Le printemps 2024 verra-t-il le gouvernement être renversé par une motion de censure des oppositions ? Ce serait la première fois depuis 1962. Depuis quelques jours, cette hypothèse prend corps. En effet, le projet de loi sur l’immigration qui doit être examiné à partir du 6 novembre au Sénat recompose les clivages politiques. Ainsi, mardi 12 septembre, fait inouï, une douzaine d’élus du bloc présidentiel ont signé avec une vingtaine de députés de la Nupes une tribune pour appeler à la régularisation des travailleurs sans-papiers.
Pour Sacha Houlié, le président de la commission des lois, l’un des principaux artisans de ce texte avec le député écologiste Julien Bayou, il s’agit de soutenir le projet de loi du gouvernement.
Il reprend des mesures que la droite n’a jamais réussi à faire adopter et que la gauche n’a jamais eu le cran de proposer. Il s’agit d’abord d’expulser plus systématiquement les étrangers délinquants, et il s’agit également de régulariser les travailleurs dans les métiers en tension. Ce projet de loi extrêmement radical, il nous faut désormais pouvoir le faire voter et donc il faut pour cela élargir la majorité et c’est ce à quoi je m’attache avec cette tribune ce matin avec une partie de la gauche.
Sacha Houlié, député Renaissance de la Vienne et président de la commission des lois, France inter, 12 septembre 2023
Menace des Républicains
Pour la droite et l’extrême droite, il n’est pas question de voter ce projet de loi. Elles ne veulent pas entendre parler de régularisations. Et les Républicains brandissent déjà la menace.
Je n’ai pas peur de faire tomber ce gouvernement. La majorité elle-même est divisée contre elle-même. Ce texte-là, il y a toutes les chances qu’il n’ait pas de majorité. Je pense que, du coup, le gouvernement sera contraint à un 49-3 pour le faire passer.
Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée et président du groupe LR au Sénat, Sud radio, 12 septembre 2023
En cas de recours à l’article 49-3, ce sera donc une motion de censure. Une motion de censure que la gauche pourrait voter, entraînant la chute du gouvernement. À trois mois des européennes…
Pas pour déplaire à Aurélien Pradié
Ce scénario n’est pas pour déplaire au député du Lot Aurélien Pradié. Avec une vingtaine de députés LR, il avait voté la motion de censure de la Nupes au moment de la réforme des retraites. Dans les colonnes du Parisien de lundi, il avertit :
Nous avons affirmé que nous serions intraitables sur les impôts comme sur l’immigration. […] Sur de tels sujets, la motion de censure doit être très sérieusement envisagée. […] Toute collusion avec Emmanuel Macron nourrit la radicalité de Le Pen et Mélenchon.
Aurélien Pradié, Le Parisien, 11 septembre 2023
Emmanuel Macron avait envisagé ces dernières semaines d’abandonner le volet régularisations du projet de loi. Mais l’aile gauche de la macronie ne l’entend pas de cette oreille. Au sein même du gouvernement, on n’hésite pas à se démarquer.
Considérations économiques
Cette tribune je la soutiens comme citoyen parce que je pense que l’accueil, l’intégration par le travail ça fait partie des valeurs qui ont fait la France. Mais surtout, en tant que ministre de l’Industrie, je vais vous dire une chose : la réindustrialisation de la France dans les dix ans qui viennent ne se fera pas sans immigration.
Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie, France info, 12 septembre 2023
Un propos qui a le mérite de la franchise. Car la volonté de régulariser les travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension obéit davantage à des considérations économiques qu’à une préoccupation humaniste.
Le taux de chômage des étrangers qui est le double du taux de chômage des Français en France. Et quand je regarde ailleurs en Europe, le taux de chômage des étrangers est à peine un peu plus élevé que le taux de chômage national. Ça veut dire que les conditions d’accès au travail sont trop compliquées aujourd’hui. Donc moi je préfère un étranger en France, qui a vocation à rester, qui travaille et qui participe à l’activité économique de notre pays et qui paye des impôts, à un étranger qui vit de l’assistance publique.
Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, Europe 1-CNews, 12 septembre 2023
Création de travailleurs jetables
C’est justement cette logique qui rebute La France insoumise. Elle a participé aux discussions préparatoires de la tribune, mais n’a pas signé le texte. Pour Alexis Corbière, les régularisations, tels que le gouvernement les envisage, aboutiraient à la création de travailleurs jetables et au maintien des bas salaires dans certaines filières.
Je ne voudrais pas que l’immigration serve de prétexte à dire : « Il n’y a rien qui bouge dans ces boulots-là, comme il y a des gens qui sont en situation irrégulière qui sont prêts à bosser dans n’importe quelles conditions, on va les maintenir sur l’emploi. »
Alexis Corbière, député LFI de Seine-Saint-Denis, Sud Radio, 13 septembre 2023
Fabien Roussel conteste cette idée de pression à la baisse sur les salaires à travers des régularisations choisies.
Si on régularise ces travailleurs, c’est bon aussi pour les travailleurs français. Parce que c’est sur eux que pèse la pression quand des travailleurs sans-papiers sont exploités, on fait peser du coup la pression sur les travailleurs français et qui sont obligés de s’aligner sur des conditions de travail indécentes.
Fabien Roussel, député du Nord et secrétaire national du Parti communiste, France info, 14 septembre 2023
Perspective d’un référendum
Est-ce à dire qu’une partie de la Nupes pourrait soutenir le projet de loi du gouvernement ? C’est peu vraisemblable, car le texte durcit les conditions d’accueil des étrangers. La gauche peut très bien voter l’article 3 – celui qui concerne les régularisations – et rejeter l’ensemble du texte.
Pour se dégager de l’étau dans lequel il est pris, Emmanuel Macron a évoqué lors du conclave de Saint-Denis la perspective d’un référendum. Gérald Darmanin, l’artisan du projet de loi avec Olivier Dussopt, le ministre du Travail, s’y montre très favorable.
Le citoyen Gérald Darmanin est favorable à la consultation du peuple en général, et sur l’immigration bien sûr.
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, France 2, 11 septembre 2023
Réviser la Constitution
Mais en l’état, la Constitution ne permet pas que les Français soient consultés sur l’immigration comme le réclament le Rassemblement national et Les Républicains. Il faut donc réviser la Constitution pour élargir le champ du référendum. Et cette révision pourrait faire l’objet d’un premier référendum.
En 1984, François Mitterrand, enlisé dans la réforme de l’enseignement privé, avait recouru à ce stratagème. Il l’avait même proposé devant les caméras. Si la droite avait accepté, elle se serait retrouvée prise à son propre piège. En effet, en proposant de soumettre à référendum l’élargissement du référendum, François Mitterrand était sûr de se tailler un beau succès.
Du coup, le Sénat de l’époque, déjà à droite, a bloqué la révision constitutionnelle. Et François Mitterrand a jeté aux oubliettes l’idée d’un grand service public unifié et laïque de l’éducation nationale. Une de ses principales promesses, pourtant. Avec Emmanuel Macron, on est tranquille de ce côté-là. Si les promesses l’embarrassaient, ça se saurait depuis le temps.