Le Rassemblement national pourrait-il survivre à l’impossibilité pour Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle ? Cette machine construite pour porter la candidature d’un individu – en l’occurrence Jean-Marie Le Pen puis Marine Le Pen – pourrait-elle se résigner, tout à coup, à ne pas prendre le pouvoir ?
Parti bonapartiste – comme la France insoumise ou Renaissance le sont à leur manière – le RN a fait de la conquête de la magistrature suprême l’alpha et l’oméga de son programme. Faites-moi entrer à l’Élysée et je changerai votre vie, dit en substance Marine Le Pen à ses électeurs.
Un parti calé sur la monarchie républicaine
Mais si la promesse devient impossible à réaliser, à quoi sert donc le parti ? À conquérir des territoires ? Le Rassemblement national ne contrôle qu’une dizaine de communes d’importance modeste. La seule ville de plus de 100 000 habitants qu’il dirige, Perpignan, pourrait être perdue dès lundi. Son maire, Louis Alliot, est poursuivi dans l’affaire des vrais-faux assistants parlementaires européens. Si sa condamnation s’accompagne d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, il sera aussitôt démis de ses fonctions par le préfet.
A la différence de partis comme le Parti socialiste ou les Républicains, formations structurées autour d’un réseau d’élus – de notables diront certains – le RN est entièrement calé sur la Constitution de la Ve République qui veut que tout procède du sommet de l’État.
Certes, même sans mandat électif, Marine Le Pen pourrait conserver les rênes de son parti. Après tout, Jean-Luc Mélenchon n’apporte-t-il pas la démonstration, jour après jour, que cela est possible. Mais à la différence de Marine Le Pen, il pourra être candidat le moment venu.
Bardella peut-il remplacer Marine ?
Dès lors, il faudra bien remplacer l’actuelle présidente du groupe parlementaire. Jordan Bardella est le candidat naturel. Mais le personnage manque d’épaisseur et de charisme. Carences qu’il compense par une verticalité absolue dans la gouvernance du parti.
Il y a son âge également. À 29 ans, qui peut croire qu’il soit capable de s’asseoir dans le fauteuil du Général de Gaulle ? Déjà, qu’il devienne Premier ministre en cas de victoire de Marine Le Pen laissait songeur.
Jordan Bardella est un homme d’image. Mais il n’incarne rien et cela se voit. Combien de temps le Rassemblement national résisterait avant que n’apparaissent les premières fractures ?
Ce qui se joue lundi est donc l’avenir de l’extrême droite en France.
Une décision proportionnée
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue aujourd’hui sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par un élu mahorais, rappelle qu’il revient au juge « d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure – l’inéligibilité (NDLR) – est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Ce que la plupart des juristes ont lu comme une invitation à considérer l’impact de la mesure sur le corps électoral.
Principe et exceptions
De fait, le tribunal a toute latitude pour déroger au principe de l’exécution provisoire de l’inéligibilité. Il peut ainsi invoquer le caractère excessif que cette peine constituerait au regard de la personnalité de la prévenue.
C’est sur ce scénario que parient la défense de Marine Le Pen et la direction de son mouvement.
À défaut, elle pourra faire appel de l’exécution provisoire, indépendamment du fond. C’est l’article 514-3 du Code de procédure civile. L’exécution provisoire peut être arrêtée si elle « risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance ». Une candidature à l’élection présidentielle entrerait dans ce cadre.
La bataille judicaire, loin de s’achever lundi, ne fait que commencer.
Serge Faubert