
Bruno Retailleau serait-il devenu Premier ministre sans qu’on y prenne garde ? On pourrait le croire, en l’entendant s’exprimer après l’attentat terroriste de Mulhouse. Un ressortissant algérien sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français a attaqué plusieurs personnes à coups de couteau. Un ressortissant portugais qui tentait courageusement de s’interposer a été tué tandis que trois policiers municipaux ont été blessés. A 10 reprises l’Algérie avait refusé de reprendre l’auteur des faits.
La France a tendu la main, quelles que soient les plaies parfois vives de l’histoire, aucun pays, aucun pays, quelle que soit l’histoire qui peut nous séparer, n’a un droit de tirage pour humilier la France. Je suis partisan, puisque la méthode douce a été utilisée, avec l’Algérie, de poser un rapport de force.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, le 22/02/2025
Bruno Retailleau se sent pousser des ailes
Que le ministre de l’Intérieur considère qu’il faille entrer dans une épreuve de force avec l’Algérie, pourquoi pas. Mais il n’est pas dans son rôle de l’exprimer publiquement. Il n’est ni ministre des affaires étrangères, ni locataire de Matignon. Seuls Jean-Noël Barrot ou François Bayrou ont vocation à porter la parole de la France. Avec le président de la République, bien sûr. Certes, on a bien compris que Bruno Retailleau était en campagne pour la présidence des Républicains. Et qu’il avait décidé de profiter de la moindre fenêtre médiatique. D’autant que ce gouvernement n’a rien d’éternel.
Mais même la transgression a des limites. Comme il fallait s’y attendre, la cacophonie n’a pas tardé à s’installer dans les rangs du gouvernement.
Ce n’était pas une méthode douce, c’est la méthode exigeante qui tient compte du fait que lorsqu’on agit de manière unilatérale, et d’ailleurs Bruno Retailleau le dit lui-même, lorsqu’on agit de manière unilatérale, qu’on dit : “J’arrête les visas pour un pays donné” eh bien ça ne fonctionne pas. Pourquoi ? Parce qu’en fait on est contournés. Les pays en question se tournent vers d’autres pays européens.
Jean-Noël Barrot, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, le 23/02/2025
Au cours de cet entretien, Jean-Noël Barrot a fait remarquer que les restrictions sur la délivrance des visas étaient contre-productives. En 2020, la France avait commencé à fermer le robinet. Cette année-là, 800 ressortissants algériens ont été renvoyés dans leur pays. En 2022, Paris signe un accord de coopération avec Alger. Le nombre de reconduites à la frontière triple aussitôt. La diplomatie se révèle donc plus payante que le bras de fer sur les visas. Dimanche, Dominique de Villepin a tenu le même discours.
Bruno Retailleau veut croire que le rapport de force va tout arranger. Si c’était vrai, ça se saurait. Nous l’avons essayé avec de nombreux pays, nous et les Européens, dans le passé. Nous savons que dans ces situations de crise, loin de débloquer, cela, au contraire, conduit à une impasse encore plus grande.
Dominique de Villepin, ancien Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères, le 23/02/2025
Amateurisme
Villepin a été jusqu’à dénoncer une “forme d’amateurisme” dans la propension du ministre de l’Intérieur à se répandre ainsi dans les médias. Il n’est pas sûr que l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac soit beaucoup plus sobre en la matière. Mais bon, il n’a plus de charge officielle. Puisque tout le monde cause, la porte-parole du gouvernement s’est sentie autorisée à nous faire part de son éminent point de vue sur la rétention des individus.
On a envisagé plusieurs fois des mesures de sûreté, de rétentions de sûreté qui ont été à chaque fois retoquées par le Conseil constitutionnel au nom de la liberté individuelle des uns et des autres de se déplacer. Il faut donc trouver une solution qui soit compatible avec notre droit constitutionnel. C’est très compliqué dans la réalité. Je pense qu’il faut réfléchir à changer la loi.
Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, le 24/02/2025
A l’appui de son propos, l’ancienne sénatrice a cité une proposition de loi examinée au Sénat. La rétention peut aller aujourd’hui jusqu’à 90 jours. En cas d’infraction sexuelle ou violente grave, ou en lien avec le crime organisé, la durée de la rétention serait portée à 120 jours, voire 210 jours. Ce qu’autorisent déjà les dispositions antiterroristes.
Fort bien. Mais cela ne règle en rien le problème de l’exécution des obligations de quitter le territoire français. Si l’Algérie ne veut pas accueillir ses ressortissants au bout de 90 jours, pourquoi en irait-il autrement après 120 jours ? La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, s’est-elle aussi abandonnée au commentaire. Il est vrai qu’elle soutient la candidature du ministre de l’Intérieur à la présidence de LR.
En matière d’OQTF, Bruno Retailleau peut déjà se prévaloir d’un certain nombre de bons résultats. Il y travaille avec acharnement.
Annie Genevard, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, le 24/02/2025
“Bruno Retailleau a de bons résultats” nous dit Annie Genevard. L’essentiel, c’est d’y croire, hein ! Justement, le Rassemblement national qui commence à trouver que Bruno Retailleau braconne un peu trop sur ses terres ne se prive pas de fustiger l’absence des résultats en question.
Bruno Retailleau nous dit des choses qui sont agréables à nos oreilles. Souvent, on peut se retrouver les uns et les autres en accord avec le discours de Bruno Retailleau. Le problème, c’est que c’est bien de jouer à Popeye, de montrer les muscles, mais derrière il faut des résultats. Il n’y a pas de résultat.
Sébastien Chenu, député RN, le 24/02/2025
Avec le Rassemblement national, c’est toujours facile
Comparer Retailleau à Popeye… Il faut une bonne dose d’imagination. D’autant qu’une boîte d’épinards suffit à transformer le marin en bagarreur invincible. La seule explication, c’est que Bruno Retailleau doit préférer la mogette vendéenne. Soit dit au passage, c’est très bon. Meilleur que les épinards, à mon avis. Heureusement, il y a Jordan Bardella. Avec lui, tout est toujours simple.
Le ministre de l’Intérieur qui est chargé de la sécurité des Français doit maintenant agir ou partir. Dans le quart d’heure, aucun visa français ne devrait être délivré à l’Algérie. On devrait immédiatement suspendre les aides financières qui sont données, l’aide au développement qui est donnée à l’Algérie.
Jordan Bardella, député européen RN et président du RN, le 23/02/2025
Dans le quart d’heure… On croirait entendre Donald Trump. Mais qui peut soutenir que dans cette hypothèse, l’Algérie accepterait d’accueillir ses ressortissants expulsés ? Tout au contraire, elle bloquerait par voie de rétorsion la délivrance des laissez-passer consulaires. Ce sésame qui permet le retour au pays est délivré par les ambassades des pays concernés. Sans lui, impossible de descendre de l’avion.
Et le Premier ministre dans ce débat ? Il joue les spectateurs. Entre deux moutons et trois vaches, François Bayrou a estimé que l’attitude de l’Algérie à propos du terroriste de Mulhouse était inacceptable. Sur ce, il est reparti déambuler. C’est vrai qu’en matière de déambulation, le Premier ministre en connaît un rayon. Il l’a montré au moment du budget, passant des œillades aux socialistes à la dénonciation d’une fumeuse submersion migratoire qui justifierait, selon lui, l’ouverture d’un débat sur l’identité française. Juste ce qu’il faut pour s’attirer la bienveillance de Marine Le Pen.
A ce niveau d’errance politique, on peut se demander si François Bayrou a un autre projet en tête que sa propre survie au jour le jour. Sans majorité, affaibli par l’affaire Betharram, détesté par les socialistes depuis qu’il les a insultés dans l’hémicycle, il serait étonnant que cette déambulation ne se termine pas, bientôt, dans un mur.