Depuis 48 heures, les regards de l’opinion se tournent vers les États-Unis. Et c’est légitime. Mais pour spectaculaire qu’elle soit, la victoire de Donald Trump ne doit pas occulter l’important débat qui se déroule à l’Assemblée nationale. Celui sur le budget. Le gouvernement et ses soutiens font tout ce qui est possible pour enliser les débats.
Objectif : empêcher les députés de rester dans les délais prévus par la Constitution pour débattre. Et transmettre ainsi au Sénat un texte nettoyé des amendements des oppositions. On en a eu la démonstration mardi avec les pensions des retraités. La France compte aujourd’hui un peu plus de 15 millions de retraités selon l’Assurance retraite. Michel Barnier veut repousser de six mois l’indexation des pensions. Prévu pour le 1er janvier, l’ajustement de celles-ci sur l’inflation est reporté au 1er juillet. Le gouvernement espère économiser 3,6 milliards d’euros.
Voilà qui aurait mérité un débat à l’Assemblée nationale. Justement, il était bien prévu. C’est, ou plutôt c’était, l’article 23 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Mais la discussion de cet article n’aura jamais lieu. Du moins au Palais Bourbon. Car ce mardi, à minuit, le carrosse législatif s’est transformé en citrouille gouvernementale. Et la pantoufle de vair a fait place à des gros sabots.
Nous arrivons au terme du temps d’examen programmé pour la discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025. Le délai de 20 jours prévu par l’article 47-1 de la Constitution, dans lequel l’Assemblée nationale doit se prononcer en première lecture après le dépôt du projet de loi, expire ce soir.
Si le gouvernement a été pleinement attentif au respect des droits de votre Assemblée, en lui laissant un temps suffisant pour examiner dans les meilleures conditions possibles ce texte, nous ne pouvons accepter de prolonger ce délai sans réduire le temps d’examen dont le Sénat doit disposer pour le PLFSS.
Nathalie Delattre, ministre déléguée des Relations avec la Parlement, le 5/11/2024
Le socle commun enraye la machine
Pourquoi les députés ont-ils pris du retard ? Parce que l’attelage brinquebalant des macronistes et de la Droite Républicaine – le fameux socle commun – a déposé de nombreux amendements. La veille, Jérôme Guedj avait attiré l’attention de ses collègues sur le risque de ne pouvoir débattre de la désindexation des retraites à cause de cet embouteillage.
On a la chance unique depuis trois ans de pouvoir voter ce PLFSS. Les deux derniers, on n’a pas pu les voter parce qu’il y avait un 49-3 qui arrivait assez vite. Il s’avère qu’on a jusqu’à demain minuit puisque c’est la date limite constitutionnelle. Je le redis comme on l’a dit avant l’article 2 : nous sommes disposés à retirer un grand nombre de nos amendements pour qu’on puisse avancer sur les articles de dépenses.
Et je redemande solennellement, cette fois-ci au gouvernement parce qu’il en a le pouvoir, d’inverser l’ordre des articles pour qu’on puisse examiner l’article 23 qui est quand même celui qui est très attendu dans nos circonscriptions et partout dans le pays, sur la question du gel des pensions de retraites. Je sais que ça vous dérange de parler du gel des pensions de retraites qui est la mesure injuste que vous proposez.
Jérôme Guedj, député Socialistes et apparentés, le 4/11/2024
Vous avez dit pouvoir d’achat ?
Peine perdue. Ni le gouvernement, ni la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, n’ont voulu avancer l’examen de l’article 23. Pas question de discuter du pouvoir d’achat des retraités. Un désintérêt confirmé par la désertion en séance des députés du socle commun.
C’est vraiment étonnant. Ca confirme une image que j’avais utilisée la semaine dernière en reprenant ce que Bayrou a pu dire il y a quelques années sur les centristes, je crois. Là, on a un gouvernement avec le Premier ministre qui pousse une brouette. Dans cette brouette, il y a des grenouilles, ça saute de tous les côtés.
Et quand on est sur les débats budgétaires, on se rend compte que les rangs sont vides, c’est un gouvernement de bric et de broc avec des intérêts qui sont des intérêts divergents, avec bien entendu, comme c’est dans la plupart des partis politiques, en perspective des élections présidentielles.
Donc on se méfie de l’un, on se méfie de l’autre, et en définitive c’est bien la brouette avec des grenouilles qui sautent de tous les côtés.
André Chassaigne, député GDR et président du groupe GDR à l’Assemblée nationale, le 5/11/2024
Les grenouilles en question ont renoncé à devenir aussi grosses que le bœuf. De l’aveu même d’un de ses représentants, elles ont bien compris qu’elles ne faisaient pas le poids.
C’est vrai que compte tenu de la configuration de l’Assemblée nationale, je pense qu’il y a quelques collègues qui s’usent un peu en se disant : “De toute façon on est là, mais on n’arrivera pas à faire valoir nos idées parce qu’on sera battu par les autres groupes”. Une forme de lassitude. Après il y a aussi des présences en commission.
Des députés peuvent être absents dans l’hémicycle mais ils sont souvent en commission. Mais c’est vrai que je constate quand même une forme de démobilisation. Je ne ferai pas de commentaire, chacun assume, mais c’est vrai que si on était un peu plus nombreux, parfois on aurait pu éviter de perdre certains votes.
Jean-Paul Mattei, député MoDem, le 5/11/2024
Les fantômes de l’Assemblée nationale
Mais pour le Rassemblement national, la démoralisation a bon dos. L’absence des députés du socle commun est une manœuvre.
Le bloc central, vous voulez dire le bloc des fantômes, ceux qui ne viennent pas à l’Assemblée nationale pour laisser la gauche voter des taxes complètement improbables et continuer leur persécution fiscale des Français pour demain arriver et dire : “Vous voyez, nous, le bloc central, ce n’est que 30 milliards d’impôts supplémentaires, c’est 80 milliards avec la gauche, finalement estimez-vous heureux”.
On n’est pas dupes. D’abord parce que nous on a fait barrage à un certain nombre de taxes complètement folles. Et puis on n’est pas dupes aussi parce qu’effectivement ils jouent la montre. Ils espèrent que le Sénat décidera pour eux ou que le 49-3 décidera pour eux. On est bien loin des promesses de Michel Barnier qui disait : “Je vais parler avec tout le monde, je vais construire un budget avec tout le monde”. C’est une œuvre bien solitaire aujourd’hui.
Laurent Jacobelli, député RN, le 5/11/2024
Laurent Jacobelli fait référence à la discussion sur le projet de loi de finances. À ne pas confondre avec le projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui vogue désormais vers le Palais du Luxembourg. La discussion sur le budget, elle, a repris hier. Elle avait été suspendue pendant une semaine pour laisser la place au PLFSS. J’espère que ces histoires de calendrier sont claires pour vous. On en est donc aujourd’hui à la partie recettes du budget. Et hier, dans l’hémicycle, on a beaucoup parlé du crédit impôt recherche.
Le crédit impôt recherche, il est là pour financer la recherche et en particulier sur les PME. Les amendements qui sont proposés ici, ils sont là pour rendre au crédit impôt recherche sa vocation première. C’est-à-dire recentrer sur les TPE et les PME et véritablement encourager la recherche. Vous, tout ce que vous souhaitez c’est baisser la pression fiscale des entreprises.
Eva Sas, députée Écologiste et social, le 6/11/2024
Michelin ferme ses usines de Cholet et de Vannes
Un débat que l’actualité a éclairé de ses feux. En 2024, le groupe Michelin a touché 42 millions de crédit impôt recherche. Mardi, le fabricant de pneus a annoncé qu’il fermait deux de ses usines, à Vannes et à Cholet. 1 300 salariés vont perdre leur emploi. Cette double cessation d’activité fait réagir Marianne Maximi, députée LFI de Clermont-Ferrand. Faut-il le rappeler, cette ville est le berceau historique de Michelin.
Quelles contreparties on peut mettre en face, aujourd’hui, de ces grandes entreprises qui perçoivent et qui engrangent beaucoup d’aides et qui à côté de ça laissent sur le carreau des centaines voire des milliers de familles.
Michelin, par exemple, est une entreprise qui a perçu énormément d’aides publiques et qui ne fait que dégraisser par des “plans de compétitivité”, de “simplification”, et qui, moi je vois à Clermont-Ferrand, on est passé dans les années 70 à plus de 30 000 emplois, nous n’avons plus que 9 000 salariés Michelin sur la ville.
Et donc à un moment on demande à des ménages qui vont percevoir des aides sociales du contrôle, de rembourser quand elles ne garantissent pas le fait de percevoir des aides, de faire ce qu’il faut avec, et on n’a aucune exigence vis-à-vis des grandes entreprises, et c’est là le vrai problème aujourd’hui.
Marianne Maximi, députée LFI, le 6/11/2024
Ce rappel n’a pas été du goût de la députée de Vannes.
Si nous n’avions pas investi en recherche dans les usines Michelin et je pense à celle de Vannes qui est sur ma circonscription, l’usine aurait été fermée il y a trois ans.
Anne Le Hénanff, députée Horizons, le 6/11/2024
On a un peu de mal à comprendre la relation entre l’usine de Vannes et le crédit impôt recherche. Car le centre de recherche et de développement de Michelin est à Clermont-Ferrand. En revanche, il y a des choix stratégiques qui peuvent être questionnés.
Il y a des choix stratégiques, par exemple aujourd’hui, qui sont faits par Michel. Je pense, par exemple, ils sont de plus en plus… ils vont vers des pneus à haute valeur ajoutée. Au sein même d’ailleurs de la manufacture Michelin, parmi les cadres de la manufacture Michelin il y a un débat là-dessus. Comment se fait-il que Michelin par exemple abandonne la production de “petits pneus”.
Alors qu’aujourd’hui on a les voitures électriques qui montent en charge, si on peut le dire, et il y aura un besoin, il y a un marché qui s’ouvre mais Michelin pour le moment est sur la rentabilité maximum et dès que parmi ces sites, mais si d’autres peuvent être bénéficiaires, si parmi ces sites, et c’est le cas aujourd’hui certains, sont en difficulté, on boucle et on ne tient pas compte de la stratégie globale du groupe.
André Chassaigne, député GDR et président du groupe GDR à l’Assemblée nationale, le 5/11/2024
Les députés ont jusqu’à ce vendredi 8 novembre dans la soirée pour achever l’examen de la partie recettes du budget. Le vote solennel doit intervenir mardi 12 novembre. S’ils n’ont pas terminé dans ce délai, alors le projet de loi de finances sera transmis au Sénat dans sa version initiale avec les amendements que voudra bien retenir le gouvernement. On se doute que ce ne seront pas les plus douloureux pour les hauts revenus et les grands groupes…