nationale, certains le comparent à Joe Biden, le président américain sortant. Et sur Mayotte, François Bayrou s’est coincé les doigts dans le terroir.

J’étais à la réunion de crise avec le président de la République. J’y ai participé de la première à la dernière minute. Simplement, j’y ai participé par visio comme le ministre de l’Intérieur y a participé par visio depuis l’île de La Réunion. Parce que je suis obligé de vous dire que Pau, c’est en France.

Si j’avais été dans une mairie du 7e arrondissement, ou la mairie de Neuilly, vous auriez considéré, madame, que c’était très bien.

François Bayrou, Premier ministre, le 17/12/2024

Des relents colonialistes

Pour le communiste Stéphane Peu, cette incapacité à saisir l’ampleur de la catastrophe à Mayotte relève d’un impensé.

Qu’un Premier ministre qui vient d’être nommé, expérimenté comme François Bayrou, décide ce soir-là d’aller à Pau présider un conseil municipal et disserter de manière assez désinvolte sur le cumul des mandats, je ne comprends pas. Je ne me l’explique pas autrement qu’une espèce de subconscient, un impensé, on peut trouver que l’on veut, une espèce d’impensé colonial et raciste qui l’autorise à être négligeant vis-à-vis d’une situation.

Et cette négligence, je pense qu’il ne l’aurait pas eu si ça avait été une autre population d’une autre couleur de peau avec une autre religion dans un autre département de France.

Stéphane Peu, député GDR, le 17/12/2024

Incroyable mais vrai

Le député communiste ne croyait pas si bien dire. Cherchant un argument supplémentaire pour sa défense, le Premier ministre a soudainement basculé dans une faille spatio-temporelle. Il répondait, cette fois, au député écologiste Steevy Gustave.

Vous dites que le gouvernement n’était pas à Mayotte. Ce n’est pas exact, il y avait deux ministres. Le ministre de l’Intérieur et le ministre de l’Outre-mer qui étaient hier à Mayotte. Et le président de la République a annoncé qu’il irait à Mayotte. Il n’est pas d’usage que le Premier ministre et le président de la République quittent en même temps le territoire national.

François Bayrou, Premier ministre, le 17/12/2024

Mayotte ne serait donc pas sur le territoire national. Comment peut-on proférer pareille énormité ? Ces errements suffiraient à nourrir l’inquiétude. Mais ils s’accompagnent d’une absence totale de sens politique. François Bayrou a vu une partie de la gauche lui tendre la main. Ce qu’elle n’avait pas fait pour son prédécesseur, Michel Barnier. Et pourtant, le nouveau Premier ministre n’a fait aucun geste dans leur direction.

Nous avons besoin d’un budget pour le pays, d’un bon budget pour le pays. Est-ce qu’il est prêt à y travailler ? Nous voulons parler des retraites. Est-ce qu’il est prêt à le faire ? Nous voulons parler de pouvoir d’achat, d’hôpital public, de salaires, de narcotrafic. Est-ce qu’il est prêt à y travailler ?

Nous avions, nous, revendiqué l’exercice du pouvoir et un Premier ministre de gauche ouvert au compromis. Il n’est pas un Premier ministre de gauche, mais est-il ouvert au compromis ? Est-il prêt au doute sur ses certitudes d’hier ? Est-il prêt à revenir sur autre chose que la défense quoi qu’il en coûte du bilan d’Emmanuel Macron ? Est-ce qu’il tiendra l’exigence du front républicain d’un gouvernement parfaitement étanche avec l’extrême droite et ses idées ? Quelle est sa méthode ? Quel est son calendrier ? Quand est-ce qu’on se met au travail ?

Nous, nous sommes prêts à nous mettre au travail tout de suite. J’ai eu le sentiment qu’à part un discours qui était sans doute plein de bonnes intentions du Premier ministre, il y avait assez peu de choses opérationnelles. A lui maintenant de passer à l’acte. Et comme disait Henri IV : “Un acte vaut cinq dires”.

Boris Vallaud, député Socialistes et apparentés et président du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale, le 17/12/2024

Vide intersidéral

Les écologistes, qui étaient sur la même ligne en ont été pour leurs frais. Mardi matin, ils ont rencontré le Premier ministre à Matignon. L’entrevue s’est révélée aussi creuse qu’une huître un lendemain de réveillon.

Un Premier ministre qui n’avait rien à nous dire ce matin, on vous l’a dit. On a eu aucune réponse sur aucun sujet. Les salaires, pas de réponse. Les retraites, pas de réponse. La transition écologique, pas de réponse. Moi, j’ai l’impression d’assister exactement à la même chose. C’était une heure de vide de quelqu’un qui était extrêmement seul.

Nous on pensait qu’on avait besoin d’un Premier ministre de gauche. Mais, faute d’avoir un Premier ministre de gauche, au moins un Premier ministre qui est en capacité d’apporter des réponses, de démontrer qu’il a une ligne et une capacité à faire des compromis. Là, on a de la vacuité face à nous et donc il va presque automatiquement reconduire la politique de Michel Barnier. Il nous a redit vouloir travailler avec les LR. Donc, oui, peu à peu il pave lui-même sa propre censure et son propre échec.

Cyrielle Chatelain, députée Écologiste et social et présidente du groupe Écologiste et social à l’Assemblée nationale, le 17/12/2024

Mais François Bayrou a des défenseurs. Ainsi le groupe LIOT qui compte pourtant dans ses rangs Estelle Youssoufa, députée de Mayotte et de nombreux élus ultra-marins.

Je crois qu’on peut toujours essayer de faire des polémiques. On peut toujours rester à la surface des choses. Je pense que la préoccupation qui doit guider celle des parlementaires c’est de se demander ce que sont les vrais problèmes du pays. Mayotte est un des problèmes majeurs et une des urgences que nous avons à affronter. Mais la constitution d’un gouvernement, la constitution d’une feuille de route gouvernementale est aussi une nécessité qui ne doit pas s’effacer.

Harold Huwart, député LIOT, le 17/12/2024

Un Rassemblement national très conciliant

Quant au Rassemblement national, il s’est montré étonnamment conciliant. Davantage, en tout cas, qu’avec Michel Barnier même s’il s’en défend.

Nous ne sommes pas conciliants avec monsieur Bayrou par rapport à monsieur Barnier. C’est juste que nous avions laissé sa chance à monsieur Barnier. Monsieur Barnier a vite gaspillé le crédit qu’il avait auprès de la population française et du Parlement.

Nous laissons la même chance à monsieur Bayrou. C’est vrai que hier, un certain nombre de choix qu’il a fait sur le fait d’aller présider ce conseil municipal à Pau et de ne pas donner la priorité à assister à la réunion à Mayotte nous a forcément déplu.

Mais nous choisissons de ne pas polémiquer et de faire en sorte que l’énergie de monsieur Bayrou et du gouvernement, même s’il est démissionnaire, aille aux vraies priorités. Je regrette qu’aujourd’hui beaucoup de députés, notamment de gauche, aient choisi la polémique.

Jean-Philippe Tanguy, député RN, le 17/12/2024

Mais cette bienveillance n’a pas été récompensée. Comme la France insoumise, le Rassemblement national n’a pas été invité à la réunion qu’organisait le Premier ministre. Ce dernier a ainsi tiré un trait sur 195 députés. Une paille !

Il ne faudra pas s’étonner que ce mépris ait des conséquences le moment venu. Sur le fond, ce conclave a confirmé le désarroi de François Bayrou. Il a proposé à tous les partis d’entrer au gouvernement. Pas moins. On ignore s’il est prévu que les conseils des ministres s’étalent du lundi matin jusqu’au dimanche soir. Enfin si vous cherchez un job temporaire, n’hésitez pas à candidater.

On nage en plein délire

Le Premier ministre a également demandé aux partis de se situer : avec le gouvernement en y participant, avec le gouvernement en le soutenant ou bien dans l’opposition. Exercice totalement loufoque étant donné que personne ne connaît les orientations de ce gouvernement qui n’est même pas constitué.

La seule avancée a été une timide proposition sur les retraites.

L’ouverture d’une conférence sociale pour dégager avec les partenaires sociaux la possibilité d’avoir une loi d’ici septembre qui puisse se substituer, se substituer à la loi qui a été non pas votée mais imposée par le 49-3.

Stéphane Peu, député GDR, le 19/12/2024

La réforme Borne continuerait donc de s’appliquer tandis qu’on négocierait des financements alternatifs au report de l’âge de départ. Ce qui revient à discuter avec un pistolet sur la tempe. Bref, cette réunion foutraque n’a pas convaincu grand monde.

Pour finalement n’avoir pas beaucoup plus d’informations sur l’orientation du nouveau Premier ministre. La censure est toujours très clairement sur la table.

Cyrielle Chatelain, députée Écologiste et social et présidente du groupe Écologiste et social à l’Assemblée nationale, le 19/12/2024

Je le dis avec, en réalité, une forme de désarroi : nous n’avons pas trouvé de raison de ne pas le censurer.

Olivier Faure, député Socialistes et apparentés et Premier secrétaire du Parti socialiste, le 19/12/2024

Un gouvernement sous le sapin ?

François Bayrou a promis un gouvernement avant Noël. Mais est-ce vraiment un cadeau ? Dans la hotte du Père Noël béarnais pourrait bien se dissimuler le père fouettard. Que cela ne vous empêche pas de passer de bonnes fêtes quand même.

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