Les militaires appellent ça un tir de saturation. Il s’agit de faire feu avec toutes les armes disponibles pour empêcher l’adversaire de quitter sa tranchée. C’est très exactement ce qu’Emmanuel Macron s’apprête à faire dans l’espace médiatique. Pendant trois jours, on ne verra et on n’entendra que lui. Ce sont les commémorations du 6 juin 1944 qui vont servir de prétexte à ce détournement. Derrière l’indispensable devoir de mémoire s’amorce une opération de racolage électoral digne d’une république bananière. Jugez plutôt. Le show présidentiel commence dès ce mercredi avec une cérémonie en hommage aux maquisards et aux SAS dans le Morbihan. Jeudi, le chef de l’État sera en Normandie. Le matin avec Charles III. L’après-midi avec Joe Biden.
À 15 heures, Emmanuel Macron se rendra sur la plage d’Omaha Beach, à Saint-Laurent sur mer, en compagnie de 25 chefs d’État et de gouvernement. Dont Volodymyr Zelensky. Et à 20 heures, depuis Caen, son altesse s’exprimera en direct sur TF1 et France 2. Au menu de l’entretien : les élections européennes et la situation en Ukraine et à Gaza. Eh oui, on mélange tout. Tel est le bon plaisir du roi. Et ce n’est pas fini. Pour ceux qui auront survécu à ce matraquage cathodique, le président remettra ça le lendemain en présidant une cérémonie “sur le retour de la souveraineté républicaine et de l’autorité de l’État ».
Emmanuel Macron à Cherbourg
Enfin, pour clôturer sa tournée, Emmanuel Macron se rendra à Cherbourg. Il devrait saluer l’importance de ce port. Ce sont là autant d’occasions de distiller vraies et fausses confidences aux journalistes. Et surtout d’éclipser les dernières réunions électorales. Car la campagne se termine officiellement vendredi à minuit. Quant à la trame de l’entretien de jeudi soir, aucun suspense. Emmanuel Macron ne manquera pas de faire un parallèle entre la Seconde Guerre mondiale et les guerres d’aujourd’hui. En se donnant naturellement le beau rôle. Le fantôme du général De Gaulle n’a qu’à bien se tenir… Bien sûr, la manœuvre fait bondir les oppositions.
Olivier Faure : “Donc jeudi, vendredi et samedi, ce sera “Fidel Macron” sur toutes les chaînes pour commémorer et s’exprimer sans contradicteur à 20 heures, bref pour faire campagne à un moment où plus personne ne pourra lui répondre.”
Éric Ciotti : “Emmanuel Macron s’exprimera jeudi sur « l’actualité internationale » dans les journaux de 20 heures de TF1 et France 2. À trois jours des Européennes ! L’opposition doit avoir le même temps de parole. Nous saisissons l’Arcom.”
Vous trouvez que le président abuse ? Attendez voir le Premier ministre. Ce lundi matin, en toute décontraction, Gabriel Attal a fait irruption dans un studio de Franceinfo où la tête de liste Renaissance était interrogée.
Emmanuel Macron et Gabriel Attal occupent l’espace médiatique
François Xavier Bellamy, la tête de liste des LR, était interrogé juste après. Il a remis les pendules à l’heure.
Vous avez le Premier ministre qui est dans le couloir, qui dit “j’ai envie de passer à la radio sur le service public, allez hop j’arrive”. C’est comme ça que ça se passe ? Il était invité du 8h30 Franceinfo, de 8h30 à 9h00. Du coup il peut s’inviter dans toutes les émissions de la Maison de la radio en temps réel comme il veut. Demain il pousse la porte de France Inter, il va derrière le micro. Comme le président de la République jeudi, il dit : “Voilà j’ai envie de parler jeudi, 24 heures avant la fin de la campagne officielle, je prends tous les journaux télévisés”.
François-Xavier Bellamy, tête de liste LR pour les élections européennes, le 3/06/2024
Si Emmanuel Macron et Gabriel Attal s’affranchissent de tout respect des règles de la campagne, c’est parce que le soldat Valérie Hayer est en fâcheuse posture. Au vu des sondages, elle pourrait terminer en troisième position, derrière la liste socialiste. Il faut convenir qu’elle est en peu lente à la détente.
C’est le moment où tout commence, en fait, on est les uns et les autres en campagne depuis des semaines et des mois maintenant. C’est le moment où les Français commencent véritablement à s’intéresser à l’élection européenne. Et donc c’est le moment où on martèle encore plus fort aux Français que cette élection est importante, qu’elle est historique.
Valérie Hayer, tête de liste Renaissance pour les élections européennes, le 2/06/2024
Eurêka ! Si la candidate Renaissance rame dans les sondages, c’est parce que les Français ne s’intéressaient pas à la campagne. En réalité, rien n’est joué. Les enquêtes d’opinion concordent toutes sur un point : l’extrême versatilité de l’électorat. Nombre d’électeurs hésitent encore ou pourraient changer d’avis au dernier moment dans l’isoloir. Surtout, c’est du côté des jeunes que ça pourrait bouger.
La jeunesse est un formidable réservoir de voix
Une récente étude de l’IPSOS pour Brut et Franceinfo montre que 11% des 18-29 ans sont “presque certains d’aller voter”. Autrement dit, il y a là un formidable réservoir de voix. Voilà pourquoi Gabriel Attal tenait tant à saluer la jeunesse dans le studio de Franceinfo. Il n’est pas le seul à lorgner dans cette direction. Depuis quelques jours, on se bouscule au portillon.
Je lance un appel aux jeunesses françaises. Je regarde les sondages et je vois le risque de l’abstention. Ne laissez personne décider de votre avenir à votre place. Emparez-vous de ces élections pour vous faire entendre.
Raphaël Glucksmann, tête de liste PS pour les élections européennes, le 1/06/2024
Je veux dire à la jeunesse de ce pays que nous lançons aujourd’hui, nous leur lançons un grand appel. Cette jeunesse pleine d’espoir mais aussi pleine d’inquiétude. Cette jeunesse qui se mobilise pour le climat, pour Gaza, pour ses droits. Cette jeunesse qui en 2022 avait choisi son président de la République, Jean-Luc Mélenchon et le programme de l’Avenir en commun.
Manon Aubry, tête de liste LFI pour les élections européennes, le 1/06/2024
Je vois beaucoup de jeunes dans la salle. Je dis aux jeunes : allez voter ! Si la jeunesse vote, la jeunesse gagne !
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 2/06/2024
Pour Marine Le Pen et Jordan Bardella, l’enjeu est d’assécher la liste de Marion Maréchal. Avec le secret espoir qu’elle passe en dessous de 5 % et qu’elle n’obtienne pas d’élus. Du côté de Manon Aubry, il s’agit surtout de faire décoller la liste de l’Union populaire. Les précédents scrutins montrent que les insoumis réalisent leurs meilleurs scores chez les jeunes.
Démarcation à gauche
Enfin, Raphaël Glucksmann espère qu’il va trouver dans la jeunesse les deux points qui lui permettraient de faire jeu égal avec Valérie Hayer, voire de la dépasser. Mais pour les candidats de gauche, ces plans sur la comète pourraient être contrariés par la dynamique de division qui s’est installée. Il y a quelques jours, à Paris, Raphaël Glucksmann a clairement indiqué que son chemin et celui de Jean-Luc Mélenchon se séparaient.
Notre gauche, celle que nous sommes en train de reconstruire, ce ne sera jamais, écoutez, ce ne sera jamais la gauche des insultes, des analogies dangereuses, de la démagogie, de l’instrument cynique des passions les plus basses ou des clins d’œil les plus répugnants. Nous, contrairement à ceux qui se prennent pour Jupiter ou pour Robespierre, nous ne prétendons pas tout savoir ni tout régler car nous savons, nous savons que nous ne savons pas tout.
Raphaël Glucksmann, tête de liste PS pour les élections européennes, le 30/05/2024
Depuis Toulouse, la figure tutélaire des insoumis lui a répondu.
J’ai vu que monsieur Glucksmann a dit que la gauche qu’il fondait, parce qu’il va la fonder, on l’a attendu hein, on ne savait pas quoi faire, on était là à toupiner en rond, ah ouf le voilà ! Il dit qu’elle ne sera ni Jupiter ni Robespierre. Alors que Jupiter fasse ce qu’il lui semble bon, ce n’est pas notre affaire. Mais Robespierre, comme dirait Jean Ferrat, eh bien la France elle répond toujours du nom de Robespierre. Et c’est Clémenceau, que pour une fois je citerai, qui a eu la bonne formule en disant : “On ne trie pas dans la révolution, c’est un bloc, c’est un tout, on prend le tout”. Oui, nous prenons le tout !
Jean-Luc Mélenchon, co-président de l’Institut La Boétie, le 1/06/2024
Du coup dimanche, Raphaël Glucksmann en a remis une couche.
C’est très important surtout de savoir qu’on a fixé désormais des règles et un cap et que moi je serai le gardien du fait qu’on n’en déroge pas. On n’en dérogera pas. Et moi je m’adresse ensuite, vous savez dans nos réunions publiques il y a des électrices et des électeurs qui ont voté Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles et qui sont pétrifiés par la stratégie du bruit et de la fureur permanent. Donc ça veut dire que la France insoumise, vous ne travaillerez pas avec eux. Moi ce que je dis c’est qu’on va fixer un cap clair. Les gens qui se reconnaîtront dans ce cap viendront et ce sera en rupture totale avec ce que fait la France insoumise aujourd’hui.
Raphaël Glucksmann, député européen et tête de liste PS pour les élections européennes, le 2/06/2024
Ces aimables échanges n’aideront pas à ce que les jeunes se déplacent pour voter. C’est d’ailleurs le paradoxe de cette élection. Alors que l’extrême droite s’apprête à réaliser un score historique, la gauche se déchire pour le leadership d’un bloc qui ne dépasse pas 30 %. Chacun prétendant, bien sûr, excommunier l’autre du champ de la gauche ou de la République.