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En refusant de censurer François Bayrou, le Rassemblement national va à l’encontre de ses propres électeurs

Hadrien Clouet, député « La France insoumise », le 24/06/2025 ©PurePolitique

Le Rassemblement national ne votera pas la motion de censure déposée par le Parti socialiste après l’échec du conclave sur les retraites.

Le rendez-vous de la censure, c’est à l’automne, c’est au moment du budget. François Bayrou, son tour viendra. Une censure aujourd’hui n’abrogera pas la réforme des retraites. C’est ça le problème. Si nous censurons dans les jours qui viennent François Bayrou, la réforme des retraites, elle demeure. En fait, c’est, j’allais dire, un coup pour rien.

Sébastien Chenu, député « Rassemblement national », le 25/06/2025

La censure n’abrogerait pas la réforme des retraites ! Mais personne n’a dit ça.

Monsieur le Premier ministre, ma question était simple : Le Parlement aura-t-il le dernier mot y compris sur la mesure d’âge et sur l’équilibre de notre système des retraites ? Vous ne m’avez pas répondu, cette semaine, comme vous m’aviez déjà dit “non” la semaine dernière.

Monsieur le Premier ministre, le respect de la parole donnée est à la base même de notre régime démocratique. Vous avez pris des engagements, pas tenus sur ce sujet comme sur bien d’autres. Cela nous contraint, monsieur le Premier ministre, a déposer une motion de censure contre votre gouvernement.

Boris Vallaud, député « Socialistes et apparentés » et président du groupe « Socialistes et apparentés » à l’Assemblée nationale, le 24/06/2025

Le Rassemblement national joue gros

En refusant de censurer le Premier ministre, le Rassemblement national va à l’encontre de l’opinion en général et de ses propres électeurs. Selon un sondage Elabe pour BFM, 52 % des Français souhaitent que le gouvernement soit censuré après l’échec du conclave. Et quand on rentre dans le détail des chiffres, on découvre que 63 % des électeurs du Rassemblement national souhaitent l’adoption d’une motion de censure.

Alors, pourquoi la direction du RN prend-t-elle le risque de contrarier son électorat ? Par crainte d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale ? Dissolution qui priverait Marine Le Pen de la possibilité de se représenter ? C’est la première explication qui vient à l’esprit. Mais c’est une fausse piste. Voici pourquoi. Rappelons d’abord que la censure du gouvernement n’entraîne pas nécessairement la dissolution de l’Assemblée. Le président de la République n’a aucune obligation constitutionnelle de renvoyer les députés devant les électeurs. S’il souhaite dissoudre la chambre des députés, Emmanuel Macron devra patienter jusqu’au 8 juillet, date à laquelle il retrouve cette prérogative.

L’article 12 de la Constitution prévoit que de nouvelles élections doivent avoir lieu « vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Ce qui nous amène au mois d’août. Scénario hautement improbable car les Français seront en vacances. Emmanuel Macron pourrait patienter jusqu’au mois de septembre. Mais l’Assemblée entrera à ce moment-là dans la discussion budgétaire. On voit mal l’exécutif prendre le risque de torpiller sa propre loi de finances. Sans parler des incertitudes sur la nouvelle composition de l’Assemblée. En janvier alors ? Hors de question. On sera en pleine campagne pour les élections municipales.

Bref, le vote éventuel d’une motion de censure a toutes les chances de rester sans conséquences pour Marine Le Pen. C’est du côté des Républicains qu’il faut chercher l’explication de la surprenante miséricorde lepéniste. Depuis plusieurs semaines, la direction du Rassemblement national drague les électeurs de Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez. Ce qui s’est traduit par un rapprochement lors de votes récents à l’Assemblée. Ce sont ainsi les voix du RN qui ont permis l’adoption d’un amendement déposé par un député LR instituant un moratoire sur les éoliennes et les installations photovoltaïques. La suppression des Zones à faible émission n’a été acquise que grâce à l’addition des voix du RN et des LR et, dans une moindre mesure, de celles de LFI.

De la même façon, le dispositif Zéro artificialisation nette a été vidé d’une partie de sa substance grâce à l’alliance du RN et de LR. Ce compagnonnage entre le RN et Les Républicains est devenu si voyant que les macronistes pur jus crient à la trahison. C’est le cas de Gabriel Attal, ce jeudi, dans les colonnes du Monde.

Pour Marine Le Pen, il n’est pas question de compromettre le rapprochement avec les derniers secteurs conservateurs qui échappent à son emprise. Car s’ils votaient la motion de censure déposée par les socialistes, les députés lepénistes se retrouveraient en opposition frontale avec les LR. On s’en souvient, ces derniers sont pour la retraite à 64 ans et même plus tard pour certains. En revanche, droite et extrême droite concordent sur les questions budgétaires. Ces libéraux entendent bien réduire drastiquement la dépense publique. Voilà pourquoi Sébastien Chenu renvoie le vote d’une motion de censure à la discussion budgétaire de cet automne.

Cette clémence envers le Premier ministre sera-t-elle du goût des électeurs et des adhérents du Rassemblement national ? Un savant argumentaire a été déployé pour les convaincre.

Argumentaire bidon

La gauche et l’extrême gauche veulent revenir sur la retraite à 64 ans. Nous aussi. Mais, eux, comment ils financent ça ? Ils financent ça avec des centaines de milliards d’euros d’impôts et de taxes supplémentaires. Avec une augmentation des cotisations, c’est-à-dire avec une augmentation des cotisations pour les Français qui travaillent.

On est en désaccord complet avec ces sources de financement. Nous on propose d’autres sources de financement. C’est la relance de la productivité, c’est l’entrée de plus en plus jeune, pour les plus jeunes, sur le marché du travail, c’est également sur les économies qui sont faites, je le disais, sur l’immigration, sur la contribution nette au budget de l’Union européenne, sur le train de vie de l’État. Tous ces débats on va les avoir à l’automne quand on sera dans les discussions du budget.

Gaëtan Dussausaye, député « Rassemblement national », le 24/06/2025

Le raisonnement laisse pantois. “On est d’accord avec la gauche pour abroger le départ à 64 ans, mais comme on risque de ne plus l’être sur le financement, on ne vote pas la motion de censure.” C’est ce qui s’appelle enterrer en grande pompe l’orientation social populiste qui prévalait jusqu’alors au RN. De quoi rassurer le Medef qui trouvait Marine Le Pen un peu trop gauchiste. On exagère à peine.

Dans ces conditions, quel intérêt la gauche a-t-elle encore à déposer une motion de censure ?

Ca subira le même sort qu’avait subi Nicolas Sarkozy qui avait perdu, je crois, entre 50 et 60 parlementaires dans l’entre-deux-tours des législatives quand il l’avait proposé.

Moi je ne me détermine jamais par rapport à ce que dit ou fait ou pense le RN. Ça m’est indifférent. A vous écouter, on devrait même voter pour tous les textes puisque de toute façon, en fait, ça ne sert à rien de voter contre quand on est minoritaires.

Censure, ça veut dire qu’il y a un moment dans la vie parlementaire où il y a des actes qui justifient que l’on pose la question de la survie du gouvernement. Et pour moi la question des retraites est une question fondamentale dans le contrat social que les Français ont passé entre eux et avec l’État. C’est une question qui a été l’objet de manifestations, qui a été l’objet de contestations parlementaires puissantes.

Olivier Faure, député « Socialistes et apparentés » et Premier secrétaire du Parti socialiste, le 24/06/2025

Le naufrage du Béarnais

En attendant, François Bayrou s’agite. Comme on pouvait s’y attendre, malgré l’intervention de Matignon, il n’y a toujours pas d’accord. Qu’à cela ne tienne, le matois béarnais invente une catégorie pour la circonstance. Mais l’objectif de cette aimable causerie était surtout de gagner encore un peu de temps. Quinze jours.

Quinze jours, quinze jours… Ça nous amène où, ça ? Au 11 juillet. Juste le dernier jour de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale. Après l’Assemblée ferme ses portes jusqu’au premier jour ouvrable du mois d’octobre. Et quand l’Assemblée ne siège pas, il n’y a pas de motion de censure. François l’embrouille a encore frappé ! A gauche, on avait anticipé le coup-fourré.

Il veut gagner du temps, François Bayrou. Du temps il en avait, il est là depuis un moment. Ça fait quelques décennies qu’il est dans la vie politique, donc il ne va pas nous la faire. Le Premier ministre a échoué. Il est venu devant cette Assemblée en disant : “S’il vous plaît ne me censurez pas, vous allez voir j’ai entendu ce qui s’est exprimé sur les retraites et on va avancer”.

Son conclave est un naufrage, notamment parce qu’il n’a pas voulu mettre la pression sur le Medef. Et donc maintenant il doit en tirer les conséquences. Il faut réunir les partenaires sociaux à Matignon, mais pas avec François Bayrou Premier ministre.

Benjamin Lucas-Lundy, députée « Écologiste et social », le 24/06/2025

Le capital confiance du Premier ministre est sérieusement entamé.

C’est ce qui devait arriver dans ce type de mascarade. Vous donnez le droit de veto au Medef, le Medef utilise son droit de veto sur tout ce qui pourra aller dans le sens de l’intérêt des salariés. Tout. Le Medef n’a pas lâché le moindre centime. Ils n’ont pas voulu lâcher le moindre jour de compensation pour les vies détruites par la réforme des retraites.

Hadrien Clouet, député « La France insoumise », le 24/06/2025

François Bayrou a promis aujourd’hui d’inclure les “accords pour ainsi dire acquis” dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. On est bien loin du dernier mot qui devait être accordé à la représentation nationale sur les retraites.

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