C’est la seule certitude du résultat de dimanche soir. Le pays n’a pas voulu laisser l’extrême droite accéder au pouvoir. À la surprise générale, le front républicain a barré la route à un Rassemblement national, donné vainqueur par les estimations, encore deux heures avant la clôture du scrutin. A la morbide résignation qui s’était emparée des esprits depuis la dissolution de l’Assemblée a succédé une vague de soulagement matinée d’incrédulité.
La France n’est donc pas ce navire à la dérive prêt à s’abandonner aux démons du racisme et aux solutions autoritaires. Pour qui est attaché à la République, c’est une bonne nouvelle. Mais au-delà, qui a vraiment gagné ? Pour Jean-Luc Mélenchon, hier soir, la réponse ne souffrait aucun doute.
La volonté du peuple doit être dorénavant strictement respectée. Dès lors, aucun subterfuge, arrangement, ou combinaison, ne serait acceptable. En effet, les leçons du vote sont sans appel : la défaite du président de la République et de sa coalition est clairement confirmée. Le président a le devoir d’appeler le Nouveau Front Populaire à gouverner.
Le Nouveau Front Populaire respectera le mandat que lui ont donné les votes pour ses candidats. La parole donnée sera tenue. Le Nouveau Front Populaire appliquera son programme. Rien que son programme, mais tout son programme.
Jean-Luc Mélenchon, co-président de l’Institut La Boétie, le 7/07/2024
Le Nouveau Front Populaire reste loin de la majorité absolue
Selon le ministère de l’Intérieur, le Nouveau Front Populaire n’obtient que 182 sièges. Et même si l’on rajoute les 13 députés de gauche élus hors de la coalition, on est loin, très loin de la majorité absolue. Même si le NFP est assuré de constituer la première force de l’Assemblée nationale. Car ce bloc devra compter avec l’opposition des 168 députés d’Ensemble et des 143 élus RN et LR compatibles. Les Ciottistes, quoi. Réunies, ces deux forces peuvent faire chuter n’importe quel gouvernement de gauche. Rappelons-le, pour qu’une motion de censure soit adoptée, il suffit qu’elle recueille 289 voix. Même si le bloc présidentiel a perdu 82 députés, il est en mesure de faire la pluie et le beau temps dans l’hémicycle. Olivier Faure l’a bien compris.
Le Nouveau Front Populaire doit prendre en main cette nouvelle page de notre histoire. Dans cette démarche, nous n’aurons qu’une seule boussole, celle du programme du Nouveau Front Populaire. Ce soir nous disposons d’une majorité relative. Ce n’est pas une majorité absolue. Je demande à ceux qui ont été désavoués à trois reprises d’annoncer clairement qu’ils reconnaissent leur défaite et que pendant l’année qui vient ils ne mêleront jamais leurs voix à celles de l’extrême droite pour empêcher le Nouveau Front Populaire de gouverner.
Olivier Faure, député PS-NFP et Secrétaire général du PS, le 7/07/2024
L’équation de gouvernement
Comment mettre en œuvre le programme sur lequel on a été élu alors qu’on reste à la merci du bloc central ? C’est la douloureuse équation que doivent résoudre les dirigeants du Front Populaire. Celle ou celui qui sera choisi pour aller à Matignon devra rassembler au-delà de son camp sur un programme qui reste un programme de rupture. La personnalité de l’heureux élu sera donc tout aussi déterminante que ledit programme. Ce matin, Marine Tondelier esquissait le portrait de ce mouton à cinq pattes.
Moi, ce que je pense, c’est qu’il faut décrire le portrait-robot de la personne idéale. Premièrement : une personne qui soit très alignée avec le programme du Nouveau Front Populaire. Deuxièmement : que cette personne soit en mesure d’apaiser la France qui en a grand besoin. Troisièmement : il faut que la personne fasse consensus au sein du Nouveau Front Populaire. Et quatrièmement : il faut quelqu’un qui ait l’expérience et la compétence.
Marine Tondelier, Secrétaire nationale des Écologistes, le 8/07/2024
Il n’est pas certain que cette ébauche soit du goût de Mathilde Panot. L’ancienne présidente du groupe LFI à l’Assemblée prône une autre méthode.
Nous avons dit que ce sera le plus grand groupe parlementaire de la coalition qui proposera aux autres composantes la personne qui pourrait être Première ministre ou Premier ministre. Nous avons mis les questions de personne dans un deuxième temps. Vous allez nous laisser le temps de faire nos discussions, d’avancer pas-à-pas.
Mathilde Panot, députée LFI-NFP, le 7/07/2024
Comme le disait un grand penseur de droite : “Dans les fronts populaires Chacun veut sa chanson L’orchestre joue c’qu’il sait faire Ça tourne, tourne plus ou moins rond.” Ah non, pardon il s’agissait des “Bals populaires”, la chanson de Michel Sardou. Mais ça marche aussi. Quoi qu’il en soit, la donne a changé depuis 2022 et la NUPES. Les socialistes sont passés de 31 sièges à 59 hier. Et les écologistes progressent aussi : avec 28 élus, ils ont gagné 5 sièges. Autrement dit, ces deux formations, si elles tombent d’accord, sont en mesure de tenir tête à la France insoumise.
D’autant que le mouvement de Jean-Luc Mélenchon ne bouge pas. Pire, les députés sortants privés d’investiture, Alexis Corbière, Danielle Simonnet et Hendrik Davi ont été réélus. Un sacré pied-de-nez Quant à François Ruffin et Clémentine Autain, ils ont annoncé qu’ils ne siégeront plus sur les bancs insoumis. La direction de la France insoumise ne peut donc passer en force, sauf à casser le Front Populaire. À supposer que l’accord se fasse autour d’un nom, il reste un problème majeur : comment gouverner quand on est en minorité à l’Assemblée nationale ? Même s’il s’agit de la plus forte minorité ?
Hier, Jean-Luc Mélenchon rappelait que le gouvernement pouvait agir par décret. Pour bloquer les prix, pour abroger la retraite à 64 ans. Mais lorsqu’on réclame l’avènement d’une VIe République, peut-on enjamber la représentation nationale pendant une année entière ? A supposer d’ailleurs que cela soit juridiquement possible.
Pour qu’un gouvernement Front Populaire puisse réformer le pays, il va falloir qu’il se trouve des alliés. Autrement dit des députés prêts à soutenir telle ou telle partie de son programme. C’est ce qui s’appelle une majorité de projet. C’est la méthode préconisée par Raphaël Glucksmann.
Nous n’avons pas de majorité absolue. Nous avons un projet, nous avons des idées fortes sur la solidarité sociale, sur la transition écologique, sur les services publics. Mais nous n’avons pas de majorité absolue, donc nécessairement comme le cœur du pouvoir revient désormais à l’Assemblée, il faudra discuter, il faudra débattre, il faudra finalement changer de culture politique, c’est ça qui est devant nous en France aujourd’hui.
Au parlement européen j’ai l’habitude d’évoluer dans une assemblée où il n’y a pas une majorité absolue, et dans ce cas-là, quand il n’y a pas une majorité absolue, vous portez votre programme mais vous allez discuter, dialoguer avec les autres.
Raphaël Glucksmann, député européen Place Publique, le 7/07/2024
Reste enfin le Rassemblement national. Certes il n’a pas obtenu la majorité absolue. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’il est le groupe qui progresse le plus : 55 sièges. Et sans le scrutin majoritaire à deux tours, pas de front républicain. L’extrême droite avait de bonnes chances de l’emporter. Un argument que Jordan Bardella n’a pas manqué de marteler.
L’alliance du déshonneur, et les arrangements électoraux dangereux passés par Emmanuel Macron et Gabriel Attal avec les formations d’extrême gauche privent ce soir les Français d’une politique de redressement qu’ils ont pourtant plébiscité largement en nous plaçant en tête des élections européennes, puis dimanche dernier lors du premier tour avec près de 34 % des suffrages exprimés.
Jordan Bardella, député européen RN et président du RN, le 7/07/2024
Attention aux illusions
Les dix millions et quelques de Français qui ont voté pour le RN ne peuvent être ignorés. Car beaucoup appartiennent à l’électorat naturel de la gauche.
Attention aux illusions. Nous parlons depuis une Picardie où nous avons ce soir 13 députés sur 17 au Rassemblement national. La réalité c’est que l’extrême droite s’installe dans les terres populaires, l’extrême droite s’installe dans les terres ouvrières, et perdre les ouvriers, pour nous, c’est très grave. Perdre les ouvriers ce n’est pas seulement perdre les électeurs. Pour la gauche, c’est perdre son âme.
Ce soir, mon sentiment c’est que les électeurs nous laissent une dernière chance pour la France. A nous de transformer la colère en espérance. A nous de réunir la France des bourgs et la France des tours. A nous de parler à la France toute entière. Nous devons apaiser et non brutaliser.
François Ruffin, député NFP, le 7/07/2024
“Les électeurs nous ont laissé une dernière chance” dit Ruffin. Ce qui est certain, c’est qu’en 2027, ils se montreront moins miséricordieux si rien n’a changé dans l’intervalle.