Mardi 24 octobre, les députés attendaient tranquillement le 14e engagement de responsabilité du gouvernement – le 49-3 c’est un peu comme les feuilles mortes, ça se ramasse à la pelle – lorsqu’ils ont entendu ça :
C’est pourquoi la France est prête à ce que la coalition internationale contre Daech, dans le cadre de laquelle nous sommes engagés pour notre opération en Irak et en Syrie, puisse lutter aussi contre le Hamas. Je propose à nos partenaires internationaux, je l’ai évoqué avec vous ce matin, que nous puissions bâtir une coalition régionale et internationale pour lutter contre les groupes terroristes qui nous menacent tous.
Emmanuel Macron, président de la République, Tel-Aviv, déclaration conjointe avec Benyamin Nétanyahou, 24 octobre 2023
Coalition militaire
De quoi sursauter. La veille, Élisabeth Borne, à la tribune de l’Assemblée, avait rappelé que la France est toujours favorable à une solution à deux États.
La solution est claire : des garanties indispensables pour la sécurité d’Israël et un État pour les Palestiniens.
Élisabeth Borne, Première ministre, Assemblée nationale, 23 octobre 2023
Lundi 23 octobre, la France se voulait donc la messagère de la paix et 24 heures plus tard, Jupiter annonce que notre pays s’engage aux côtés d’Israël dans le cadre d’une coalition militaire. Cherchez l’erreur ! La coalition à laquelle fait référence Emmanuel Macron a été mise sur pied en 2014. Lancée par les États-Unis, elle a rassemblé jusqu’à 86 pays. La campagne militaire s’est achevée en 2019. Les forces spéciales françaises se sont notamment déployées aux côtés des combattants Kurdes, des combattants héroïques aujourd’hui abandonnés. Mais ça, c’est une autre histoire…
Pain bénit pour le RN
Cette posture guerrière du président a été accueilli comme du pain bénit par le Rassemblement national.
Marine Le Pen, il y a déjà plusieurs années, avait demandé à ce que l’OTAN soit réorienté dans la lutte contre l’islamisme, sous toutes ses formes, et que donc effectivement les armées membres de l’OTAN orientent leur effort pour nous débarrasser du terrorisme islamiste, des États islamistes et des réseaux islamistes. Il faut voir précisément ce qu’entendait le président de la République là-dedans, aujourd’hui ce n’est pas encore très clair, mais il est certain que les efforts des démocraties occidentales doivent être dans l’éradication du terrorisme sous toutes ses formes et en particulier le terrorisme islamiste.
Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, Assemblée nationale
Pour l’OTAN, c’est râpé. L’alliance est déjà engagée en Ukraine et elle patine un peu.
Parler aux deux peuples
Ce changement de pied d’Emmanuel Macron est en revanche critiqué à gauche.
Ça prouve bien que le président n’est pas clair et qu’il se laisse emporter par je ne sais quel sentiment ou absence de réflexion mais on ne peut pas considérer aujourd’hui qu’on doit partir en guerre derrière Tsahal et rentrer dans Gaza. C’est absolument fou de le laisser penser. Nous devons continuer à être le pays qui parle à la fois aux Palestiniens et aux Israéliens et qui sait être la voix de la paix. Parce que si nous ne sommes pas là, qui le fera à notre place ?
Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et secrétaire national du Parti socialiste, Assemblée nationale
Parler aux deux peuples, dit Olivier Faure. Plus facile à dire qu’à faire, objecte Olivier Marleix.
« Problème de représentation du peuple palestinien »
En 2003, vous étiez à une époque où vous aviez encore des interlocuteurs, vous aviez des élections dans les territoires palestiniens. Aujourd’hui, ça n’est plus le cas. Depuis 2006, pas d’élections. Depuis 2006, on a d’un côté le Hamas sur la bande de Gaza, qui est une organisation terroriste armée, financée par l’Iran, pas les gens les plus fréquentables qu’on connaisse à ma connaissance l’Iran, et de l’autre côté vous avez sur la Palestine des dirigeants qui ne sont plus sur la Cisjordanie, des dirigeants qui ne sont plus, non plus, totalement démocratiquement élus, pas d’élections, et dont on pense pour beaucoup que leurs comptes en Suisse révèlent une corruption, des détournements de fonds qui ne sont pas tout à fait dignes de ce que devrait être leur attitude. Il y a un vrai enjeu, un vrai problème de la représentation du peuple palestinien.
Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir et président du groupe parlementaire LR, Assemblée nationale
S’agit-il simplement de mener la guerre au terrorisme ?
Question coloniale
Éric Coquerel estime que le président se trompe en faisant un parallèle entre le Hamas et Daech :
Ça me pose problème qu’il réponde comme ça aux exigences de Nétanyahou qui était de rentrer en coalition contre le Hamas comme on est en coalition contre Daech. Parce que c’est ramener un conflit colonial à une seule dimension qui serait la lutte du bien, du côté de l’État d’Israël, contre le mal du côté, en réalité, des habitants de Gaza parce que ce sont eux qui sont frappés. La question du Hamas c’est que nous sommes dans un contexte de guerre coloniale dans laquelle il y a une monstruosité qui est le Hamas, certes, mais il ne faut pas oublier qu’il y a la guerre coloniale qui sert de fond, d’arrière fond.
Éric Coquerel, député LFI-Nupes de Seine-Saint-Denis et président de la commission des Finances, Assemblée nationale
Pas d’accord, répond Philippe Gosselin qui est à la fois député et professeur de droit. Le Hamas se moque totalement de la question coloniale.
Je pense qu’on ne peut pas réduire ça à un aspect de colonisation. Le Hamas, par exemple, a toujours été contre, ce n’est pas la colonisation, c’est contre l’État d’Israël et contre le système tel qu’il existe aujourd’hui. Donc ça va bien au-delà.
Philippe Gosselin, député LR de la Manche, Assemblée nationale
« Vous rassurer »
Mercredi 25 janvier, sur le tarmac de l’aéroport du Caire, Emmanuel Macron avait encore changé de position. Le chef de l’État s’était auparavant entretenu avec le président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, le roi de Jordanie, Abdallah II, et le président égyptien Sissi. Autant de rencontres qui l’auront amené à réfréner ses ardeurs guerrières.
Pour vous rassurer, aujourd’hui il n’est pas du tout prévu d’envoyer dans la bande de Gaza quelque militaire français que ce soit. On a surtout besoin de partager l’information, de créer de la coopération avec les pays de la région, de partager les informations, de bien cibler les gens, et ensuite d’adapter les réponses. Mais ce n’est pas du tout ça qui est en jeu dans la question. Nous ne sommes pas escalatoires, nous-mêmes.
Est-ce que vous demandez à Israël de ne pas s’engager sur le sol à Gaza ?
Je vais vous dire de manière très simple : ça dépend de la nature de cet engagement et ça dépend de son cadre. La France reconnaît le droit d’Israël à se défendre et à protéger ses populations. Mais elle le reconnaît dans un cadre qui est celui du respect des populations civiles. Et donc, intervenir sur le plan terrestre, si c’est pour cibler des groupes terroristes de manière totalement identifiée, c’est un choix qui lui appartient et qui correspond à la définition que j’évoque. Si c’est une intervention massive qui met en danger la vie des populations civiles, alors je pense que c’est une erreur, et c’est une erreur pour Israël aussi. Parce que ça n’est pas de nature à protéger dans la durée Israël et parce que ça n’est pas compatible avec le respect des populations civiles, du droit international humanitaire et même des règles de la guerre.
Emmanuel Macron, président de la République, Le Caire, 25 octobre 2023
Marcher sur des œufs
Trente-et-un ressortissants français ont été tués lors de l’attaque du Hamas et neuf sont toujours retenus en otages par le mouvement islamiste. Par ailleurs, une cinquantaine de Français auxquels s’ajoutent les personnels travaillant pour nos établissements de coopération et leurs familles sont bloqués dans la bande de Gaza. Mercredi, le président turc Erdogan a annoncé qu’il annulait son prochain déplacement en Israël. Devant son parlement, il a déclaré que :
Le Hamas n’est pas un groupe terroriste, c’est un groupe de libérateurs qui protègent leur terre.
Recep Tayyip Erdogan, 25 octobre 2023
Bref, la France, comme la diplomatie internationale, marche sur des œufs. Emmanuel Macron s’en est souvenu juste à temps.