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La gauche en miettes

La gauche rassemble aujourd’hui à peine 30 % des électeurs. Et ce, depuis plus de dix ans. Peut-elle espérer retrouver un jour une majorité dans les urnes ? C’est la question que pose en filigrane la rupture spectaculaire entre François Ruffin et la France insoumise.

On laissera ici de côté l’inventaire des torts de l’un et des autres. Comme les parallèles avec Jacques Doriot et autres joyeusetés. Cela n’a qu’une faible importance par rapport au contexte.

Les fâchés pas fachos

L’équation est simple. Faut-il tenter de ramener au bercail les fâchés pas fachos – mais qui le sont devenus un peu quand même au fil du temps – ou bien aller chercher les abstentionnistes des quartiers populaires ?

Terra Nova

En 2011, dans une note souvent citée, le think tank Terra Nova, proche du PS, avait théorisé un nouveau compromis. Prenant acte que les cols bleus se tournaient de plus en plus vers le FN (puis le RN), les auteurs du document préconisaient un rapprochement entre la petite bourgeoisie des métropoles et les populations d’origine immigrée de la périphérie de ces mêmes métropoles. Après tout, n’étaient-ils pas les nouveaux damnés de la terre ? Jamais la question ne fut posée de savoir pourquoi une partie de la classe ouvrière se tournait vers l’extrême droite. Tout juste concluait-on à l’impossibilité de récupérer cette clientèle.

Par une étrange ironie de l’histoire, cette note qui se proposait de régénérer une social-démocratie en panne de projet, inspira surtout La France insoumise. Au point que dans une note postérieure de Terra Nova, un des rédacteurs se désolera d’avoir ainsi livré des munitions à un camp dont il ne partageait pas les buts.

L’oubli de la laïcité

Mais tout à sa conquête des quartiers, la France insoumise s’est éloignée du corpus idéologique de la gauche. Ainsi sur la laïcité et la reprise du concept d’islamophobie inspiré par la mouvance islamiste. Se retrouvent amalgamés dans une même réprobation ceux qui critiquent une religion et ceux qui discriminent les croyants.

Longtemps, Jean-Luc Mélenchon a fait la distinction, n’hésitant pas à se présenter lui-même comme un islamophobe, au sens où il considérait que l’Islam était une superstition parmi d’autres. Pour le marxiste, le républicain et le franc-maçon qu’il était alors, c’était une évidence.

Opportunisme

Mais bientôt, Jean-Luc Mélenchon comprit que cette articulation entre la liberté de critiquer une religion et la liberté des croyants de pratiquer un culte restait incomprise des seconds. Perçue comme une stigmatisation supplémentaire, elle était électoralement improductive.

Petit à petit, la dénonciation de l’islamophobie fit son nid dans le discours insoumis. Jusqu’à devenir un concept fédérateur. Parallèlement, à la lutte des classes, grille de lecture fondatrice de la gauche, se substitua l’empilement des oppressions systémiques et leur intersectionnalité. Avec pour corollaire les généralisations abusives (la police tue, l’État est raciste, etc.).

La pensée paresseuse

Cette pensée paresseuse nous vient des campus américains et prétend à la rigueur scientifique. Ironie de l’histoire, il ne s’agit là que de nos propres errances intellectuelles des années 1970 (le structuralisme) qui, faute de pertinence, ont émigré outre-Atlantique où elles sont connues sous le nom de « French Theory ». Retour à l’envoyeur si je puis dire. On s’en serait bien passé.

Plus que le caractère volcanique du leader de Jean-Luc Mélenchon – arrêtera-t-on un jour de psychologiser la politique ! – ces changements de logiciels ont rendu inaudible le discours de la France insoumise auprès de catégories populaires qui, pourtant, auraient pu se reconnaître dans son combat.

Retrouver l’universalisme républicain

Pour le formuler autrement, LFI, chemin faisant, a perdu sa dimension universaliste. Ruffin ne dit rien d’autre lorsqu’il évoque la nécessité de rassembler la France des tours et la France des bourgs.

Mais pour cela, il faut retrouver une langue commune qui n’essentialise pas les combats et qui ne sépare pas les territoires.

Car on manque d’hôpitaux aussi bien dans les campagnes que dans les banlieues. On ferme des classes un peu partout. Et l’insuffisance des transports reste la préoccupation de la plupart des Français. Quant à la pauvreté ou l’insécurité, elles se répartissent à peu près uniformément.

Certes la France, comme l’a montré Jérôme Fourquet, est un archipel. Mais il reste des ponts entre les îlots. Si elle veut quitter le registre du témoignage, la gauche doit redevenir la gauche du quotidien, la gauche du bifteck et de la feuille de paie. Ça, ça parle à tout le monde.

Serge Faubert

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