
Hier soir, les députés ont entamé l’examen d’un texte particulièrement inflammable. Le projet de loi de simplification de la vie économique. Initialement, ce texte avait pour objectif de simplifier la vie des chefs d’entreprise en allégeant certaines procédures administratives.
Quand vous êtes un dirigeant d’entreprise et plus particulièrement d’une TPE ou d’une PME, huit heures, c’est le temps que vous passez en moyenne par semaine à remplir de la paperasse administrative. Huit heures perdues à vous arracher les cheveux pour accomplir des formalités qui n’apportent souvent aucune valeur ajoutée à votre activité. Huit heures, que vous auriez pu passer à développer votre commerce, à démarcher des clients, à recruter, à former vos salariés.
Laurent Marcangeli, ministre de l’Action publique, de la Fonction publique et de la Simplification, le 09/04/2025
On doit ce projet de loi à Bruno Le Maire, l’écrivain contrarié qui s’est un temps abandonné à la gestion des finances du pays avec le succès que l’on connaît. Adopté au Sénat avant la dissolution, le projet de loi a été transmis à l’Assemblée. Jusque-là rien d’extraordinaire. Mais tout a changé lors de son examen en commission, le mois dernier. Les députés de la macronie, de droite et d’extrême droite ont rayé d’un trait de plume une trentaine d’organismes paraétatiques. Le rapporteur du projet de loi s’en est expliqué.
L’article 1 a beaucoup fait réagir parce qu’en effet il y a eu des amendements de suppression. Nous avons supprimé des commissions, mais ces amendements étaient pour certains des amendements et des suppressions éclairées. Pour d’autres, pour d’autres, pour d’autres, des amendements d’alerte qui avaient plutôt pour vocation d’attirer sur un manquement de la part du gouvernement ou de certains élus quant à l’action même de ces commissions.
Christophe Naegelen, député LIOT et secrétaire de l’Assemblée nationale, le 09/04/2025
Alors, qu’est ce qui est supprimé ?
Par exemple, la Conférence de la prévention étudiante, le Conseil national de la montagne, la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, l’Observatoire de l’alimentation ou encore les CESER qui ont été supprimés purement et simplement en commission sans aucune étude d’impact.
La Commission nationale du débat public elle-même est menacée de suppression en séance par l’extrême droite et une partie des macronistes qui portent également un amendement en ce sens. Les possibilités d’enquête publique ou de recours juridique sont réduites à tous les étages.
C’est ici au nom d’une prétendue volonté de simplification et d’accélération, c’est en réalité l’État de droit qui est ici gravement attaqué par ce texte. Le volet démocratique, mais ce n’est pas tout, c’est une hécatombe du côté du droit environnemental. L’Ademe et l’OFB eux-mêmes sont menacés également de suppression en séance.
Manon Meunier, députée LFI le 09/04/2025
Emportés par leur élan, certains députés veulent même supprimer l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel. Ce qui trouble les macronistes pourtant favorables au projet de loi.
L’Arcom est une instance importante qui a pris des décisions importantes. Vous faites référence à la fermeture d’une chaîne de télévision qui s’appelle C8 il y a de cela quelques semaines. Je pense qu’elle a bien fait de le faire, donc il y aura un débat, il faudra faire valoir des positions. Nous avons besoin de simplifier dans tout un tas de domaines, c’est pour ça que ce texte est important.
Pieyre-Alexandre Anglade, député EPR, le 09/04/2025
A gauche, on dénonce une entreprise de liquidation.
Ce n’est pas une loi de simplification, c’est une loi de liquidation, de massacre à la tronçonneuse. On veut supprimer des dizaines d’agences de l’État qui jouent des rôles essentiels, pour l’accueil des étudiants internationaux, supprimer l’Arcom, c’est-à-dire ce qui garantit le pluralisme et la démocratie dans les médias, on veut supprimer le Haut conseil pour le climat.
On vit en période de réchauffement climatique, ce n’est plus nié par personne même par l’extrême droite maintenant, si j’ai bien suivi, et on veut supprimer le Haut conseil pour le climat. On veut remettre en cause un certain nombre de dispositifs contre l’artificialisation des sols.
Ca tire tous azimuts contre des protections pour les Français, contre des agences, des opérateurs, des dispositifs qui viennent de travaux législatifs qui ont duré parfois du temps ici, qui ont fait l’objet de recherche scientifique, qui ont fait l’objet de débat parlementaire, de concertation avec les collectivités locales, les partenaires sociaux, les différents acteurs de notre vie démocratique, et dans une espèce de folie trumpienne qui s’empare aujourd’hui de l’extrême droite, de la droite et parfois d’une partie de la macronie, je le regrette, on arrive à un truc, à un texte qui est délirant.
Benjamin Lucas-Lundy, député Écologiste et social, le 09/04/2025
Massacre à la tronçonneuse
Qu’on ne s’y trompe pas. Ce n’est pas parce que ces organismes sont méconnus qu’ils sont inutiles. Car, comme le pointe Stéphane Peu, leur rôle de conseil est essentiel pour le pouvoir exécutif comme le pouvoir législatif.
En commission on a pu observer un concours entre la droite, le bloc central et l’extrême droite de savoir qui avait la plus grosse tronçonneuse pour essayer de, sous couvert de simplification, de supprimer beaucoup de commissions qui parfois dans leur intitulé peuvent paraître bizarres mais sont très utiles.
Par exemple, il y a une commission qui a été supprimée, la commission sur la montagne par exemple, alors que la veille trois ministres lui avaient demandé un rapport. Il y a la suppression des CESER mais supprimer les CESER qui fournissent un travail, beaucoup de rapports, on supprime les CESER pour mieux aller faire travailler McKinsey ou des cabinets d’études pour se donner des documents.
Il vaut mieux que ce soit la société civile organisée, représentée dans les CESER qui fournissent un rapport plutôt que des bureaux d’études qu’on paie très cher souvent pour un travail médiocre.
Stéphane Peu, député GDR et président du groupe GDR à l’Assemblée nationale, le 09/04/2025
Mais ces suppressions sont peut-être l’arbre qui cache la forêt.
L’attention se focalise sur les CESER, le Conseil de la montagne, les suppressions d’instances qui ne sont pas d’un immense impact sur la vie du pays, ni sur la vie de l’administration et encore moins sur le budget. On se fait plaisir à vouloir les supprimer en rafale mais il y a des choses beaucoup plus inquiétantes dans certains amendements qui ont été faits.
Je signale : la suppression de toute peine pour les chefs d’entreprises qui ne respectent pas les obligations de contractualisation, ce qui est quand même la remise en cause de dispositifs qui datent de deux siècles et qui construisent la responsabilité pénale des chefs d’entreprises, c’est l’article 10.
Harold Huwart, député LIOT, le 09/04/2025
Et puis il y a la question des Zones de faible émission. Les ZFE. C’est le principal point de crispation du projet de loi. Au nombre de 40, les ZFE ont été créées en 2019. Dans ces zones, la circulation est restreinte pour les véhicules qui ont une vignette Crit’Air 3, c’est-à-dire les essences et hybrides immatriculées avant 2006 et les diesels immatriculés avant 2011. Dans les faits, ces restrictions ne sont effectives aujourd’hui que dans deux métropoles, Paris et Lyon. Objectif : préserver la santé des Français.
Plus de 40 000 décès seraient liés à la pollution de l’air. C’est l’Agence santé France qui nous le dit, l’agence sanitaire qui nous l’affirme, ce ne sont pas des chiffres des écologistes en claquettes mais bien des chiffres qui proviennent des institutions les plus respectables de l’État.
Léa Balage El Mariky, députée Écologiste et social, le 09/04/2025
Éradiquer la pauvreté
Seulement voilà. Les véhicules les plus polluants sont ceux des plus pauvres. Tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas en changer aussi souvent que les ménages plus aisés. Il faut donc supprimer la pauvreté ou bien interdire les véhicules polluants. Comme le premier terme de l’alternative ne semble pas être à l’ordre du jour, la droite et l’extrême droite réclament la disparition des ZFE.
On ne va pas dire aux gens qui n’ont pas les moyens de s’acheter une voiture à 40 000 euros : “Vous arrêtez toute vie, vous n’avez plus le droit d’aller en centre-ville vous faire soigner, vous n’avez plus le droit d’emmener vos enfants à l’école, vous n’avez plus le droit de faire vos courses”.
Tout ça est aberrant. On est en train de créer deux mondes, le monde des villes pour les riches et les banlieues ou les campagnes pour les pauvres. Tout cela n’a pas de sens. Tout cela pour la folie écologique de quelques-uns. C’est une mesure pas efficace et une mesure socialement injuste. Pas de ZFE nulle part, jamais.
Laurent Jacobelli, député RN, le 09/04/2025
On ne règlera rien par l’interdiction. Je crois que si ceux qui nous gouvernent n’ont pas compris la leçon des gilets jaunes, c’est qu’ils n’ont rien compris à la France. Mais on voit bien que ces élus sont complètement hors-sol, que ce soit les macronistes ou les écologistes, ce sont des bobos urbains qui ne comprennent rien à la vie des territoires. C’est pour ça qu’ils portent des mesures aussi stupides et aussi absurdes et aussi scandaleuses, socialement, je le redis.
Éric Ciotti, député UDR et président du groupe UDR à l’Assemblée nationale, le 09/04/2025
Ah les bobos urbains. Que deviendraient nos débats sans cet épouvantail. L’ennui, c’est que ce sont les pauvres et non les bobos qui font les frais de la pollution.
Ce n’est pas une question de bobos contre les classes populaires. Au contraire. La réalité c’est que ce sont les classes populaires qui pâtissent le plus de la pollution. C’est ça, la réalité. Les grands axes se trouvent en l’occurrence par exemple pour ce qui est de Paris, autour du périphérique ou sur les grands axes et les grandes villes de banlieue. C’est ça la réalité.
Donc aujourd’hui parler des ZFE c’est parler de santé publique, c’est apporter des solutions à la santé publique. Et à partir du moment où on remet quelque chose en cause et on remet des outils qui permettent de faire baisser le taux de pollution, il faut proposer d’autres solutions. Mais ce n’est certainement pas la disparition pure et totale qui ne sert finalement que des grands intérêts parce que ce que nous disons c’est que l’État a vocation à accompagner les classes populaires à mieux s’équiper et à s’équiper notamment de véhicules moins polluants.
Béatrice Bellay, députée Socialistes et apparentés, le 09/04/2025
Un moratoire sur les ZFE ?
Pour l’instant, les aides à l’achat de véhicules électriques vont en se réduisant. Les finances de l’État roulent déjà sur la jante. Alors ce n’est pas demain que tous les Français rouleront proprement. Que faire ? Une pause, répond Philippe Gosselin.
Je crois que si l’objet se concrétise en excluant 11 millions d’automobilistes qui n’ont pas pu changer de voiture, qui ne sont pas encore passés au tout électrique, qui peuvent avoir des voitures anciennes, il faut être conscient aussi de la vraie vie, on va dans le mur. Donc la suppression des ZFE est sans doute un peu brutale.
J’ai cosigné avec d’autres collègues une proposition de loi qui vise à un moratoire, parce qu’il y a aussi des enjeux européens de santé publique. Et je crois que le moratoire en réalité serait plus adapté que la suppression. Un moratoire de 5 ans qui permette de reprendre les mesures, les calculs, de proposer quelque chose qui soit plus intelligent.
Philippe Gosselin, député Droite républicaine, le 09/04/2025
L’idée d’un moratoire n’enchante pas Stéphane Travert, un des deux rapporteurs du projet de loi. Il préfère que le dispositif ZFE prenne son temps pour s’installer. Mais alors, tout son temps.
L’idée c’est de trouver le chemin de transition nécessaire. On va allonger les délais, on va garder les priorités autour de Paris et Lyon qui sont les deux grandes métropoles françaises sur lesquelles on est soumis aussi à des taux de pollution très importants. Et sur d’autres territoires, on va aussi laisser les territoires juger en opportunité du calendrier de mise en oeuvre de ces ZFE mais aussi on va gérer également la question sociale, de l’acceptabilité sociale des ZFE.
Permettre à nos concitoyens les plus modestes de pouvoir acquérir des véhicules moins polluants. Ça peut prendre du temps. Moi j’ai ouvert la proposition de permettre à ce qu’on puisse accorder des aides pour acheter des véhicules d’occasion. On commence déjà à avoir un parc de véhicules d’occasion électriques sur le territoire. Je pense que ça peut être une opportunité.
Stéphane Travert, député EPR, le 09/04/2025
Les deux prochaines semaines, l’Assemblée nationale fait relâche. La session ne reprendra que le 28 avril. Le vote sur le projet de loi n’interviendra donc que début mai.