Les mots ont-ils encore un sens ? Depuis quelques jours, la droite, l’extrême droite et le bloc présidentiel se sont lancés dans une course à l’amalgame. Tout discernement semble avoir disparu des actes et des propos. Prenons la dissolution des Soulèvements de la Terre. Mercredi 21 juin, Olivier Véran annonçait la dissolution de ce mouvement qui fédère des dizaines d’associations et de collectifs : la Confédération paysanne, Les Amis de la Terre, Attac ou encore Extinction Rebellion.
Le ministre de l’Intérieur a présenté un décret qui propose la dissolution du groupement des Soulèvements de la Terre. Ce n’est pas la liberté d’expression ni la liberté de manifestation qui est en question. Ce n’est pas davantage des idées qui sont sanctionnées, c’est le recours répété à la violence contre des biens, contre des personnes, qui a été renouvelé à plusieurs occasions ces dernières semaines. Défendre ses idées, sensibiliser, se mobiliser pour changer la loi, oui, mais dans le respect de l’État de droit. Pas en sabotant, pas en dégradant, pas en appelant, voire en organisant la violence. Le recours à la violence n’est pas légitime dans un État de droit et c’est bien cela qui est sanctionné.
Olivier Véran, ministre délégué et porte-parole du gouvernement, Palais de l’Élysée, 21 juin 2023
Rassemblements
Mercredi soir, dans une centaine de villes, des rassemblements se sont tenus pour protester contre la dissolution, comme ici, à Paris. Le gouvernement s’appuie sur l’article 212-1 du code de la sécurité intérieure. Celui-ci prévoit la dissolution des associations ou des groupes « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». Cette disposition a été introduite en 2021 par la loi contre le séparatisme. À l’origine, celle-ci visait l’islam radical. Pour la première fois, elle est appliquée contre une mouvance écologiste.
Le processus de dissolution a été enclenché après les affrontements qui ont accompagné le 26 mars les manifestations contre la bassine de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres. Le décret du ministère de l’Intérieur en date du 21 juin indique que : « Sous couvert de défendre la préservation de l’environnement », le groupement des Soulèvements de la Terre « incite à la commission de sabotages et dégradations matérielles, y compris par la violence ».
Dégradation d’un site Lafarge
À l’appui de cette affirmation, outre Sainte-Soline, le texte cite une vingtaine d’actions dont la dégradation d’un site du cimentier Lafarge dans les Bouches-du-Rhône. Et bien sûr, les incidents qui ont émaillé la manifestation de samedi 17 juin contre la liaison ferroviaire Lyon-Turin dans la vallée de la Maurienne. Des affrontements dénoncés par Gérald Darmanin, mardi 20 juin, à l’Assemblée.
Je voudrais rappeler que cette manifestation était interdite, confirmé à deux reprises par la justice de notre pays, que malgré cette manifestation interdite, 2 000 à 3 000 personnes, dont malheureusement des élus de la République, ont bravé cette interdiction, ne respectant ni le droit ni la décision des choses jugées et que le travail fait par les policiers et les gendarmes ont permis 350 contrôles d’armes et d’armes de poing qui pouvaient blesser voire tuer les policiers et les gendarmes. Grâce au travail de nos services de renseignement et grâce aux autorités italiennes que je voudrais ici remercier, une centaine d’éléments radicaux venus d’Italie ont pu être bloqués à la frontière et malgré cela, malheureusement, deux jours d’affrontements, une autoroute occupée, une voie ferrée coupée, et de nombreux personnels des services publics qui sont effectivement devant la haine et la violence. Alors oui, à la demande du président de la République et de la Première ministre, demain matin je présenterai au conseil des ministres le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre.
Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, Assemblée nationale, 20 juin 2023
Pas de distinction
Un récit que conteste Cyrielle Chatelain.
Est-ce que la majorité des gens présents étaient pacifistes ? Oui. Est-ce qu’il y a eu des débordements ? Est-ce qu’il y avait une faible minorité qui effectivement a pu avoir un comportement qu’on considère comme violent ? Oui. Est-ce que les écologistes le condamne ? Évidemment. On l’a toujours condamné, nous l’avons dit : nous notre action c’est une action de désobéissance civile, c’est-à-dire oui désobéir mais toujours à visage découvert et sans violence. On a des leaders qui sont à visage découvert, qui font des rassemblements. Après on peut avoir des composantes à l’intérieur de ces cortèges qui ne sont pas des Soulèvements de la Terre, qui viennent s’agglomérer et qui peuvent aller après créer des heurts. Mais c’est bien deux choses différentes.
Cyrielle Chatelain, députée de l’Isère et présidente du groupe parlementaire écologiste-Nupes, Assemblée nationale, 20 juin 2023
Mais Gérald Darmanin ne fait pas la distinction entre éléments violents et manifestants pacifiques. C’est à la sous-direction antiterroriste qu’il a confié le soin de mener l’enquête sur l’action contre le cimentier Lafarge. Cette unité de police a interpellé mardi quatorze militants qui ont été placés en garde à vue. Au début du mois, une quinzaine de personnes avaient déjà été interpellées dans le cadre de cette enquête. Elles ont été remises en liberté sans suites judiciaires.
Stratégie de l’amalgame
Sandrine Rousseau dénonce cette stratégie de l’amalgame. Au passage, regardez bien son collier. Il y a écrit « Darmanin, démission ». Un cadeau d’une militante féministe, nous a-t-elle confié.
Quand on parle d’antiterrorisme et de terrorisme on parle de personnes qui sont rentrées dans le Bataclan avec des fusils pour tuer le plus de monde possible. On parle de personnes qui ont tué des gens sur des terrasses de café. Là dans le cadre des Soulèvements de la Terre, on parle de personnes qui défendent la nature. Il y a eu des violences lors de rassemblements. Olivier Véran parle de « caillassages de forces de l’ordre », je condamne absolument le caillassage des forces de l’ordre mais ça n’est pas de même nature que de rentrer dans une salle de concert et de tuer le plus de monde possible. Et en fait là on est en train de faire une forme d’assimilation, on est en train de faire de la confusion dans le début public.
Sandrine Rousseau, députée écologiste-Nupes de Paris, Assemblée nationale, 20 juin 2023
Soutien à Daech
Dans le cas précis de Lafarge, le recours à des spécialistes de l’antiterrorisme pour identifier les activistes à des allures de provocation. C’est ce qu’a souligné hier Mathilde Panot.
Et vous noterez que dans les actions qui sont menées contre les militants écologistes aujourd’hui, pour beaucoup on leur reproche une action contre Lafarge, une action de désobéissance contre Lafarge. Donc les terroristes aujourd’hui, pour la Macronie, ce n’est pas Lafarge qui a été, je le rappelle, condamné pour avoir financé du terrorisme, c’est-à-dire Daech. Ce sont des militants écologistes qui, ô crime de lèse-majesté, vont remplacer du muguet par du sarrasin bio, vont couper des bâches avec des cutters de méga-bassines qui elles sont illégales et qui ont été prouvées comme illégales pour permettre à l’eau de pouvoir s’infiltrer comme ils l’ont fait en Charente-Maritime. Bref ce sont ceux qui aujourd’hui sont en fait des lanceurs d’alerte.
Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et présidente du groupe LFI-Nupes, Assemblée nationale, 21 juin 2023
En octobre 2022, le groupe cimentier, aujourd’hui contrôlé par le suisse Holcim, a accepté de payer une amende de 778 millions de dollars aux États-Unis. Cette amende sanctionnait son soutien à Daech entre 2013 et 2014 en échange du maintien de ses activités dans les territoires contrôlés par l’État islamique. En France, pour les mêmes faits, l’entreprise reste poursuivie pour « complicité de crimes contre l’humanité ». Les autorités françaises estiment que le cimentier aurait versé de 5 à 10 millions d’euros aux terroristes islamistes pour continuer ses activités.
Abus de droit
Cette confusion volontaire du ministre de l’Intérieur entre activisme et terrorisme ouvre la porte à tous les abus de droit.
Quand on dissout une association, c’est en général parce que, comme l’extrême droite par exemple ou des néonazis, ils veulent s’en prendre à l’essence même de nos institutions. Ce n’est pas du tout le cas des Soulèvements de la Terre qui d’ailleurs n’appellent pas forcément à la violence. Il peut y avoir des violences, que je condamne, et des blessés tant parmi les manifestants que parmi les policiers, ce n’est pas l’objet même de la manifestation. Il y a un grave problème si ce gouvernement se met à dissoudre toutes les associations qui ne lui plaisent pas. Je crois qu’il faut vraiment qu’on mesure ce que ça veut dire la liberté d’association. En dehors de la liberté d’association, vous n’avez pas de pratique de la religion, vous n’avez pas de pratique du syndicalisme, vous n’avez pas de pratique démocratique. Il n’y a que les tyrans qui n’ont pas besoin de la liberté d’association.
Julien Bayou, député écologiste-Nupes de Paris, Assemblée nationale, 20 juin 2023
Julien Bayou met le doigt sur une vraie menace. Demain, le pouvoir pourrait prononcer la dissolution des syndicats en prenant prétexte des violences qui accompagnent les manifestations organisées par ces derniers. Toutefois, le gouvernement n’a pas le monopole de l’amalgame.
Festival d’outrances
L’agression, lundi 19 juin, à Bordeaux, d’une septuagénaire et de sa petite-fille de 7 ans a donné lieu à un festival d’outrances et d’approximations. La vidéo de la scène a abondamment circulé sur les réseaux sociaux. Elle est révoltante. Marine Le Pen s’est empressée de réagir.
Nous avons été, je crois, tous très choqués par les images de cette agression à Bordeaux, parce que elles sont en quelque sorte symboliques de la délinquance que subissent nos concitoyens aujourd’hui, gratuite, imprévisible, de plus en plus violente.
Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe parlementaire RN, Assemblée nationale, 20 juin 2023
Que proposez-vous, lui demandent les journalistes ? Réponse :
D’abord je propose de régler drastiquement le problème de l’immigration massive car tout à fait évidemment, et vous le savez, je fais un lien entre l’immigration anarchique et l’explosion de l’insécurité. Il suffit de lire vos collègues de la presse régionale pour prendre conscience qu’il y a une part très importante de cette insécurité de rue qui est directement le fait de cette immigration anarchique.
Marine Le Pen, Assemblée nationale, 20 juin 2023
« La cible était les migrants »
À cet instant, plusieurs confrères font remarquer à la présidente du groupe parlementaire que l’agresseur est un Français né en France. Souffrant de schizophrénie, il a été condamné à une quinzaine de reprises pour de petites infractions. Mais il en faut plus pour désarçonner l’ancienne et future candidate à l’élection présidentielle.
Ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est que la délinquance, l’aggravation de la délinquance porte en elle une raison qui est dirimante, qui est l’explosion de l’immigration anarchique. Je pense que tous les chiffres aujourd’hui, les chiffres ne sont même plus contestés d’ailleurs par les uns et par les autres, même le président de la République a fini par admettre qu’il existait un lien entre les deux.
Marine Le Pen, Assemblée nationale, 20 juin 2023
Ce n’est pas le sujet, dit Marine Le Pen. Eh bien si, justement…
Là je vois bien que la cible était les migrants. Manque de bol, si j’ose dire, il n’est pas migrant. C’est un Français né en France. Ensuite on se rabat sur la question de la récidive, etc. Donc maintenant regardons s’il y a des antécédents, de quelle nature ils sont, si on pouvait anticiper d’éventuelles agressions de cette nature. Est-ce qu’il avait un suivi psychiatrique ? Est-ce qu’il l’a effectivement interrompu ? C’est l’enquête qui le dira, et il doit être jugé comme n’importe lequel d’entre nous. Si vous, qui êtes blanche de peau, étiez demain à commettre les mêmes faits vous devriez être incriminée de la même façon. Nous n’avons pas à juger les gens en fonction de leur couleur de peau mais exclusivement en fonction des faits qu’ils commettent et ceux-là sont d’une gravité insupportable, incroyable, et donc il doit être évidemment jugé et condamné pour ce qu’il a fait. Quel est l’intérêt de créer un climat de psychose et de laisser penser que derrière chaque personne notamment noire de peau il y aurait un agresseur en puissance ? Si c’est ça l’effet recherché, il est détestable. Et j’admire la dignité de cette famille qui a demandé expressément à ce qu’on n’utilise pas cette vidéo pour des raisons qui sont liées à la défense de leur vie privée mais aussi qu’on refuse toute généralisation raciste. Ça c’est exemplaire.
Olivier Faure, député de Seine-et-Marne et secrétaire national du Parti socialiste, Assemblée nationale, 20 juin 2023
Sherlock Holmes du Palais Bourbon
Heureusement, Éric Ciotti est là pour nous éclairer. C’est le Sherlock Holmes du Palais Bourbon. La pipe et la casquette en moins. Pour suivre son raisonnement, il faut se souvenir que le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, est un écologiste. Et maintenant, accrochez vos ceintures…
Les mairies d’extrême gauche quelque part légitiment une forme de violence dans leur discours, dans les attaques répétées qu’ils font à l’encontre des policiers. Il n’y a pas naturellement une responsabilité dans cette affaire directe mais leur attitude, leur discours, la violence qu’ils ont installé dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, la violence qu’ils portent dans les manifestations, quelque part banalisent le recours à la force et les attaques qu’ils font porter contre nos forces de l’ordre, là aussi créent ce climat. Donc oui il y a une extrême gauche qui aujourd’hui crée un climat de violence dans le pays.
Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes et président du parti Les Républicains, Assemblée nationale, 20 juin 2023
Là, on atteint des sommets dans le n’importe quoi. Une municipalité écologiste devient ainsi une mairie d’extrême gauche. Manque de bol pour le patron des Républicains, l’extrême gauche, incarnée à Bordeaux par Philippe Poutou, est dans l’opposition municipale. Toujours selon Éric Ciotti, ce serait la violence verbale dans l’hémicycle qui créerait par contagion un climat de violence à Bordeaux.
Loin d’être l’élu anti flic
S’il est exact que la délinquance progresse dans la ville, ce phénomène est antérieur à l’élection du maire écologiste. Au point que celui-ci réclamait pendant sa campagne plus de bleu dans la rue. Le bleu désignant la couleur des uniformes de la police. Les éclats de voix du Palais Bourbon ou les débordements dans les manifestations contre la réforme des retraites ne sont pour rien, par conséquent, dans la recrudescence de la délinquance.
Enfin, on ajoutera que Pierre Hurmic avait annoncé quelques jours avant l’agression de la septuagénaire et de sa petite fille, que la municipalité allait signer avec l’État un contrat de sécurité intégrée. Ce dispositif est destiné à harmoniser l’action des polices municipales et nationales. Ce qui démontre, a minima, que Pierre Hurmic est très loin d’être l’élu anti flic que pourfend Éric Ciotti. Cette entreprise de brouillage menée par le bloc présidentiel, la droite et l’extrême droite fait monter les tensions. Avec l’objectif plus ou moins avoué de pousser l’opinion à accepter des solutions autoritaires, au détriment de l’État de droit, bien sûr.