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La formation du Front Populaire mise à l’épreuve par des « purges » au sein de LFI

La gauche réunie sur la Place de la République à Paris, le 15/06/2024 ©PurePolitique

Existe-t-il un virus de l’autodestruction en politique ? Depuis le 9 juin, la question est posée. Qu’on y songe. En appuyant sur le bouton de la dissolution de l’Assemblée nationale, le président de la République a du même coup dissout son parti Renaissance et la coalition qui le soutenait. Ils ont disparu de l’écran. Et depuis, les piètres apparitions médiatiques du Premier ministre en sursis, Gabriel Attal, semblent être accomplies sous la torture.

De l’Élysée, le virus s’est ensuite propagé aux Républicains. En bricolant une improbable alliance avec le Rassemblement national, Éric Ciotti a réussi à flinguer les maigres espoirs de sa formation. L’espace politique de LR est aujourd’hui aussi vaste qu’un timbre-poste. Loin de faiblir, le virus s’est alors attaqué à Reconquête. Marion Maréchal a fait ses valises pour les marges du Rassemblement national avec la poignée d’élus engrangés par le parti d’Éric Zemmour aux européennes. Si bien que le polémiste d’extrême droite ressemble aujourd’hui à un touriste détroussé dans une lointaine contrée dépourvue de réseau téléphonique.

Le Front Populaire se porte bien, merci pour lui

Samedi, à Paris, Place de la République, on respirait. Pour l’instant, le virus semble épargner le Front Populaire. Mieux, l’anticorps de l’antifascisme a permis de surmonter les divisions abyssales de ces derniers mois.

Aujourd’hui, le Front Populaire est en train de prendre l’ampleur que nous souhaitions. Il a commencé à quatre partis politiques, il a été rejoint par d’autres partis politiques. Il a été rejoint par des personnes de la société civile, des associations, des chercheurs, des intellectuels, qui nous disent qu’ils ont besoin de nous. Et aujourd’hui, le Front Populaire doit devenir populaire.

Marine Tondelier, Secrétaire nationale Les Écologistes, le 15/06/2024

Nous allons porter un projet commun : faire en sorte de n’être pas uniquement sur un terrain défensif, où nous ne sommes pas simplement en résistance à l’extrême droite, nous sommes aussi à l’offensive en proposant au pays un véritable projet alternatif à ce qui a pu se réaliser pendant les sept dernières années avec Emmanuel Macron et ce qui pouvait se faire d’encore pire avec Marine Le Pen.

Olivier Faure, député sortant PS et Premier secrétaire du PS, le 15/06/2024

Nous savons que l’extrême droite est une arnaque sociale qui vote avec les macronistes, contre l’augmentation des salaires, contre le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, ou encore contre l’indexation des salaires sur l’inflation. Nous savons que l’extrême droite est un ennemi de nos libertés publiques et de la démocratie et nous savons surtout que la macronie a une responsabilité historique dans la montée de l’extrême droite.

Mathilde Panot, députée sortante LFI, le 15/06/2024

Unis demain dans les urnes, avec un bulletin de vote, le bulletin de vote du Nouveau Front Populaire, qui marquera à la fois notre refus de voir une bande de racistes s’emparer de Matignon mais surtout un vote d’espoir qui nous permettra de tourner la page des années de malheur que nous avons connues, l’augmentation du pouvoir d’achat avec l’indexation des salaires sur l’inflation, l’abrogation de cette funeste réforme des retraites. Bref, l’envie que la vie s’améliore pour des millions de nos concitoyens.

Ian Brossat, conseiller PCF de Paris, le 15/06/2024

Du côté des syndicats, on entend bien ne pas laisser la tambouille politicienne fracturer le mouvement social et détruire l’espoir de millions de gens.

Vous pouvez interviewer les gens dans la manif, je pense qu’ils n’en ont à peu près rien à faire de savoir qui sera Premier ou Première ministre. Ce qui les intéresse c’est de savoir, pour nos vies, qu’est ce qui va changer. Parce qu’on n’en peut plus de la situation actuelle, on n’en peut plus d’avoir un gouvernement qui passe son temps à remettre en cause les droits des travailleurs et des travailleuses, qui méprise le Parlement, qui méprise la rue, qui méprise les organisations syndicales. Il faut mettre fin à ça.

Nous voulons un choc démocratique et social, pour enfin remettre remettre le progrès social et environnemental à l’ordre du jour. Voilà ce que nous voulons.

Sophie Binet, Secrétaire générale de la CGT, le 15/06/2024

On est dans un moment de grande confusion. Il y a une alliance qui s’est créée et qui n’a pas l’air stabilisé. Moi j’espère que le plus rapidement possible ce spectacle se termine et que tout le monde soit en ordre de marche pour porter un projet comme les autres formations politiques derrière.

Marylise Léon, Secrétaire générale de la CFDT, le 15/06/2024

La direction de la France insoumise semble avoir du mal à entendre ces avertissements. Jean-Luc Mélenchon et son entourage font preuve d’une singulière obstination à se tirer une balle dans le pied. À croire que le virus de l’autodestruction dont je parlais plus avant est déjà en train de frapper à la porte de LFI. La dernière décharge de chevrotine remonte à vendredi.

Le comité électoral de la formation, dont l’indépendance est légendaire, a refusé d’investir cinq élus sortants. Et pas des moindres : Alexis Corbière, Raquel Garrido, Danielle Simonnet, Hendrik Davi et Frédéric Mathieu. Les trois premiers sont des figures historiques du mélenchonisme. Dans le même temps, le comité en question investissait Adrien Quatennens. N’importe quel stagiaire en communication aurait compris que le télescopage des deux décisions était dévastateur. Car le message implicite de cette posture revenait à dire qu’il était moins grave de frapper sa compagne plutôt que de critiquer le chef. Succès garanti dans les urnes.

Adrien Quatennens se retire

Mais apparemment, le stagiaire en com’ était parti chercher des cafés au moment de la prise de décision. Résultat, hier, Adrien Quatennens a dû se retirer pour éviter que l’abcès autour de sa candidature ne s’envenime davantage.

Je n’entends pas plus longtemps que ma candidature soit utilisée contre la France insoumise et le Nouveau Front Populaire pour leur nuire. Par conséquent, je renonce à ma candidature aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains.

Adrien Quatennens, député sortant LFI, le 16/06/2024

Dans sa prise de parole, Adrien Quatennens a rappelé qu’à l’époque des faits des voix s’étaient élevées pour lui demander de remettre son mandat en jeu. Les électeurs devaient trancher, lui disait-on. Et le député sortant de souligner qu’aujourd’hui on lui interdit de faire ce qu’on lui suggérait hier.

Sur le fond, Adrien Quatennens a raison. Il a purgé sa peine et satisfait aux obligations imposées par son parti. S’il n’y avait eu, en miroir, l‘éviction des cinq députés, sa candidature aurait peut-être prospéré jusqu’au scrutin malgré les remous. Dimanche, Jean-Luc Mélenchon voulait tourner la page.

Il a été ostracisé et quelqu’un d’autre est nommé. Peut-être qu’on peut revenir à “un accord est un accord et on le tient”. Si maintenant toute investiture est à la merci de je ne sais quelle dispute interpersonnelle, ça vient lamentable. Il faut que le Nouveau Front Populaire soit stable.

Jean-Luc Mélenchon, co-président de l’Institut La Boétie, le 16/06/2024

Un front populaire stable. Mais qui ébranle l’édifice sinon le leader de la France insoumise ? Dans le quotidien 20 minutes, Jean-Luc Mélenchon a ces mots : “Les investitures à vie n’existent pas. Mais la cohérence politique et la loyauté dans le premier groupe parlementaire de gauche sont aussi une exigence pour gouverner”.

« Purge » à la France insoumise

Aimable fabulette que voilà. Dans une organisation où aucun dirigeant n’est élu, où tout procède du bon vouloir du fondateur, l’argument est simplement loufoque. Place de la République, nous avons croisé quelques-uns des bannis. Ainsi que ceux qui les soutiennent.

Un mail entre 23 heures et minuit, hier soir. Même pas un coup de fil. Après 25 ans de militantisme avec Jean-Luc Mélenchon, j’ai trouvé ça d’une brutalité et d’une lâcheté hallucinante. Je trouve ça irresponsable politiquement. On a l’extrême droite qui est aux portes du pouvoir dans ce pays.

Franchement, de quoi vous me parlez ? Vous n’êtes pas en train de me parler de ce programme magnifique qui est le programme de rupture du Front Populaire. Vous me parlez, finalement, de cette purge. C’est pour ça que c’est un acte irresponsable de la part de la direction de la France insoumise. On a mieux à faire.

C’est quoi cette purge ? Ce sont les 5 députés sortants qui faisaient partie de ceux qui menaient le débat, notamment sur la stratégie unitaire, parce qu’on estimait que ce n’était pas bon cette stratégie de cliver pour cliver, d’insulter les partenaires. Face à l’extrême droite, la gauche doit faire peuple uni. On avait fait le crime de « lèse-mélenchonite ». On avait osé critiquer le chef, et donc du coup on est écartés. Ce ne sont pas des méthodes.

Danielle Simonnet, députée sortante LFI, le 15/06/2024

À l’inverse de leurs cinq camarades, Clémentine Autain et François Ruffin ont été investis par La France Insoumise. Peut-être parce que la mise à l’écart de tous les contestataires aurait eu du mal à passer auprès des militants. Peut-être aussi parce qu’ils ont chacun leur petit parti qui leur permet de s’affranchir des oukases de la direction insoumise.

Dans un tweet publié samedi, François Ruffin ne s’encombre pas de précautions de langage. S’adressant à la direction de LFI, voici ce qu’il écrit : “Je ne vous ai demandé aucune investiture, aucune autorisation. Je ne suis pas passé sous les fourches caudines de votre bêtise, votre sectarisme. Vous préférez un homme qui frappe sa femme, auteur de violences conjugales, à des camarades qui ont l’impudence d’avoir un désaccord avec le grand chef. Notre démocratie mérite mieux que vous”.

Dans ce registre, Clémentine Autain n’est pas en reste.

Pourquoi faire ça ? C’est une vraie question. Pourquoi poser une bombe à fragmentation à deux semaines d’un premier tour historique, fondamental pour le quotidien des Français. Je ne trouve pas ça responsable.

Vous savez, les purges dans l’histoire, dans les partis politiques, elles se font toujours au moment où on vous explique “mais il y a une cause plus grande”, il y a une cause plus grande qui fait que vous devez fermer votre gueule. On ne peut pas faire comme ça. Ça dit trop de choses sur le rapport au pouvoir, et ça, ça n’est pas acceptable.

Clémentine Autain, députée sortante LFI, le 15/06/2024

Ne pas perdre de vue les enjeux

Sur les cinq députés écartés, quatre ont décidé de se maintenir. Seul Frédéric Mathieu, député sortant d’Ille-et-Vilaine, a annoncé son retrait, dimanche soir, faute d’avoir trouvé dans les délais impartis un suppléant. Les autres sont déjà dans la campagne.

Ne pas perdre les enjeux : d’abord, il faut se mobiliser le 30 juin et le 7 juillet. Il ne faut pas céder aux provocations, partout dans toutes les circos. Vous votez pour les candidats du Front Populaire. Ce sont des braves gens, ce sont des gens magnifiques, qui sont socialistes, communistes, écolos, insoumis, il faut voter pour eux sans état d’âme. Toutes ces histoires, il ne faut pas que ça démoralise qui que ce soit. Maintenant, ce qu’on a à faire c’est le programme de rassemblement, ça a été fait, il est dans la clarté, et il faut aussi que la question démocratique soit réglée notamment dans mon mouvement. Ce n’est pas une boîte privée américaine qui licencie les gens par un mail à 23 heures sans un coup de fil. Ca, ce n’est pas possible.

Jean-Luc Mélenchon règle un problème avec moi, parce que depuis un an je ne suis pas d’accord avec le fonctionnement de la France insoumise. Je pense qu’il faut qu’on puisse débattre, qu’on puisse décider collectivement des choses. J’ai eu des désaccords stratégiques avec lui, comment régler l’affaire Quatennens, sur le moment des retraites où il fallait rester, à mon avis, unis derrière les organisations syndicales et de quelle manière on formule les choses après le massacre du 7 octobre.

Tout ça a amené un climat invivable où la manière de trancher les choses c’est la purge, dans un moment en plus de grande tension. Quand tu as des grands événements historique, il y en a qui en profitent pour avoir des petits comportements mesquins pour régler des problèmes avec 5 députés.

Alexis Corbière, député sortant LFI, le 15/06/2024

En 2022, Alexis Corbière a été élu dès le premier tour. C’est tout simplement le député le mieux élu de France que LFI vient d’écarter. La machine à perdre ne sévit pas qu’à droite. Et ce n’est pas fini, car la guerre des étiquettes commence.

Je suis la candidate du Nouveau Front Populaire dans ma circonscription. On va faire ça avec le sourire, avec de l’énergie. Et puis il y a un débat stratégique. J’ai un désaccord politique avec Jean-Luc Mélenchon sur la démocratie, sur même visiblement l’importance de l’union.

Je suis la candidate du Nouveau Front Populaire car dans cet accord il était convenu que les circonscriptions sortantes allaient aux sortants sauf exception dûment motivée.

Raquel Garrido, députée sortante LFI, le 15/06/2024

Le suspense est à son comble

Bien sûr, il ne manquera pas d’esprits éclairés pour reconnaître que cette situation est navrante, mais que le sort de cinq députés ne pèse pas grand-chose au regard de l’enjeu. C’est se tromper que de croire cela. Car l’affaire a des conséquences immédiates.

Dans la majorité des circonscriptions, le second tour verra s’opposer des candidats du Front Populaire et du Rassemblement national. Et ce sont les électrices et les électeurs de Renaissance, du MoDem ou d’Horizons qui les départageront. Vont-ils vraiment avoir envie de voter pour une formation, la France insoumise, qui, jusqu’à la dernière minute, aura apporté de l’eau au moulin de sa propre diabolisation ? À tout le moins, il faudra que ces électeurs aient la fibre républicaine solidement chevillée au corps pour faire abstraction du reste.

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