
C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses dit un proverbe fréquemment cité par les politiques. Sauf accident, l’Assemblée nationale devrait confirmer mardi prochain son vote sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Le texte a été adopté par 247 voix contre 234. Soit 13 voix d’écart.
Il aurait donc suffi que 7 voix se déplacent et le budget était rejeté. Sans parler des députés qui se sont abstenus. Ils étaient 93. L’exercice parlementaire tenait de la haute voltige. Et ce d’autant plus qu’à droite, personne ne contrôle quoi que ce soit. Bruno Retailleau avait appelé les députés LR à voter contre ou à s’abstenir. Si 3 d’entre eux ont voté contre et 28 se sont abstenus, il s’en est trouvé 18 pour voter en faveur du projet de loi.
Édouard Philippe, pour sa part, avait prôné l’abstention. 25 de ses députés ont suivi la consigne. Mais 9 l’ont bravé en votant pour le texte qui leur était soumis. Le patron du groupe, Paul Christophe, faisait profil bas à l’issue du vote.
Je pense qu’il était légitime, d’ailleurs, Edouard Philippe l’a très bien exprimé encore hier soir, légitime qu’on ne s’inscrive pas, nous, parmi les artisans du chaos, qu’on ne soit pas justement à l’aune des extrêmes à faire une opposition stérile. Mais il était important qu’on puisse affirmer, quand même, parce qu’il ne faut pas mentir aux Françaises et aux Français sur la situation budgétaire du pays, qu’on puisse affirmer les choses, et ce qui ne va pas en particulier dans ce budget sans pour autant que ça fasse, finalement, entrave à son adoption.
Paul Christophe, président du groupe « Horizons et indépendants » à l’Assemblée nationale, le 09/12/2025
La droite est un champ de ruines. Et le RN ne se prive pas de donner les derniers coups de pioche, espérant ainsi embarquer les électeurs devenus orphelins.
Les Françaises et les Français pourront aller voir du côté de Laurent Wauquiez, les 18 nouveaux membres du Parti socialiste puisque nous avons 18 députés LR qui ont donc voté pour une hausse des taxes de 2,5 milliards d’euros et un déficit de la Sécurité sociale qui de toute façon sera au-dessus de 20 milliards d’euros.
Donc on a vraiment les Républicains qui ne ressemblaient déjà pas à grand chose, qui ne rassemblement absolument plus à rien puisque vous avez un président des Républicains, monsieur Retailleau, qui explique que ce budget de la Sécurité sociale était épouvantable, qu’il ne fallait pas le soutenir.
Donc 2,5 milliards d’impôts ce n’est pas assez pour les insoumis, par contre c’est suffisant pour LR et pour Edouard Philippe. Monsieur rigueur, monsieur bonne gestion, monsieur faux-cul surtout, monsieur hypocrite, qui arrive avec un groupe qui n’obéit même pas à un ancien Premier ministre qui ne sera donc jamais, on l’espère, président de la République.
Jean-Philippe Tanguy, député « Rassemblement national », le 09/12/2025
L’union des droites ressemble déjà à un champ de bataille
Pourquoi tant de hargne ? L’heure est pourtant à l’union des droites. Chacun y va de sa formule. Laurent Wauquiez est ainsi favorable à une primaire qui irait de Gérald Darmanin à Sarah Knafo, l’eurodéputée de Reconquête. Un cran en dessous, Bruno Retailleau plaide pour une union dans les urnes – un accord de désistement, donc.
Dimanche dernier, sur BFM, il affirmait que le Rassemblement national appartient à l’arc républicain, avant d’en exclure la France insoumise. Cette fébrilité unioniste a été provoquée par un délinquant qui fut accessoirement président de la République. Ce Jean Valjean des riches vient de commettre un journal d’un prisonnier – ouvrage qui se lit d’un derrière distrait comme Sacha Guitry aimait à le dire des critiques qui l’éreintaient.
Dans ce livre, le clone de Paul Bismuth constate que Les Républicains auront du mal à se qualifier pour le second tour de la présidentielle s’ils vont à la bataille tout seuls. Nicolas Sarkozy, puisqu’il s’agit de lui, rapporte encore un échange qu’il aurait eu avec Marine Le Pen. Celle-ci l’interroge : « Vous associerez-vous à un quelconque Front républicain ? ». Réponse de l’Alexandre Dumas de la Santé : « Non ». Bref, le mur est tombé et l’extrême droite se conjugue désormais au pluriel. Mais voilà, les électeurs de droite en transit pour le RN sont priés de laisser leurs bagages à la consigne.
Monsieur Retailleau, c’est vraiment, même pas une déception, c’est quand même une escroquerie au niveau de l’ordre public et de l’ordre de son propre parti. Il y a quand même un moment, quand on dit “on ne veut pas de ce budget” et qu’on a un tiers du groupe qui vote pour, il faut se poser les bonnes questions. En tout cas j’invite les électeurs qui restent au LR d’en tirer les bonnes conclusions à savoir soutenir Marine Le Pen et Jordan Bardella.
Jean-Philippe Tanguy, député « Rassemblement national », le 09/12/2025
A contrario, le bloc central a fait preuve de discipline, en dépit de ses états d’âme. Les 91 députés d’Ensemble pour la République ont voté pour le budget de la Sécurité sociale. Comme le MoDem. Sans fanfaronnade.
Dès lors qu’on rentre ou qu’on reste dans les postures on est sûrs qu’on n’a pas de compromis. Le compromis, c’est d’accepter que le texte final n’est pas celui dont nous aurions, les uns et les autres, rêvé. Ça veut dire aussi que personne n’a gagné. Personne n’a perdu, personne n’a gagné. Personne n’a perdu parce qu’il y a un texte qui produit un vote avec un budget. Et personne n’a gagné parce que c’est le produit de lignes qui se sont, comme dirais-je, croisées pour essayer de trouver un texte de convergence entre les uns et les autres.
Je voudrais saluer tous ceux qui ont fait le pari de la confiance, du compromis, du dialogue pour aboutir au vote ce soir. Ce n’était pas simple. Faire voter sur le même texte des gens qui vont des LR aux écologistes, c’était une gageure, il y a un mois vous auriez, comme moi, pensé que c’était assez difficile même si nous, au MoDem, on est quand même ardents défenseurs de cette capacité de dépassement.
Marc Fesneau, président du groupe « Les Démocrates » à l’Assemblée nationale, le 09/12/2025
A gauche, les fleuves ont retrouvé leurs cours naturels. Jacobins contre girondins, syndicalisme révolutionnaire contre syndicalisme réformiste, Parti communiste contre SFIO, LFI contre PS. Rien de nouveau depuis le congrès de Tours en 1920 qui consacra la rupture entre deux stratégies de transformation de la société. Le rêve messianique ou les petits pas.
On peut toujours rêver des grands soirs. Mais enfin, en attendant, pour l’instant moi ce que j’observe, c’est une observation historique, ceux qui ont voulu les grands soirs n’ont jamais obtenu que des matins blêmes. En revanche, ceux qui ont accepté la logique réformiste qui est la mienne, ont souvent obtenu et permis l’état-providence dans lequel nous vivons.
Si aujourd’hui vous une Sécurité sociale, si vous avez une protection comme on en a nulle part ailleurs dans le monde, c’est tout simplement parce qu’il y a des gens qui, législatures après législatures, ont permis des avancées, parfois spectaculaires, parfois moins, mais qui ont permis de créer un modèle que beaucoup nous envient à travers la planète.
Je crois effectivement que c’est toujours plus facile et plus vendeur d’expliquer qu’on voudrait tout. Mais ceux qui veulent tout en général n’obtiennent rien. Je n’ai pas tout obtenu, mais ce que je peux dire aussi ce soir, les yeux dans les yeux à celles et ceux qui m’ont élu, je peux leur dire : Moi j’ai fait le boulot, et tout ce que vous redoutiez de ce PLFSS, ça n’y est plus.
Olivier Faure, Premier secrétaire du Parti socialiste et député « Socialistes et apparentés », le 09/12/2025
C’est mieux que si c’était pire, c’est entendu. Boris Vallaud a dressé l’inventaire des gains.
Rappelez-vous, au moment de la chute de François Bayrou, il y avait la suppression de deux jours fériés, il n’en est plus question. Il y avait une nouvelle réforme de l’assurance chômage, il n’en est plus question. Il y avait le gel des pensions, il n’en est plus question. Il y avait le gel des minimas sociaux, il n’en est plus question. Il y avait le gel du barème de la CSG, il n’en est plus question. Il y avait le doublement des franchises médicales, il n’en est plus question.
Il y avait la remise en question d’un certain nombre d’exonérations pour les apprentis, pour les chèques-déjeuner ou les chèques-vacances, il n’en est plus question. Il y avait la remise en cause des aides à l’embauche outre-mer, il n’en est plus question.
Les moyens de l’hôpital étaient réduits à pas grand chose, si bien que la tarification était négative. Nous avons augmenté, dans le débat, de quatre milliards le niveau des dépenses de santé. Nous avons suspendu la réforme des retraites, et ce sont plusieurs centaines de milliers de Français qui pourront en bénéficier dès 2026. Je crois que ce soir nous pouvons dire que nous avons fait œuvre utile.
Boris Vallaud, président du groupe « Socialistes et apparentés » à l’Assemblée nationale, le 09/12/2025
Des broutilles, semble-t-il pour Mathilde Panot.
Alors évidemment, ce vote confirme d’abord quelque chose de très important. Il confirme le changement d’alliance du Parti socialiste qui décide donc de rejoindre le camp des soutiens au gouvernement. Et je rappelle qu’en démocratie lorsqu’on vote un budget on est donc dans la majorité et dans le soutien au gouvernement. Et lorsqu’on vote contre un budget, on se place dans l’opposition.
Les socialistes et la direction du Parti socialiste a donc fait un choix extrêmement clair aujourd’hui. En votant pour le budget, non seulement ils permettent à un budget cruel de pouvoir passer, mais en plus de cela ils sauvent Emmanuel Macron puisque je le rappelle, il y a un mois tout juste, la discussion qui existait dans ce pays était de savoir si Emmanuel Macron devait partir, ce qui est toujours majoritaire dans le pays.
Et ce qu’ont permis les socialistes, c’est de faire en sorte non seulement de leur donner un sursis, de faire perdre du temps au pays et d’adopter un budget comme celui que nous venons d’adopter en seconde lecture qui permet, par exemple, de faire 4 milliards de coupe sur la santé et sur l’hôpital public dont tout le monde comprendra que c’est extrêmement cruel.
Mathilde Panot, présidente du groupe « La France insoumise » à l’Assemblée nationale, le 09/12/2025
Les socialistes ont fait perdre du temps au pays. Cet argument n’est pas nouveau dans la tumultueuse histoire de la gauche. Au début des années 1930, le Parti communiste considérait les socialistes comme des sociaux-traîtres, voire des sociaux-fascistes. Ils étaient coupables de retarder l’avènement de la révolution prolétarienne imminente selon le Komintern. Jusqu’au moment où la véritable menace fasciste incarnée par le 6 février 1934 ouvrit les yeux de la direction communiste.
Deux ans plus tard, le Front populaire de Léon Blum l’emportait, les communistes s’étant résolu à soutenir les traîtres d’hier sans toutefois participer au gouvernement. Entre ces deux pôles de gauche, le cœur des écologistes balance. A preuve leur vote. Trois députés se sont prononcés pour le projet de loi, neuf ont voté contre et 26 se sont abstenus.
L’abstention, c’est bien la preuve qu’aujourd’hui on constate que c’est en fait une situation qui reste à moyens constants parce que le groupe écologiste a tenu bon, on a évité le pire, mais ce qui restait satisfaisant ce n’est pas seulement d’être à niveaux constants, ce serait que les soignants aient plus de moyens pour faire leur travail.
C’est pour ça qu’un vote pour est de toute façon, pour nous, inconcevable. Et donc l’abstention c’est finalement la reconnaissance qu’il y a des moyens constants, que la situation ne sera pas dégradée en termes de moyens globaux, mais non, ce n’est pas satisfaisant.
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe « Écologiste et social » à l’Assemblée nationale, le 09/12/2025
La présidentielle de 2027 en ligne de mire
Un petit quelque chose ici et maintenant ou tout demain. On n’en sort pas. Et cette question est d’autant plus prégnante qu’il n’est pas certain que les lendemains radieux promis par la France insoumise soient au rendez-vous de 2027.
A gauche, l’interrogation principale reste de savoir si Jean-Luc Mélenchon incarne encore le vote utile. Cela a été le cas en 2017 et 2022. Mais en 2027 ? Dans l’hypothèse où il parviendrait au second tour à la faveur d’une multiplication des candidatures qui abaisserait mécaniquement le ticket d’entrée – autour de 16 % – Jean-Luc Mélenchon peut-il rassembler toute la gauche et au-delà tous ceux qui ne veulent pas abandonner le pays à l’extrême droite ? Ses partisans veulent encore le croire. Son heure est passée, affirme-t-on au PS où l’on cherche encore comment s’émanciper de la tutelle mélenchoniste sans retomber dans les ornières du Hollandisme.
Un pari délicat en l’absence d’une incarnation pour la présidentielle. Le charisme de Raphaël Glucksmann, équivalent à celui d’un contrôleur de la SNCF, un jour de grève nationale, interdit de rêver. Et pour l’emporter, il faut aussi faire rêver les Français.