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Israël-Hamas : la guerre des mots ravage la classe politique

Jérôme Guedj, député PS de l’Essonne, lors de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, à l’Assemblée nationale, le 6 septembre 2023. ©Assemblée nationale

Peut-on mettre sur le même plan la politique de colonisation et d’annexion du gouvernement d’extrême droite israélien et l’attaque menée par le Hamas contre des civils israéliens ? Peut-on affirmer que la seconde ne serait que la conséquence de la première ? Ce débat, capital, est en train d’ébranler l’ensemble de la classe politique, attestant que le conflit israélo-palestinien s’est déjà transporté en France. 

La polémique a débuté avec un tweet de Jean-Luc Mélenchon, samedi 7 octobre. 

« La violence ne produit et ne reproduit qu’elle-même », écrit le chef de file de La France insoumise. Autrement dit, pour ce dernier, l’attaque du Hamas est une réponse à l’occupation israélienne. Elle s’inscrit dans une escalade militaire entre deux belligérants. S’agit-il simplement d’un élément de contextualisation ? Ou bien faut-il y voir une tentative de relativiser la tuerie de masse de samedi 7 octobre ?

Dégoût de Jérôme Guedj

Pour le Parti socialiste, c’est la seconde hypothèse qui semble être la bonne. Dans son communiqué sur les événements en Israël, le parti d’Olivier Faure s’en prend entre les lignes au chef de La France insoumise.

La politique du gouvernement Netanyahu ne saurait être mise en avant pour relativiser l’agression terroriste dont est aujourd’hui la cible la population israélienne. Rien, jamais, ne saurait justifier des actes terroristes. Il n’y a pas de circonstances atténuantes qui soient entendables, et nul ne devrait renvoyer dos à dos Israël et l’organisation terroriste Hamas.

Communiqué du Parti socialiste, 8 octobre 2023

La veille, Jérôme Guedj, député socialiste de l’Essonne, avait déjà exprimé son dégoût.

Toute prise de parole qui, à ce moment-là, ne condamne pas le terroriste du Hamas, toute prise de position qui, dans l’immédiat, n’a pas cette clarté, pardon de le dire, elle me dégoûte et elle est, sinon suspecte, elle pose problème parce qu’elle ne dit pas clairement les choses et dans un moment comme celui-là on doit dire clairement les choses. Parce qu’on est un pays qui a été frappé par le terrorisme. Au moment du Bataclan, au moment où la BRI intervenait, on n’était pas là à trouver des circonstances atténuantes à Daech.

Jérôme Guedj, député PS de l’Essonne, BFMTV, 7 octobre 2023

Paravent de l’antisémitisme

Dimanche, à Bordeaux où Renaissance tenait son campus européen, Élisabeth Borne est allée plus loin. Pour la Première ministre, l’antisionisme de LFI est un paravent de l’antisémitisme.

Je pense que, clairement, les positions de La France insoumise sont bien connues avec beaucoup d’ambiguïtés, avec de l’antisionisme. En effet, c’est parfois une façon aussi de masquer une forme d’antisémitisme. 

Donc, l’antisionisme serait selon vous une sorte de faux nez de l’antisémitisme dans certaines formations politiques ?

Chez certains, dans certaines formations, oui. La France insoumise est dans son ambiguïté que l’on connaît qui est particulièrement choquante face à la violence des attaques, face aux civils qui ont été tués ces derniers jours. Il faut absolument condamner, effectivement, ces ambiguïtés.

Élisabeth Borne, Première ministre, BFMTV, 8 octobre 2023

Borne renvoyée dans ses buts

Fabien Roussel l’a renvoyée dans ses buts.

Là aussi, vous êtes d’accord ? 

Je la laisse à ses propos. Je ne vais pas commenter… 

C’est important… 

Vous me demandez de commenter les propos d’Élisabeth Borne concernant les insoumis.

L’antisémitisme et l’antisionisme, c’est la même chose ? Est-ce que pour vous c’est la même chose ? 

Non. Ce n’est pas la même chose, d’abord. D’abord ce n’est pas la même chose. Elle crée là encore une confusion.

Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du PCF, France 3, 8 octobre 2023

« Se défaire d’une indignation sélective »

Nulle complaisance de la part du secrétaire national du Parti communiste français. Il a catégoriquement condamné l’attaque de samedi dans un communiqué.

Nous condamnons fermement ces attaques qui s’en prennent directement à la population civile israélienne. Elles sont inacceptables et injustifiables. […] Nous appelons aussi à se défaire d’une indignation sélective. Ces attaques ont lieu dans le contexte de raids de terreur multiples que l’armée de l’État d’Israël et les colons mènent depuis plusieurs mois dans les territoires occupés qui ont fait plus de 200 morts.

Communiqué de Fabien Roussel

Les écologistes ont également exprimé leur condamnation dans un communiqué.

Ce matin, le Hamas a lancé des attaques et commis des actes terroristes contre Israël faisant plusieurs centaines de victimes civiles et militaires ainsi que de nombreux blessé•e•s. Les écologistes condamnent ces événements particulièrement effroyables sans aucune ambiguïté, rien ne justifie jamais d’attaquer délibérément des civil•e•s.

Communiqué du parti EELV, 7 octobre 2023

Invocation de la posture gaullienne pas pertinente

Montré du doigt dimanche par la Première ministre, Jean-Luc Mélenchon a répondu par un nouveau tweet :

L’ancien candidat à la présidentielle fait allusion à la rupture du général avec l’État hébreu en 1967 pendant la guerre des six jours. Ce, alors qu’il avait été un soutien fidèle de l’État sioniste depuis sa création. À rebours de l’opinion et des médias, De Gaulle avait condamné l’attaque de Tsahal, fustigeant quelques mois plus tard les Israéliens dans une conférence de presse restée à la postérité.

Le chef de la France libre voyait en eux « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ». On l’avait accusé d’antisémitisme. Mais cette invocation de la posture gaullienne, autrement dit du non-alignement, n’est pas pertinente ici. Samedi et dimanche, ce ne sont pas deux armées qui se sont opposées. Il s’agit de civils israéliens désarmés qui ont été tués par une milice islamiste financée par le Qatar et l’Iran.

Du mal à trancher chez les insoumis

D’après le décompte de Tel-Aviv, sur les 700 victimes israéliennes, on ne dénombrerait que 44 militaires. Qu’est-ce donc que le Hamas ? Une armée de libération nationale ou une organisation terroriste ? La direction de La France insoumise semblait avoir du mal à trancher ce week-end. À preuve le communiqué du groupe parlementaire :

https://twitter.com/MathildePanot/status/1710620563285168632?s=20

« L’offensive armée de forces palestiniennes menées par le Hamas », dit le communiqué. À part le Hamas, il n’y a que le Djihad islamique palestinien, concurrent tout aussi fanatique du premier. Cette euphémisation pour caractériser le Hamas interroge.

Certains n’ont pas ces pudeurs de gazelle

D’autant qu’au sein du groupe de La France insoumise, certains n’ont pas ces pudeurs de gazelle.

Un tweet repris par Alexis Corbière. 

Rodrigo Arenas, député LFI de Paris est encore plus explicite : 

Bompard a rectifié le tir

Ce lundi 9 octobre au matin, La France insoumise, par la bouche de Manuel Bompard, a rectifié le tir.

Les actes qui ont été commis sont de manière très claire, en droit international, des actes qui s’apparentent à des crimes de guerre. Donc moi je condamne bien évidemment les crimes de guerre. Et je condamne les crimes de guerre…

Pour qu’on soit bien clair, vous parlez des crimes du Hamas ?

Je parle des actes qui sont commis par le Hamas qui concernent et consistent notamment à des prises d’otages qui sont contraires aux conventions internationales.

Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône et coordinateur de La France insoumise, France 2, 9 octobre 2023

Part de responsabilité française

Il était temps. L’expression du mouvement tournait à la cacophonie. Un tweet du député insoumis du Val-de-Marne, Louis Boyard, a concentré les critiques. 

En substance, Louis Boyard nous dit qu’en renvoyant dos à dos israéliens et palestiniens, la France aurait fermé les yeux sur la politique de colonisation et d’annexion. Et de ce fait, elle porterait une part de responsabilité dans la situation actuelle. Une argumentation qui prend l’exact contrepied de la position défendue par Jean-Luc Mélenchon. Le chef de file de la FI soutient qu’il ne faut pas prendre parti pour l’un ou l’autre des belligérants.

Ressorts du discours antisémite

Les propos de Louis Boyard n’ont pas manqué de faire réagir. La sénatrice socialiste Laurence Rossignol accuse le député insoumis de reprendre un des ressorts du discours antisémite :

Sur Europe 1, le député européen LR François Xavier Bellamy, a tenu sensiblement le même discours.

S’habituer à l’horreur en effet, mais l’horreur c’est cette réaction, et je crois qu’on n’a pas le droit de s’habituer, pas le droit de s’habituer à ce que des élus de la République soient prêts à justifier ce massacre de civils innocents auquel on a assisté hier. Parce que c’est de cela qu’il s’agit. On ne doit pas s’habituer à ce que des élus de la République soient capables de rendre les victimes coupables de leur propre massacre. Parce que c’est cela que La France insoumise est en train de faire, et elle le fait pour une raison très simple : parce qu’elle a choisi sa clientèle électorale.

François-Xavier Bellamy, député européen LR, Europe 1-CNews-Les Échos, 8 octobre 2023

Levée de l’immunité parlementaire

Le maire de Reims, Arnaud Robinet, va encore plus loin. Ce partisan d’Édouard Philippe réclame la levée de l’immunité parlementaire des députés insoumis. Le sénateur LR des Bouches-du-Rhône, Stéphane Le Rudulier a indiqué qu’il va déposer une proposition de loi pour pénaliser l’antisionisme. Il demande à la Première ministre Elisabeth Borne de dissoudre le Nouveau Parti anticapitaliste, la Jeune Garde, Les Indigènes de la République, Révolution permanente et La France insoumise. 

Toujours à droite, le patron des LR, Éric Ciotti, a écrit au président de la République. Dans son courrier, il déclare soutenir inconditionnellement Israël et réclame à Emmanuel Macron l’arrêt du financement de l’Autorité palestinienne par l’Europe. Mesure qui n’a aucune chance d’être adoptée, à supposer que le chef de l’État la reprenne à son compte. Mais ça fait parler… 

À l’extrême droite, Marine Le Pen a donné dans la sobriété. La situation la sert. Inutile d’en rajouter. 

Ces lignes de fracture ne sont pas près de disparaître, car la guerre qui s’enclenche avec ses cortèges de morts, va exacerber les passions. Il est trop tard pour éviter l’importation du conflit, mais il est encore possible de veiller à ce que celui-ci n’embrigade pas les esprits. Il y a du pain sur la planche.

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