
Qu’auront changé les rassemblements de ce dimanche à Paris ? Pas grand-chose. Le Rassemblement national n’a pas fait le plein de la Place Vauban. 7 000 personnes selon la police, 10 000 selon les organisateurs. Place de la République, du côté de La France insoumise épaulée par Les Écologistes, la mobilisation contre l’extrême droite et pour le respect de l’État de droit n’a réuni que 5 000 personnes selon la préfecture de police. Même si Manuel Bompard en a compté trois fois plus.
Pas de confrontation, pas d’incident. La pièce qui s’est jouée dimanche était à des années-lumières de l’émeute fasciste du 6 février 1934 qui fit 17 morts ou de la contre-manifestation du Parti communiste, trois jours plus tard, qui là encore coûta la vie à 9 personnes. Tant mieux pour la paix civile. Tant pis pour tous ceux qui espéraient faire frémir le bourgeois. A l’exception des militants, le peuple n’était ni place Vauban ni place de la République. Pour une bonne raison. La présidentielle, c’est dans deux ans et pas demain matin.
Si les 13 millions d’électeurs de Marine Le Pen n’ont pas fait trembler la main des juges au moment de rédiger la sentence, comment quelques milliers de manifestants pourraient impressionner la justice ? D’autant qu’il y a quelque incongruité à se mobiliser contre une institution de la République quand on prétend incarner le parti de l’ordre. Ce qui n’a pourtant pas dissuadé Marine le Pen d’enfourcher ce cheval de bataille qui fût celui de son père. Stratégie qui se révèlera certainement suicidaire quand viendra l’audience devant la Cour d’appel.
C’est justement parce que nous sommes attachés à l’État de droit que nous nous insurgeons contre son dévoiement, son instrumentalisation non pas par les juges mais par des juges qui ont décidé de faire de nos institutions les plus sacrées l’outil de leur idéologie avec un sentiment de toute-puissance. Personne, personne et surtout pas les défenseurs du principe d’indépendance de la justice ne peut cautionner le fait que des magistrats sous couvert d’appartenance syndicale se targuent de mener un combat militant ouvertement politique contre les patriotes.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 06/04/2025
Trumpisme à tous les étages
C’est bien là le problème de Marine Le Pen. Elle n’offre d’autre perspective à ses partisans qu’un combat en défense alors même qu’ils étaient à deux doigts du pouvoir. Car enfin, comment des électeurs pourraient-ils se mobiliser derrière une candidate dont ils ne sauront que dans un an si elle peut vraiment frapper à la porte de l’Élysée ? Certes, la présidente du groupe RN s’est essayée à emboucher les trompettes du trumpisme.
Nous ne demandons pas d’être au-dessus des lois mais pas au-dessous des lois. Nous ne sommes pas des sous-citoyens.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 06/04/2025
Mais quand tous les sondages montrent qu’une majorité de Français considère que la condamnation est méritée, il faut trouver autre chose. Le ridicule n’étant jamais mortel, l’ex-future candidate s’est lancée dans une analogie audacieuse pour l’extrême droite.
Je le dis : notre combat est aussi un combat pour les droits civiques. Parce qu’il existe manifestement en France plusieurs catégories de citoyens. Je veux dire que notre ligne de conduite ne sera jamais celle de la brutalisation, chère à d’autres formations politiques, mais celle pacifique du pasteur Martin Luther King pour les droits civiques des citoyens américains à l’époque opprimés et privés de droits.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 06/04/2025
Martin Luther King ! On a cru rêver. A ce train-là, on aura droit à Gandhi la semaine prochaine et Mère Térésa à Pâques. Le pèlerinage à Lourdes n’est pas loin. Il s’y produit parfois des miracles. A la différence des Cours d’appel. Alors il y a Bardella. Qui est là pour une fois. Son plaidoyer en faveur de Marine Le Pen avait l’allure d’un protocole compassionnel.
Vous avez toujours pu compter sur elle. Sur sa pugnacité, sur son honnêteté, sur son énergie et par-dessus tout, sur sa solidité. Aujourd’hui, aujourd’hui mes amis, c’est elle qui a besoin de vous. Alors je ne vous demande qu’une chose : aidez-la, aidez-la face à l’injustice. Aidez-la en poursuivant la mobilisation à nos côtés. Aidez-la en amplifiant la vague patriote partout en France. Rejoignez-nous !
Jordan Bardella, président du RN et député européen, le 06/03/2025
On dirait un chef scout demandant à ses louveteaux d’aider une vieille dame à traverser la rue. Mais pourquoi se gênerait-il ? La veille, un sondage Elabe montrait que Bardella ou Le Pen, c’est blanc bonnet et bonnet blanc pour l’électeur du Rassemblement national. Celui-ci attache finalement peu d’importance à la personnalité de celle ou celui qui lui ouvrira les portes de l’Élysée.
Et justement, cette indifférence des électeurs, combinée à un manque d’épaisseur du successeur désigné, malgré son appétence pour les salles de sport, a réveillé les appétits. Dans la tête d’un Sébastien Chenu, d’un Jean-Philippe Tanguy ou d’une Laure Lavalette, on commence à se dire qu’on ferait tout aussi bien l’affaire que l’idole des jeunes sur TikTok.
Et puis il y a Marion Maréchal. On l’a oublié, c’est une Le Pen, elle aussi. Son nom la prédispose à reprendre la boutique familiale. Mais ce faisant, le RN renouerait avec une tradition monégasque incompatible avec un parti qui prétend s’être banalisé. En temps ordinaires, la gauche aurait de quoi se réjouir des conséquences de la quarantaine judiciaire qui vient de s’abattre sur le Rassemblement national. Enfin, l’horizon s’éclaircit. Mais elle ne se porte pas mieux que le RN. Pas pour les mêmes raisons, bien sûr.
C’était important de montrer que quand l’extrême droite s’attaque aujourd’hui à la République, à la démocratie, à l’État de droit, ça ne peut pas rester sans réaction populaire. L’objectif c’était d’avoir une première initiative aujourd’hui de riposte en se rassemblant à 13 heures aujourd’hui sur la place de la République. En le faisant avec, évidemment, d’autres formations politiques, syndicats, organisations de jeunesse, associations. Evidemment, aujourd’hui c’est une première étape. Evidemment, aujourd’hui c’est l’opportunité et l’occasion de montrer que l’extrême droite, pour ceux qui en doutaient, montre son vrai visage.
Manuel Bompard, député LFI et coordinateur national LFI, le 06/03/2025
La gauche toujours divisée
“Première étape” dit Manuel Bompard. Le Rassemblement de la place de la République a surtout mis en évidence l’émiettement des forces de gauche. Le PS et PC étaient absents.
Que le Parti socialiste manque à la bataille contre l’extrême droite, malheureusement ce n’est pas la première fois. Je vous rappelle que ces derniers temps, par exemple, ils ont refusé de censurer un gouvernement dans lequel vous avez un ministre, monsieur Retailleau, dont les propos et les politiques se rapprochent malheureusement de plus en plus de l’extrême droite.
Manuel Bompard, député LFI et coordinateur national LFI, le 06/03/2025
Nous, on n’est pas là aujourd’hui pour polémiquer avec eux. Nous, la gauche, les écologistes, ce n’est pas une caserne. Chacun a des sensibilités différentes, des modalités d’action différentes. Chacun a aussi, dans ses modalités de décision, des statuts différents, des écosystèmes différents. Et nous, nous respectons cela. En tant qu’écologistes, on n’a jamais donné de leçon de morale aux gens. Les gens savent ce qu’ils ont à faire, savent ce qui est proposé, ils décident d’y aller ou pas. Nous, nous avons noté qu’il y avait ce rassemblement qui est un peu un rassemblement spontané aujourd’hui, un rassemblement d’urgence, une première réaction instinctive pour nous.
Marine Tondelier, Secrétaire nationale des Écologistes, le 06/04/2025
Comment la gauche ne serait-elle pas faible quand les candidatures à la présidentielle se multiplient ? De Jean-Luc Mélenchon à Raphaël Glucksmann en passant par François Ruffin, Fabien Roussel et Carole Delga. Même Marine Tondelier commence à se dire qu’elle pourrait elle aussi faire un tour de piste. Dans l’histoire du mouvement social, la lutte contre la vie chère et la promesse d’une vie digne ont toujours fait davantage que les manifestations contre l’extrême droite. “No Pasaran”, ça ne remplit pas le caddie.
C’est cela qui manque à la gauche aujourd’hui. Un projet dans lequel tous ses courants puissent se retrouver. Elle l’avait avec la NUPES devenu Nouveau Front Populaire. Tout a volé en éclats. On ne refera pas ici l’inventaire des responsabilités. Il ne convaincrait ni ceux qui pensent que les socialistes ont la traîtrise dans le sang, ni ceux qui estiment que la France insoumise a quitté les rivages de l’universalisme et de la laïcité. Les uns et les autres se déchaîneront suffisamment dans les commentaires sous cette vidéo pour que je fasse l’impasse.
Mais tout ceci ne dit pas comment on passe d’une gauche qui représente à peine 30 % des voix au premier tour à une gauche qui triomphe au second tour. Atomisée, elle restera sur le quai. De François Hollande, capitaine de pédalo bien connu, à Jean-Luc Mélenchon, cap-hornier de la présidentielle, ceux qui croient à la navigation en solitaire feraient mieux de se tourner vers la prochaine édition de la Route du Rhum.
Au moins, les naufrages sur un catamaran n’entraînent pas la moitié du pays dans les abysses. Ça tombe bien, le prochain départ de la célèbre course de voiliers aura lieu un peu après les municipales.