Depuis 17 heures, ce lundi 18 décembre, les quatorze membres de la commission mixte paritaire (CMP) et leurs suppléants sont réunis dans le sixième bureau de l’Assemblée nationale. Entre leurs mains, le sort d’une loi et peut-être du quinquennat. Car, une fois n’est pas coutume, le chef de l’État ne demandera pas à la Première ministre d’engager la responsabilité du gouvernement. Il l’a confirmé lors de sa conférence de presse à l’issue du Conseil européen de vendredi dernier.
C’est vrai que j’ai assumé l’utilisation de l’article 49-3 pour le vote final sur une loi des retraites qui a été l’une des plus débattue de la Ve [République]. Ce ne serait pas sérieux de passer un texte sensible en 49-3 alors que les oppositions ont tout fait pour qu’il n’y ait pas de débat. J’ai demandé à la Première ministre, au ministre de l’Intérieur, à l’ensemble des forces, de finaliser dans les prochains jours un dialogue et d’essayer d’avoir une commission mixte paritaire qui permettra ensuite d’aller au vote. Et puis j’en tirerai les conséquences. Ce que je sais c’est qu’il y a un gouvernement qui est au travail, un ministre qui n’a pas ménagé sa peine, une majorité qui ne s’est jamais divisée, jamais, sur ce texte comme sur les précédents, et c’est une grande force.
Emmanuel Macron, président de la République, Conseil européen, 15 décembre 2023
Choix cornélien
« J’en tirerai les conséquences », dit Emmanuel Macron à propos du vote des députés, mardi 19 décembre. Encore faut-il que la CMP soit conclusive, c’est-à-dire débouche sur un texte. Texte qui sera soumis conjointement aux députés et aux sénateurs mardi après-midi, sans qu’ils aient la possibilité d’y changer une virgule. Ils ne peuvent que l’accepter en l’état bien le repousser.
Arrivera ce qui arrivera dit en substance le président. Comme s’il n’était plus en son pouvoir d’influer sur le sort d’un projet de loi qui a été présenté comme l’un des textes les plus importants de ses deux quinquennats. Le macronisme est à la croisée des chemins : soit il perd son identité – le fameux « en même temps », passablement écorné –, soit il perd la majorité. Un choix cornélien dans lequel il s’est enferré tout seul. Il pensait piéger la droite. C’est elle qui l’a piégé en l’entraînant dans sa surenchère permanente avec le Rassemblement national.
Pacte avec le diable
Jusqu’où l’exécutif peut-il passer un pacte avec le diable ? Élisabeth Borne ne cesse de reculer les limites. Il est vrai qu’elle joue son avenir dans l’affaire. Dimanche 17 décembre encore, elle a reçu le président de LR, Éric Ciotti, le patron des députés, Olivier Marleix, et celui des sénateurs, Bruno Retailleau. Trois points restent en débat. Ce ne sont pas les seuls, mais ce sont les plus importants.
L’Aide médicale d’État d’abord. Considérée comme un cavalier législatif, cette question a été sortie du texte, mais les LR veulent obtenir l’engagement qu’elle revienne sur le tapis en janvier, sous forme d’un nouveau projet de loi. Il y a ensuite l’article 4 bis sur les régularisations des travailleurs sans-papiers. Dans la version initiale du projet de loi, cette faculté était devenue un droit des salariés. Le Sénat avait donné au préfet le pouvoir de s’y opposer. Les LR veulent maintenant aller plus loin en faisant de ce dernier le seul décideur, ce qui est le cas aujourd’hui.
Dernière pierre d’achoppement, le délai de carence avant qu’un étranger puisse bénéficier des prestations sociales. Il est de six mois aujourd’hui. Les sénateurs l’ont porté à cinq ans. Matignon propose de le ramener à trois ans. Les LR ont donc toutes les cartes en main.
Croire en leur loyauté
Dimanche, Gérald Darmanin affectait de croire en leur loyauté, toujours dans l’hypothèse où la CMP serait conclusive.
Gérald Darmanin : Est-ce que l’intégralité du groupe LR votera ?
Journaliste : J’allais vous poser la question.
G. D. : Posez-la à ceux qui dirigent le groupe LR. J’espère…
Journaliste : Au moment des retraites, il y avait un accord qui était en cours de discussion et à la fin c’est précisément parce que les voix des Républicains vous ont manqué que vous avez été obligé d’engager un 49-3. Est-ce que vous ne leur faites pas trop confiance ?
G. D. : Non. Il faut bien sûr faire confiance à nos interlocuteurs sinon vous ne faites rien de construit dans la vie.
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, BFMTV, 17 décembre 2023
« Partenaires fiables »
On a connu le ministre de l’Intérieur plus convaincant, ou plus convaincu. Quelques heures auparavant, sur la même antenne, c’est Yaël Braun-Pivet qui donnait l’impression, elle aussi, de croire encore au Père Noël. C’est vrai qu’Éric Ciotti avec un bonnet rouge et un traîneau tiré par Olivier Marleix et Bruno Retailleau, ça fait rêver.
On peut leur faire confiance, vous savez pourquoi ? Parce que depuis dix-huit mois, ils sont dans une position constructive et de compromis. Pour les retraites, nous avons trouvé un accord en commission mixte paritaire.
Qui n’a pas été suivi.
Nous n’avons pas réussi à faire voter le texte à l’Assemblée nationale, mais ne dites pas que nous n’avons pas trouvé d’accord avec les LR et qui n’était pas dans une attitude de compromis. Il l’était.
Donc ils respectent les accords avec le gouvernement ?
Évidemment qu’ils respectent les accords. Ce sont des partenaires fiables.
Yaël Braun-Pivet, députée Renaissance des Yvelines et présidente de l’Assemblée nationale, BFMTV, 17 décembre 2023
Chacun fait ce qui lui plaît
Des partenaires fiables, mais qui ne contrôlent pas leurs troupes. C’est bien la difficulté de l’histoire. La présidente de l’Assemblée nationale fait référence à la réforme des retraites en mars dernier. Un exemple mal choisi. D’abord, parce que l’Assemblée nationale n’a pas pu examiner l’ensemble du texte avant qu’il soit transmis au Sénat. Ensuite, parce que le gouvernement a recouru à l’article 49-3 malgré un accord en CMP.
Les projections sur le vote des députés LR montraient que nombre d’entre eux allaient faire défection. Il s’est d’ailleurs trouvé 19 députés LR sur les 62 du groupe pour voter la motion de censure déposée après l’engagement de responsabilité du gouvernement. Bref, chez les LR, chacun fait ce qu’il lui plaît, ce qui n’est pas le moindre paradoxe de cette formation qui prétend incarner l’ordre et l’autorité.
« Syndrome de ramollissement »
Dimanche, dans Le Journal du Dimanche, Aurélien Pradié, le député LR du Lot, a menacé de ne pas voter le texte si celui-ci venait à être ramolli par la CMP.
Attention au syndrome du ramollissement qui contamine souvent les commissions mixtes paritaires. Ce n’est pas le moment de flancher. L’intransigeance n’est pas une posture politique : c’est le seul chemin possible pour redresser le pays.
Aurélien Pradié, député LR du Lot, Le Journal du Dimanche, 17 décembre 2023
Au sein même du bloc présidentiel, de nombreuses défections sont probables. Cinq députés Renaissance pourraient voter contre et une vingtaine se réfugieraient dans l’abstention. Au MoDem, on table sur une dizaine de députés qui se prononceraient contre un texte droitisé ou s’abstiendraient. Et cela, malgré la mise en garde de François Bayrou dimanche, au micro de RTL.
Les perdants seraient tous ceux qui pensent que c’est un sujet important et sur lequel il faut prendre des décisions. Des décisions pour protéger disent les uns, des décisions de justice disent les autres. Ceux-là seraient les perdants. C’est-à-dire tout le monde.
François Bayrou, haut-commissaire au plan et président du MoDem, RTL-Le Figaro-Paris Première-M6, 17 décembre 2023
Saut dans l’inconnu
« Je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire », comme disait le regretté Coluche… Quoi qu’il en soit, c’est un véritable saut dans l’inconnu auquel va se livrer l’exécutif si la CMP débouche sur un accord. Et si elle n’y parvient pas, le chef de l’État a déjà indiqué que le projet de loi sera retiré. La décision sera identique si l’Assemblée venait à repousser le texte qui lui serait proposé par la CMP.
En cas d’absence de majorité sur le texte, mardi dans l’hémicycle, la question se posera de savoir si le président de la République peut continuer avec la même Assemblée nationale pendant trois ans et demi. Certes, il a tout loisir de faire du Chirac, c’est-à-dire rien. Mais le tempérament d’Emmanuel Macron s’accorde mal avec cette éventualité. La dissolution de l’Assemblée nationale apparaîtrait plus cohérente. Mais le bloc présidentiel perdrait une centaine de députés, et peut-être la majorité relative dont il dispose.
L’équation apparaît insoluble, car un simple changement de Premier ministre ne suffira pas pour redonner de l’oxygène au président. Ce qui est certain, c’est qu’on voit mal la France s’installer dans l’immobilisme pendant les trois prochaines années. La situation sociale et le réchauffement climatique appellent des mesures d’ampleur dès à présent.