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François Bayrou fixe un ultimatum à l’Algérie

Le Premier ministre François Bayrou, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau et la ministre de l’Éducation nationale Elisabeth Borne, le 26/02/2025 ©Matignon

Que se passera-t-il dans six semaines ? En fixant un ultimatum qui ne dit pas son nom à l’Algérie, François Bayrou a enclenché le compte à rebours d’une possible rupture définitive.

La France va demander au gouvernement algérien que soit réexaminée la totalité des accords et la manière dont ces accords sont exécutés. Nous allons faire cette démarche en donnant un mois, six semaines, pour que nous puissions les réexaminer. Et pendant ce temps va être présenté au gouvernement algérien une liste, j’allais dire d’urgence, de personnes qui doivent pouvoir retourner dans leur pays et que nous considérons comme particulièrement sensibles de ce point de vue-là.

Nous pensons, nous voulons qu’on trouve des voies pour que, enfin, les accords soient respectés et que la réadmission puisse être possible. Si ça n’était pas le cas, le gouvernement français considèrerait que les avantages particuliers qui sont consentis aux termes de ces accords devront être remis en cause. Et au bout du chemin, ce sont ces accords qui seront remis en cause. Les refus de réadmission sont une atteinte directe aux accords que nous avons avec les autorités algériennes et nous ne l’accepterons pas.

François Bayrou, Premier ministre, le 26/02/2025

Un accord qui a des allures de coquille vide

Que prévoit l’accord de 1968 ? Il faut d’abord préciser qu’il a déjà été révisé à trois reprises : en 1985, 1994 et 2001. Aujourd’hui, cet accord a des allures de coquille vide. Concrètement, les Algériens n’ont pas de carte de séjour, mais un certificat de résidence pour Algérien. 615 000 de ces certificats ont été délivrés en 2023. Les Algériens séjournant régulièrement sur le territoire national sont libres d’ouvrir un commerce ou d’exercer une profession indépendante. Ils peuvent obtenir un titre de séjour de 10 ans au terme de trois ans de présence contre 5 pour la plupart des étrangers hors Union européenne.

Enfin, les membres de leur famille peuvent solliciter ce même titre de séjour décennal si le parent qu’ils rejoignent en bénéficie déjà. Le Premier ministre subordonne le maintien de cet accord à l’acceptation par l’Algérie d’accueillir une liste de ses ressortissants sous le coup d’une OQTF, une obligation de quitter le territoire français. En 2024, les autorités algériennes n’ont satisfait que 42 % des 5000 demandes françaises de laissez-passer consulaire, le titre de transport qui permet de débarquer des avions les personnes expulsées.

Il serait bien étonnant que les exigences françaises soient satisfaites. Au moment même où François Bayrou s’exprimait, le Conseil de la nation, autrement dit le Sénat algérien, annonçait la suspension de ses relations avec le Sénat Français. Motif : la visite effectuée les 24 et 25 février par Gérard Larcher, le président du Sénat français, à Laâyoune, une ville du Sahara occidental. Cette zone désertique est revendiquée par les indépendantistes du Front polisario que soutient l’Algérie.

Après s’être assuré que les fauteuils locaux étaient aussi confortables que celui qui a été fabriqué pour lui à Paris, le troisième personnage de l’État s’est exprimé sur le sens de sa visite.

Nous allons, à l’invitation du président de la Chambre des conseiller,s nous retrouver à Laâyoune. C’est un symbole. Symbole de l’avenir de cette partie des provinces sud, je reprends le terme du président de la République, il avait parlé du Sahara occidental, ne pouvait, j’allais dire se construire et s’inscrire, que dans le cadre d’une souveraineté du Maroc.

Gérard Larcher, sénateur LR et président du Sénat, le 24/02/2025

La souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental

En juillet 2024, la France a reconnu la souveraineté du Maroc sur ce territoire. Depuis, les relations avec l’Algérie n’ont cessé de se dégrader. La réaction à la visite de Gérard Larcher le montre, les autorités algériennes ne sont pas enclines à la conciliation. Loin de les faire fléchir, la dénonciation des accords de 1968 par la France entraînerait des mesures de rétorsion.

Justement, un rapport du Sénat, en date du 5 février, examine cette hypothèse. Et il a le mérite de la franchise : « Une telle dénonciation revêtirait probablement l’effet d’une déflagration. Elle exposerait la France à de multiples mesures de rétorsion de la part de l’État algérien, lequel pourrait probablement arguer du soutien de sa population ». Première conséquence, le rapatriement des ressortissants algériens vers leur pays d’origine serait stoppé. « Il est ainsi plus que probable que plus aucun laissez-passer consulaire ne soit temporairement délivré. »

Autrement dit, le premier résultat d’une dénonciation des accords aboutirait au résultat inverse de celui recherché. Ce qui n’est pas spécialement finaud, on en conviendra. Mais il ne s’agirait-là que d’un hors-d’œuvre selon les sénateurs qui ont rédigé le rapport : « Il est ainsi probable que l’accès au marché algérien soit réduit pour les exportateurs français. Au niveau stratégique, la coopération sécuritaire franco-algérienne pâtirait sans doute très fortement de cette dégradation des relations diplomatiques, en particulier s’agissant du suivi de la situation au Sahel ».

La France serait donc perdante sur le plan économique et sur les questions touchant à sa sécurité : lutte contre le terrorisme, les réseaux criminels et les filières d’immigration clandestine. Un franc succès diplomatique.

Ce tableau semble donner raison à Éric Coquerel qui dénonce le bras de fer dans lequel s’est engagé le gouvernement.

Moi je pense que ce qui est en train de faire la France vis-à-vis de l’Algérie c’est une bêtise rare et une faute historique. Il y a, si je ne me trompe pas, 900 000 Franco-algériens. Avec leur descendance ça doit faire 6 millions de personnes si on va jusqu’aux petits-enfants.

Notre histoire est profondément liée. Nos intérêts historiques, nos intérêts économiques, nos intérêts, j’allais dire presque en tant que nation, c’est d’avoir des bonnes relations avec l’Algérie.

Éric Coquerel, député LFI et président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, le 26/02/2025

Qu’à cela ne tienne, répondent en substance les deux auteurs du rapport. Il suffit de dénoncer l’accord du 16 décembre 2013. Celui-là est beaucoup moins connu. Il permet aux Algériens détenteurs d’un passeport diplomatique ou d’un passeport de service d’être dispensés de visas. Plusieurs milliers de personnes sont concernées. Dénoncer cet accord présente un avantage certain pour Gérald Darmanin. Il permet de cibler la nomenklatura du régime plutôt que la population algérienne.

Toucher les dirigeants ou la plupart des dirigeants algériens qui ont la position de décision d’humiliation comme l’a évoqué le ministre de l’Intérieur. Ça me parait plus intelligent.

Gérald Darmanin, ministre de la Justice, le 13/01/2025

Surmonter la crise

La crise actuelle entre la France et l’Algérie a un précédent. En 2022, l’Algérie a suspendu la plupart de ses relations avec l’Espagne après que ce pays a soutenu les revendications marocaines sur le Sahara occidental. L’ambassadeur algérien à Madrid a été rappelé. Ce n’est qu’en octobre 2024 que les contacts ont repris.

Il y a quelques jours, le ministre de l’Intérieur, Brahim Merad, s’est rendu à Madrid pour rencontrer son homologue, Fernando Grande-Marlaska. Celui-ci a déclaré que : “L’Algérie est le partenaire principal de l’Espagne en matière de coopération sécuritaire et de gestion de la migration”. On s’en doute, les diplomates se sont activés dans les mois précédents cette rencontre. Résultat, les échanges commerciaux ont repris et les relations entre les deux pays ont retrouvé leur niveau d’avant la rupture.

Cependant, il sera plus difficile de surmonter la crise actuelle avec la France. Car ce matin, par la bouche de Sophie Primas, la porte-parole du gouvernement, les demandes françaises ont franchi un cran supplémentaire.

Ce que nous demandons à l’Algérie c’est effectivement de respecter ces accords, de libérer notre écrivain franco-algérien et de revenir dans des considérations qui respectent les accords et l’équilibre de ces accords.

Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, le 27/02/2025

Il n’est pas sûr qu’inclure la libération de l’écrivain Boualem Sansal dans la renégociation des accords de 1968 soit le meilleur service à rendre à ce dernier. Car désormais son sort est lié à une normalisation des relations entre Paris et Alger. Une issue qui reste pour l’instant lointaine. Le 8 mai 2025, la France célèbrera la fin de la seconde guerre mondiale. Et l’Algérie commémorera le quatre-vingtième anniversaire des massacres de Sétif.

La répression du premier soulèvement nationaliste algérien par l’armée française s’est soldée par des milliers de morts. Entre 5 000 et 30 000 selon les historiens. Les dirigeants algériens ne manqueront pas de mettre le souvenir de cette répression au service de leur différend actuel avec la France. Il serait peut-être habile de calmer le jeu avant cette commémoration.

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