La dérive monarchique du régime s’accentue. Voilà qu’Emmanuel Macron entend dicter ses conditions aux Français qui viennent pourtant de s’exprimer. Voilà qu’il veut choisir ce qui serait bon pour eux. Que voulez-vous, ces gueux, ces manants, ne sont que des ignorants. Dans son infinie bonté, notre seigneur a pris sa plume pour les éclairer. Même si la flamme de sa chandelle vacille.
Voici ce qu’il déclare : « Personne ne l’a emporté. Aucune force politique n’obtient seule une majorité suffisante et les blocs ou coalitions qui ressortent de ces élections sont tous minoritaires. Je demande à l’ensemble des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines d’engager un dialogue sincère et loyal pour bâtir une majorité solide, nécessairement plurielle, pour le pays. C’est à la lumière de ces principes que je déciderai de la nomination du Premier ministre. »
En 2022, la situation était identique. Le bloc présidentiel ne comptait que 250 députés issus de trois partis différents, Renaissance, le MoDem et Horizons. Il manquait 39 voix à cette coalition pour atteindre la majorité absolue. Pourtant, cela n’a pas empêché le président de la République de nommer à Matignon Élisabeth Borne puis Gabriel Attal. Dans quel article de la Constitution est-il écrit que le Président peut établir une hiérarchie entre les majorités relatives ? Que ce qui vaut pour une minorité à 250 députés ne le serait plus pour une minorité à 183 députés ? Une telle disposition n’existe pas. C’est un empiètement du pouvoir exécutif sur le législatif. Une forfaiture.
Car les seuls citoyens qui ont le pouvoir de s’opposer à ce que le premier groupe parlementaire gouverne le pays, ce sont les députés. Ils peuvent le faire en refusant la confiance si elle leur est demandée ou bien en votant une motion de censure. Ce n’est certainement pas au président de la République d’apprécier la viabilité d’une coalition. D’autant qu’en matière de pronostics politiques, il nous a démontré ces dernières semaines combien il était à côté de la plaque.
Les basses manœuvres sont de retour
Si Emmanuel Macron piétine allègrement la Constitution, c’est pour permettre à une nouvelle coalition de se constituer. Coalition dont Édouard Philippe est apparemment la clé de voûte.
Aujourd’hui, il y a le Nouveau Front Populaire. Il a 182 députés. Mais il y a un autre bloc, au centre, composé de Renaissance, du MoDem, de Horizons et des LR. Ca faut le constituer, il n’existe pas. Qui n’est pas un bloc constitué, je le reconnais, mais qui, si on le prend dans son ensemble, fait 220 députés. Donc plus que le Nouveau Front Populaire.
Est-ce qu’à l’intérieur de ce bloc on est capable de s’entendre – non pas du tout sur une coalition, je ne crois pas qu’on y arrivera – mais sur un accord technique qui permet d’avancer et de gérer les affaires du pays pendant au moins un an ?
Édouard Philippe, maire du Havre et président du parti Horizons, le 9/07/2024
“Coalition technique” dit Édouard Philippe. Ben voyons. Il s’agit d’une manœuvre désespérée pour bloquer le Front populaire. Hier, mercredi, Aurore Bergé a vendu la mèche.
La question c’est : qui pour gouverner ? Ce que je sais c’est qu’un bloc aujourd’hui, Nouveau Front Populaire, ne peut pas s’élargir, ne gagnera pas un seul nouveau député. Mathématiquement, idéologiquement, c’est absolument impossible. Donc les seuls qui seraient en capacité de s’élargir c’est au sein du bloc central. Ca veut dire qu’il y a donc plusieurs coalitions qui pourraient demain gouverner.
La question c’est de savoir quelle est la plus stable, quelle est la plus cohérente et aussi celle qui aura la durée de vie qui sera la plus importante puisque je le redis : si le Nouveau Front Populaire est amené à gouverner et qu’il ait en son sein des ministres insoumis, alors il y aurait une motion de censure immédiate et donc ça veut dire qu’il ne tiendra pas une seule semaine.
Aurore Bergé, députée Renaissance, le 10/07/2024
Une coalition du bloc central qui relève de la fiction
165 députés macronistes et une cinquantaine de députés LR, cela fait au mieux un total de 220 députés. On est loin de la majorité absolue. D’autant que cette coalition relève de la fiction si l’on se réfère aux propos tenus par Laurent Wauquiez. Le président de la Droite Républicaine – le nouveau nom des LR canal historique – n’entend pas marcher dans l’opération.
Nous ne participerons pas à des coalitions gouvernementales. On voit ces derniers jours beaucoup d’agitation. Pas mal de ces manœuvres reposent sur des fantasmes ou des illusions au vu des résultats des élections. Mais surtout, nous ne croyons pas qu’on peut répondre à la crise d’un pays par une combinaison d’appareils. Et que la seule bonne façon d’y répondre est par un travail sur le fond permettant de rassembler le maximum de Français.
Laurent Wauquiez, député LR et président du groupe La Droite Républicaine à l’Assemblée nationale, le 10/07/2024
À gauche, on avance ses pions. Mardi, Olivier Faure a annoncé qu’il était prêt à aller à Matignon.
Dans l’histoire des socialistes, toutes celles et ceux qui m’ont précédé dans la fonction que j’occupe aujourd’hui, l’ont fait par sens à la fois du devoir et par envie de servir le pays. J’y suis donc prêt dans les mêmes conditions. Je suis prêt à assumer cette fonction, mais j’ajoute un codicille, ce sera dans le dialogue avec nos partenaires. Je ne suis pas d’accord pour que quiconque impose à qui que ce soit son point de vue. Il ne peut pas y avoir, pour qui que ce soit, une prétention à l’hégémonie, une volonté de s’imposer aux autres sans jamais aucun dialogue.
Olivier Faure, députée PS-NFP et premier secrétaire du PS, le 9/07/2024
Mais un autre candidat est sur les rangs. À vrai dire, Jean-Luc Mélenchon pourrait s’effacer au dernier moment au profit d’un de ses lieutenants : Clémence Guetté ou Manuel Bompard. En espérant ainsi amadouer les communistes, les socialistes et les écologistes. Mais il y a une raison beaucoup plus politique. Le chef des insoumis reste candidat à l’Élysée. S’il allait à Matignon, il s’exposerait à être renversé par une motion de censure qui hypothèquerait ses chances pour une présidentielle. Surtout si celle-ci survenait avant 2027, sait-on jamais.
Hier soir, les représentants des quatre partis de gauche négociaient encore. À l’abri des caméras, croyaient-ils. C’est raté. Le rôle d’un des négociateurs interpelle. Il s’agit de Benoît Payan, le maire de Marseille. Il plaide pour l’élargissement de la coalition du Nouveau Front Populaire aux députés macronistes qui pourraient s’accommoder du programme de la coalition.
Quoi qu’il en soit, il y a urgence. Plus le temps passe, plus le coup de force présidentiel gagne en légitimité. Le président aura beau jeu de dire : “Regardez, ils ne sont même pas capables d’être d’accord entre eux”. Pour débloquer ou clarifier la situation, Alexis Corbière, un des cinq insurgés – contraction d’insoumis et purgé – de La France insoumise préconise une désignation collective.
Moi la méthode que je propose c’est qu’il y ait une assemblée générale, une assemblée plénière de tous les députés Nouveau Front Populaire pour qu’elle décide celui ou celle qui est Premier ministre. Et qu’on sorte un peu d’une discussion à quatre entre chefs de parti. Ca n’en prend pas le chemin. C’est dommage. Je propose une méthode qui débloque la situation.
Je suis évidemment un insoumis et je préfèrerais que ce soit quelqu’un qui soit issu de la grande pensée insoumise. Mais attaché à la démocratie. Si vous voulez des noms, un Français Ruffin, une Clémentine Autain pourraient faire le job. Ce sont des gens qui, à mon avis, ont un rayonnement qui va au-delà de la France insoumise, qui peut être accepté par des socialistes, des communistes et des écologistes.
Alexis Corbière, député NFP, le 10/07/2024
Du côté du Rassemblement national, on ne semble pas trop affecté d’être arrivé en troisième position.
Non, il n’y a pas une déception. Il y a une forme d’indignation face à des magouilles et des mensonges d’un système qui détourne un mode de scrutin pour ne pas respecter le vote des Français. Nous avons dix millions de votes. Jordan Bardella a remporté de suite trois élections, à 31 % 34 % et 37 %. Donc je pense que dans n’importe quelle autre démocratie occidentale nous aurions une large majorité mais c’est le jeu de la 5e République et nous le respectons contrairement à d’autres.
Jean-Philippe Tanguy, député RN, le 10/07/2024
Dîner entre amis
“Magouilles” dit Tanguy. L’occasion était trop belle de lui demander si le dîner entre Édouard Philippe et Marine Le Pen, révélé par nos confrères de Libération, entrait dans cette catégorie.
Mais vous savez, moi j’ai déjeuné plusieurs fois, pris un café, un verre, avec des macronistes et même avec des gens de l’ancienne NUPES. C’est vrai que la particularité du Rassemblement national c’est de considérer que nous avons des adversaires politiques en démocratie, mais nous n’avons pas d’ennemis.
Jean-Philippe Tanguy, député RN, le 10/07/2024
Du côté d’Horizons, on ne voit pas de problème.
J’étais au courant depuis le mois de décembre de ce dîner. Outre le fait que ça ne me choque pas, à titre personnel, parce que ce n’est pas un dîner pour se mettre d’accord, au contraire. C’est un dîner pour se connaître davantage et pour acter les désaccords profonds qu’ils ont pratiquement sur tous les sujets qui font que, Edouard Philippe, je vous le rappelle, a appelé à voter pour un candidat communiste plutôt que pour un candidat RN dans la circonscription où il vote.
Laurent Marcangeli, député Horizons et président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, le 10/07/2024
Il y a quand même quelque chose qui préoccupe le Rassemblement national. Les différents postes qu’il pourrait occuper dans la prochaine assemblée. La gauche n’est pas disposée à ce que se reproduisent les manœuvres souterraines qui avaient permis au RN, en 2022, de décrocher deux vice-présidences.
Il est de notre responsabilité de faire le barrage à l’Assemblée nationale. L’extrême droite n’est pas compatible avec la République. Le Rassemblement national ne doit donc occuper aucun poste dirigeant au sein de cette assemblée. C’est le mandat que nous ont donné les électeurs.
Cyrielle Chatelain, députée écologiste, le 9/07/2024
Marine Le Pen s’en est émue devant les journalistes mercredi.
Que les postes de responsabilité doivent être distribués en fonction, précisément, du poids politique de chacun des groupes. Et donc, sauf à violer le règlement de l’Assemblée nationale, mais ils ne sont pas à ça près, compte tenu encore une fois de ce que l’on entend aujourd’hui, ils ne peuvent pas écarter 10 millions de Français, 10 millions de Français.
Marine Le Pen, députée RN et présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, le 10/07/2024
Le règlement de l’Assemblée nationale est plutôt de son côté. Les différentes instances qui organisent la vie de l’Assemblée – les vice-présidences, le bureau, les questeurs – doivent se rapprocher de la composition de l’hémicycle. Ainsi, par exemple, la commission des finances doit revenir à l’opposition. Jean-Philippe Tanguy est d’ailleurs candidat à sa présidence. Les hostilités commenceront le 18 juillet avec la bataille pour la présidence de l’Assemblée. Coups fourrés et marchandages seront au rendez-vous. Qu’il y ait ou non un nouveau gouvernement.