Faut-il parler de coma profond pour le Nouveau Front Populaire ? Ou de pronostic vital engagé ? Ce matin sur BFM, Manuel Bompard a acté l’ajournement des négociations sur le nom d’un candidat pour Matignon.
Plutôt que de perdre du temps encore dans des palabres sans fin qui n’avancent pas et qui n’aboutissent pas, je dis que le Nouveau Front Populaire doit s’accorder immédiatement sur une candidature commune à la présidence de l’Assemblée nationale.
Manuel Bompard, député LFI et coordinateur de LFI, le 15/07/2024
Le dirigeant insoumis met en cause l’attitude du Parti socialiste. Celui-ci ne proposerait qu’un seul nom : celui d’Olivier Faure. Ce qui n’est pas tout à fait vrai. Le nom de Johanna Rolland, la maire socialiste de Nantes, a circulé. Et tout récemment, celui de Martine Aubry. La première n’a pas été retenue. La seconde a décliné la proposition. Du côté de LFI, on n’est pas moins crispé qu’au PS. Le mouvement a avancé quatre noms : Jean-Luc Mélenchon, Clémence Guetté, Mathilde Panot et Manuel Bompard.
Tant de diversité et d’originalité affole. Mercredi, Fabien Roussel a bien tenté de débloquer la situation. À l’Assemblée, le groupe communiste est en difficulté. Pour atteindre le seuil des 15 députés nécessaires à la constitution d’un groupe, il lui faut absolument attirer des élus ultramarins. Et quoi de mieux pour ce faire que de proposer la candidature à Matignon de la présidente de la région Réunion Huguette Bello.
Enthousiasme autour d’Huguette Bello
Il est vrai que sur le papier, celle-ci coche toutes les cases ou presque. Elle a siégé pendant 23 ans sur les bancs de l’Assemblée nationale. Elle est appréciée par une partie des macronistes et notamment Gabriel Attal, elle a l’oreille de François Hollande, le soutien des communistes et elle fait partie des compagnons de route de la France insoumise.
Et puis une femme originaire d’Outre-mer à Matignon, ce serait un signal fort à la fois pour la parité en politique et pour des territoires que la République a tendance à oublier ou maltraiter. Comme la Nouvelle-Calédonie, par exemple. Bref, de la Réunion pouvait surgir le rassemblement.
Certes, il y a quelques aspérités dans ce profil. Huguette Bello était absente lors du vote de la loi Taubira sur le mariage pour tous. Et elle a voté contre l’interdiction des signes religieux à l’école en 2004. Ce matin, Marine Tondelier expliquait que le profil d’Huguette Bello convenait aux écologistes. Ils souhaitaient juste échanger davantage avec l’intéressée.
Quand j’ai vu son nom arriver sur la table, on l’a considéré chez les Écologistes avec beaucoup d’intérêt et beaucoup de sérieux. Ce que j’avais dit à Huguette Bello et ce que j’avais dit à mes partenaires politiques, on a encore eu une réunion hier soir, c’est que chez les Verts on ne pouvait pas s’engager pleinement, à 100 %, à fond, sur la base d’un coup de fil de dix minutes. C’est normal. C’est une manière sérieuse d’aborder les choses. Et donc, ce que nous avions demandé à Huguette Bello, c’est de pouvoir la recevoir de manière un peu collective chez les Verts, pour faire plus ample connaissance.
Marine Tondelier, Secrétaire nationale des Écologistes, le 15/07/2024
Mais samedi, le Conseil national du PS prend les écologistes de vitesse. La direction socialiste annonce qu’elle ne retient pas la candidature d’Huguette Bello. Ils soupçonnent cette dernière de rouler pour Mélenchon. Ce dernier ne lui a pas mégoté son soutien. Écoutez-le vendredi, lors d’une conférence au siège du Parti ouvrier indépendant.
Huguette est une femme. Et nous sommes à l’ère des femmes. Huguette est une femme racisée, et la nouvelle France est racisée. Huguette est une femme racisée et une féministe antiraciste. Elle est la présidente d’une communauté qu’elle a pris à la droite par la démocratie, c’est-à-dire par les urnes. Elle est la présidente de la région Réunion dans laquelle, dans la majorité de laquelle toute la gauche locale se retrouve.
Jean-Luc Mélenchon, co-président de l’Institut La Boétie, le 12/07/2024
Huguette Bello a finalement jeté l’éponge
Dimanche, Huguette Bello a jeté l’éponge. Si Olivier Faure et ses amis l’ont écarté, ce n’est pas par hostilité à sa personne, mais parce qu’ils tiennent à entériner la nouvelle donne politique à gauche. Car le rapport de force a changé depuis 2022. À l’Assemblée, les groupes LFI et socialiste feront jeu égal à quelques sièges près. Plus question de laisser les insoumis mener la danse, Matignon doit revenir aux socialistes. Du moins, c’est ce que pensent ces derniers.
Il y avait des socialistes qui considèrent, et c’est bien normal, que le parti qui a gagné les élections européennes à gauche c’est le Parti socialiste. Le parti qui est le plus en dynamique dans ces élections législatives, qui a augmenté son groupe de 110 %, c’est le groupe socialiste.
Il n’était pas illogique que cette revendication soit portée. Maintenant, il faut élargir, il faut chercher à trouver la personnalité, peut-être issue de la société civile, qui permettra d’avancer ensemble. Ca va supposer des qualités personnelles et des qualités politiques qui permettent d’engager la discussion, aussi, avec un Parlement qui ne va pas être un Parlement uniquement bienveillant.
Olivier Faure, député PS et Premier secrétaire du PS, le 15/07/2024
Mais derrière ce choc des ego et des appareils, il y a une divergence de fond sur la stratégie. Manuel Bompard l’a clairement formulée ce matin.
On voit bien qu’il y a du côté du Parti socialiste, un certain nombre de prises de position pour dire que finalement ce qu’il faudrait faire c’est commencer les renoncements sur le programme du Nouveau Front Populaire pour essayer de trouver une sorte de majorité avec des secteurs qui viennent du macronisme.
Manuel Bompard, député LFI et coordinateur de LFI, le 15/07/2024
Deux lignes s’opposent. Les socialistes ne veulent pas d’un gouvernement Front Populaire qui serait renversé quelques jours ou quelques semaines après sa formation. Un feu de paille. Il faudra donc bâtir des compromis avec d’autres forces pour faire adopter les mesures du programme. Sur la taxation des superprofits, explique-t-on, il serait ainsi possible de trouver un accord avec le MoDem. Le président du groupe, Jean-Paul Mattei, avait en son temps déposé une proposition de loi sur le sujet.
Pour les insoumis, ce travail parlementaire, somme toute banal, est perçu comme le début de la trahison. Du compromis à la compromission, il n’y aurait qu’un pas. Pureté radicale contre pragmatisme parlementaire, Robespierre ou Danton. Pas étonnant que ça frite.
Depuis le congrès de Tours, on sait à quoi s’en tenir. De leur côté, les socialistes sont persuadés que Jean-Luc Mélenchon mise sur la démission d’Emmanuel Macron. La censure d’un gouvernement de Front Populaire ne manquerait pas de provoquer une réaction en chaîne. Par mesure de rétorsion, tous les gouvernements qui suivraient seraient renversés. Cette guérilla institutionnelle contraindrait alors Emmanuel Macron à démissionner.
Et le chef de file des insoumis aurait le champ libre pour une dernière candidature. Ce matin, sur BFM, Manuel Bompard a tenté un geste en direction d’Olivier Faure. Les insoumis ne brigueront pas la présidence de l’Assemblée, jeudi. Ils se rallieront à une candidature commune de la gauche. Un gage de bonne volonté en quelque sorte. À toi l’Assemblée, à moi Matignon.
Mais il n’est pas acquis que le candidat que présentera le PS – sans doute Boris Vallaud – rassemble une majorité sur son nom. Yaël Braun-Pivet est sur les rangs.
Me représenter si les députés me font confiance au sein de la majorité présidentielle.
Yaël Braun-Pivet, députée Renaissance, le 10/07/2024
Même si la députée Renaissance des Yvelines dément avoir des contacts avec le Rassemblement national, elle ne désespère pas que des voix lepénistes lui permettent de l’emporter. En 2022, au terme de tractations obscures, n’avait-elle pas accordé deux vice-présidences à la formation lepéniste ? Sans doute espère-t-elle un renvoi d’ascenseur. Emmanuel Macron peut se frotter les mains. L’incapacité du PS et des insoumis à trouver un compromis le remet en selle.
Les perdants peuvent sortir gagnants
Ouvertement contesté dans ses propres rangs, voilà que les atermoiements du Nouveau Front Populaire libèrent la voie pour une coalition bricolée autour des macronistes. Il serait paradoxal que ces élections législatives se soldent, à l’arrivée, par la reconduction du camp qui a perdu une centaine de députés le 9 juillet. C’est pourtant ce qu’il risque de se produire si le blocage persiste au sein de la gauche.
Les dissidents insoumis, purgés ou non, vont siéger sur les bancs du groupe écologiste. Alexis Corbière, Clémentine Autain, François Ruffin, Danielle Simonnet et Hendrik Davi seront officiellement accueillis demain, mardi, à l’Assemblée, par le groupe. La semaine passée, j’avais demandé à Cyrielle Chatelain, la présidente sortante des députés écologistes, si elle était prête à accueillir les insoumis en délicatesse avec leur direction dans ses rangs.
Ce que je peux vous dire c’est que ça fait deux ans qu’on siège ensemble, qu’on a travaillé ensemble pendant ces deux années, qu’on s’est battus côte à côte sur les retraites, sur l’assurance-chômage. Aujourd’hui, ils ont, de ce que je comprends, retrouvé leur liberté. Ils prendront leur décision.
Les écologistes ont toujours été ouverts, ont toujours prôné l’union. Après, nous nous sommes, pour nous la cohérence politique est importante mais je pense qu’on a un appétence pour la démocratie. Et dans tous les cas quel que soit le groupe, je pense que ce qu’apporte Danielle Simonnet, Clémentine Autain, François Ruffin, Alexis Corbière, auront dans cette assemblée un rôle à jouer.
Cyrielle Chatelain, députée écologiste et présidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, le 9/07/2024
Par ce prompt renfort, le groupe écolo devrait passer de 33 à 38 députés. Une bonne opération pour tout le monde.